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Presse, luxe, déco… ces marques qui s’invitent dans l’hôtellerie

Quand des marques de mode ou de déco débarquent dans l’hôtellerie, c’est un peu le monde à l’envers. Quelle valeur ajoutée pour ces associations inédites, quelles limites ? C’était le sujet d’un colloque organisé par l’IREST et Food Hotel Tech à la Sorbonne.

Quoi de plus difficile à bâtir qu’une marque hôtelière, quoi de plus fragile aussi ? Ce capital construit à la sueur de leur front, les groupes hôteliers le surveillent de près. Alors forcément, quand un célèbre magazine féminin ou une enseigne de déco viennent s’immiscer dans l’univers de l’hôtellerie, ça ne passe pas inaperçu. 

Quelle légitimité pour ces nouveaux acteurs, qu’apportent-ils de plus au secteur ? « Les marques non-hôtelières débarquement dans l’hôtellerie » : c’était justement le sujet du 6e colloque hôtellerie organisé par l’IREST et Food Hotel Tech, qui s’est tenu le 6 décembre à la Sorbonne.

Evolution ou révolution ? Une chose est sûre : si elle n’est pas neuve, la tendance monte en puissance.

Les intervenants du colloque, le 6 décembre, à la Sorbonne.

Cherchant à élargir leur rayonnement, les marques du luxe et de la mode, notamment, montrent une appétence particulière pour le secteur. Plusieurs d’entre elles se sont déjà lancées, comme Bulgari ou Zadig et Voltaire, pour ne citer que quelques exemples. D’autres investissent les palaces différemment : le Ritz abrite ainsi une suite Coco Chanel quand un hôtel Karl Lagerfeld a ouvert l’été dernier… à Macao. Au rayon déco, l’enseigne Maisons du Monde a relevé le défi il y a quelques années déjà, en collaboration avec Vicartem. Trois établissements ont ouvert à Nantes, La Rochelle et Marseille. 

Ces associations inattendues suscitent toujours la curiosité. L’annonce de l’arrivée très attendue du premier hôtel Louis Vuitton en livre une parfaite illustration, même si l’on sait encore peu de choses sur cet établissement de quelque 6000 mètres carrés, premier hôtel de l’histoire du célèbre malletier. Rendez-vous en 2026, sur les Champs-Elysées.

Un concept clé en main

L’an dernier, c’est l’alliance de la presse féminine et de l’hôtellerie qui s’incarnait dans le premier Maison Elle, à deux pas de l’Arc de Triomphe, à Paris. La deuxième adresse vient tout juste d’ouvrir à Amsterdam. Propriétaire des marques Elle et Elle Déco, le groupe Lagardère s’est diversifié avec la création de Elle Hospitality, devenant ainsi la première marque d’un groupe média à se développer dans le secteur. Un projet d’envergure : Elle Hospitality s’est associé à plusieurs professionnels du secteur pour développer des hôtels urbains mais aussi des resorts à travers le monde.

Mais comment transposer du papier glacé au cocon feutré d’un hôtel l’esprit du magazine Elle ? « Ce n’est pas un hôtel sur lequel on se contente de mettre les quatre lettres magiques », assurait à L’Echo touristique Pascal Donat, le président de Valotel, lors de l’annonce de ce lancement. C’est lui qui est allé frapper à la porte de Lagardère pour proposer le projet. Avant que n’ouvre la première adresse, plusieurs années auront été nécessaires, ainsi qu’un énorme travail pour comprendre en profondeur la marque et son identité.

Car pour que la greffe prenne entre deux marques d’univers a priori éloignés, certaines conditions doivent être réunies. « Une association de marque va s’appuyer sur des valeurs, il faut que cette association soit sincère », a souligné Géraldine Michel, directrice de la chaire Marques et Valeurs à la Sorbonne. Sans quoi, la légitimité de l’une et l’autre des marques associées risque d’en pâtir.

« Si on ne s’adapte pas, petit à petit, on meurt »

Quelle valeur ajoutée pour l’hôtel ? « Devenir le premier Maison Elle nous permet de bénéficier de la notoriété du magazine, rapporte Eliane Yun Wang, qui pilote notamment la Maison Elle pour Valotel. À l’image du magazine, « Maison Elle » se veut l’emblème du « French art de vivre ». « Cela nous donne la possibilité de prolonger l’expérience du magazine et de développer une offre différenciante. (…) Cela nous permet aussi de rassembler, pour former une communauté, notamment sur les réseaux sociaux. C’est une autre façon de faire de l’hôtellerie, en impliquant la clientèle locale. »

Le tout avec un concept livré clé en mains. L’hôtel mise notamment sur son Spa, une offre de food & beverage soignée avec un tea time signé de l’étoile montante de la pâtisserie Nicolas Paciello, des événements… Bénéfice secondaire : par les valeurs qu’elle véhicule, la marque Elle a contribué à renforcer la marque employeur de l’hôtel, observe Eliane Yun Wang. Un sérieux atout, en période de pénurie de talents.

Si ces alliances suscitent autant d’intérêt, c’est probablement parce qu’elles permettent de rompre avec les codes établis et d’innover, dans un secteur qui a évolué à coup de nouveaux concepts disruptifs… bien vite copiés. La déferlante « lifestyle » est là pour en témoigner.

« On adore dire qu’il y a 40 ans, le Mama Shelter de l’hôtellerie, c’était Novotel, a rappelé François Leclerc, directeur de la chaîne hôtelière Jo&Joe (Accor/Ennismore). Parce que Novotel a tout inventé, il a cassé les codes, il était à l’écoute de ses clients. Mama Shelter est arrivé et a répondu à un besoin nouveau. Ce qu’il faut, c’est écouter les clients, et s’adapter. Si on ne s’adapte pas, petit à petit, on meurt, et on sort de son marché. Le coup d’après, pour nous tous, c’est d’être accompagnés par des gens qui ont des agences, des agences marketing qui savent qu’est une association de marques, pour évoluer. L’évolution, c’est le mot majeur. »

« Le stretching de marque comporte des risques »

Rappelons que l’hôtellerie s’est essayée ces dernières années à d’autres formes d’alliances avec de nombreuses marques. Préparant l’ouverture d’une nouvelle adresse à Cannes, Mob Hotels prévoit d’y implanter en exclusivité une boutique Patagonia dédiée à l’univers du voyage et une épicerie Biocoop. Quicksilver et Roxy étaient partenaires du premier Jo&Joe, à Hossegor, s’adressant ainsi aux amoureux du surf… Un Ciné Hôtel MK2 a aussi ouvert à Paris.

Le co-branding, une association qui ne va pas toujours sans risques. « Si une marque lance un hôtel et qu’il arrive quelque chose de négatif dans un hôtel, ça va abîmer la marque. Donc le stretching de marque, le fait d’étendre une marque à d’autres univers, comporte des risques. Mais c’est le principe même de la franchise ou de la licence. Quand on transmet une marque, on doit s’assurer qu’elle ne se trouvera pas abîmée ou diluée », avertit François Leclerc.

« Les pieds sur terre »

Et puis il faut trouver ceux qui sauront traduire une signature, un ADN de marque dans un lieu. Si le cabinet Jouin Manku s’est spécialisé dans le luxe, la démarche est toujours la même : « explorer la relation entre les personnes, l’espace et les émotions ». Le duo de designer a notamment travaillé sur la conception de la Maison Van Cleef et Arpels, à Paris, ou sur la réalisation du restaurant d’Alain Ducasse, quand il officiait au Plaza Athénée. « Nous fonctionnons à l’intuition, explique Patrick Jouin. Ces univers s’incarnent dans des mots, des valeurs qui sont très subtiles, à nous de les interpréter. Nous prenons beaucoup de temps pour réussir à transformer cela, à la fin, en un espace, une lumière, un confort, une expérience. » « C’est la synergie entre le designer et l’hôtelier, complète François Leclerc. Nous avons une vraie relation de partage. (…) Quand on parle de co-branding, les deux marques doivent être au diapason. Si elles ne sont pas alignées, s’il ne s’agit que d’une association avec des zéros derrière sur un business plan, ça ne fonctionnera pas. C’est la même chose pour un designer. S’il prend un projet avec lequel il ne se sent pas à l’aise, ça ne peut pas marcher. »

Et de rappeler un préalable : « pour pouvoir parler d’expérience ou d’émotions, il y a toute une dimension ultra fonctionnelle qui doit tourner à la perfection. Ça, ça doit être une évidence, pour que l’on puisse justement se dégager de tout ça, soulignent Patrick Jouin et Sanjit Manku. Être les pieds sur terre. Après, le reste, c’est une chorégraphie. »

Des marques pour se démarquer, pourquoi pas. A condition, donc, de ne jamais oublier les fondamentaux du métier…

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