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Bertrand Réau : « Le tourisme et les loisirs sont importants pour faire société »

Après Loïc Blaise et Caroline Le Roy, Julien Buot, directeur d’Agir pour un tourisme responsable (ATR), interviewe le sociologue Bertrand Réau, professeur du CNAM et titulaire de la chaire « Tourisme, voyages et loisirs ». L’occasion de questionner la valeur du temps libre.

Julien Buot : Juste après le Covid-19, vous avez signé une tribune appelant à une politique globale du temps libre. Pourquoi ?

Bertrand Réau : Car il me semble qu’il n’y a pas de politique qui intègre les enjeux du tourisme et des loisirs dans une perspective plus globale des temps en société et de leurs conséquences sociales. Pourtant, alors que les enfants passent une large partie de leur temps en dehors de l’école, il faut bien avoir conscience que ce n’est pas un temps vacant socialement. Ce temps est investi de manière très différente par les familles, par les collectivités locales, les associations, etc.

Le temps libre est un temps social très peu considéré malgré la relance du pass colo en juillet dernier initiée par le gouvernement et celle d’un débat sur le droit aux vacances par des parlementaires en juin. Pour bien appréhender les leviers (et les rythmes possibles) du changement, il faut déjà commencer par comprendre comment est utilisé le temps libre (de vacances), qu’on occupe de façon très différente selon les milieux sociaux, les modes de vie, etc.

Or les recherches sur ce thème sont encore trop rares.

Julien Buot : La 5e semaine de congés payés date de 1982, les 35h hebdomadaires de 2000. Depuis, le temps libre ne fait pas l’objet de régulation et de nouveaux droits. Et comme je le disais dans une tribune sur le « surtourisme », le taux de départ en vacances des Français, lui, stagne, à 60 %…

Bertrand Réau : Pourtant, les modes de vie évoluent, avec le télétravail, des voyages plus courts, plus fréquents, plus ou moins lointains et dans un contexte où les inégalités se creusent. Ce contexte mériterait une véritable réflexion pour articuler les questions du travail, du temps libre, comme un temps social majeur sur lequel on pourrait travailler, réfléchir, pour faire évoluer son « encadrement ».

Julien Buot : Ce temps libre fait l’objet de nouvelles pratiques, à l’image du « staycation » et de la micro-aventure. Et la « recherche en tourisme » ne se porte pas si mal. Qu’en pensez-vous ?

Bertrand Réau : Dans les années 2000, on avait lancé, avec (la professeure de sociologie, Ndlr) Saskia Cousin, un groupe de travail dédié à l’EHESS. Depuis, de nombreux doctorants travaillent et publient. Et il y a des volontés d’associer les scientifiques aux décisions politiques, comme l’illustre le Comité scientifique du tourisme durable créé en 2022 par le ministère en charge du tourisme.

Reste une question cruciale  : comment faire en sorte que les pouvoirs publics s’approprient ces travaux scientifiques dans le monde francophone, mais aussi anglophone, dans toutes les disciplines (sociologie, géographie, anthropologie, économie, etc). J’ai aussi présidé ASTRES, association qui regroupe 13 universités proposant des recherches et des formations en tourisme et qui porte la recherche française pour qu’elle soit mobilisée par les décideurs. Mais c’est un processus long et compliqué car le temps de la recherche n’est pas celui de la politique.

« Le temps libre est précieux et devient de plus en plus important dans la vie sociale des enfants et des adultes »

Julien Buot : En 2001, suite à une mission au Conseil national du tourisme, j’avais réalisé un travail de recherche en sciences politiques sur la problématique mise à l’agenda politique de l’éthique du tourisme… Plus globalement, c’est le tourisme qui n’est pas assez considéré politiquement malgré ses impacts tant positifs que négatifs sur l’économie, mais aussi l’environnement et la société…

Bertrand Réau : Récemment, le thème du droit aux vacances et celui du calendrier scolaire sont bel et bien revenus dans le débat politique. Avant les vacances d’été, le sujet du droit aux vacances a été porté par des députés, à l’Assemblée nationale, mais qu’en est-il ensuite ? Ne faudrait-il pas, par exemple, lancer une mission d’information à l’Assemblée nationale sur ces sujets ? Malgré des résistances et des effets d’annonce, on peut souhaiter que ces thèmes s’inscrivent durablement dans l’agenda politique pour qu’une réflexion s’engage.

Julien Buot : Jean-Marc Jancovici, président du Shift Project, défend l’idée de 4 vols en avion par vie… Les pics de fréquentation se multiplient. Comment s’adapter ?

Bertrand Réau : On doit en effet reconsidérer collectivement le « temps libre ». Et le voyage en avion est une pratique partagée par une toute petite partie de l’humanité. Globalement, il n’y a pas de vision qui permettrait par exemple de faire évoluer les calendriers scolaires qui définissent encore largement les calendriers touristiques. Y toucher est encore un tabou. Et pourtant ça permettrait d’éviter certaines concentrations nuisibles à l’environnement et aussi parfois à la qualité de vie des habitants. Ce pourrait aussi avoir un impact sur le départ en vacances.

Julien Buot : Entre ceux qui se disent « transitionnistes hyperactifs » comme Patrick Pourbaix (MSC Croisières) et ceux qui appellent à « remettre le voyage sur de bons rails » comme les membres du collectif Itinéraire bis, tous les chemins sont-ils bons à prendre ?

Bertrand Réau : On constate une hausse de la prise de conscience de l’urgence de changer nos modes de consommation notamment chez les jeunes générations. Mais elle est difficile à mesurer réellement dans le passage aux pratiques. Il est important de pouvoir mesurer la différence entre l’adhésion à des valeurs et la réalisation effective de ces valeurs. Ce changement dépend de la volonté de chacun d’avoir des pratiques éco-responsables mais aussi des offres et des possibilités offertes par les créateurs d’expériences touristiques et favorisées ou non par les pouvoirs publics.

Je mène des travaux sur la socialisation des enfants, qui est un élément clé des transformations de demain. Le temps libre, pendant les vacances mais pas seulement, permet de créer du lien social, d’acquérir des savoir-faire, des savoir-être et des connaissances sur l’environnement. Or ce temps libre fait l’objet d’usages très variés.

Julien Buot : L’agriculture fait l’objet d’un ministère et de nombreux travaux de recherche. Pas le tourisme. Une ineptie selon vous ?

Bertrand Réau : Le tourisme et les loisirs sont importants pour « faire société ». Or ils font l’objet de réflexions et de décisions trop segmentées. Pourtant, le temps libre est précieux et devient de plus en plus important dans la vie sociale des enfants et des adultes.

Julien Buot : Sans transition… La culture et la création artistique ne sont-elles pas des moyens inexplorés pour accélérer le changement, pour faire évoluer les imaginaires et pratiques touristiques ? Je sais que vous êtes un artiste, au-delà d’être un scientifique. Quels messages adressez-vous à travers vos œuvres ?

Bertrand Réau : L’art est une façon d’interroger notre société, de décentrer le regard de manière différente de la science mais aussi de manière complémentaire ! L’art est un outil puissant pour faire évoluer les imaginaires et pratiques touristiques. Dans les expositions que j’ai pu faire à Paris et à l’étranger, je travaille beaucoup la sensibilité de transmettre les œuvres d’art, des œuvres picturales, peintes, qui me permettent de sensibiliser sur des questions sociétales.

Par exemple, dans une de mes dernières expositions, j’ai insisté sur la façon de faire travailler nos imaginaires sur les chamboulements des différentes crises (Covid-19, guerre, inflation, climat) qui transcendent et bouleversent nos modes de vies et nos représentations du monde. Ce qui m’intéresse, c’est de faire dialoguer les deux : l’art et la sociologie. L’imaginaire artistique autorise à faire passer des questionnements de manière différente que ce que permet la science.

C’est dans l’air du temps de dialoguer entre science et art sur des sujets communs, dont le temps libre. L’art permet d’interroger la science, et vice versa. C’est une manière extraordinaire et puissante de questionner nos consciences, nos représentations, nos sensibilités.

Julien Buot : Qu’avez-vous pensé de l’exposition d’art contemporain à la fondation EDF l’année passée sur le thème « Faut-il voyager pour être heureux ? » ?

Bertrand Réau : C’est un de mes regrets, mais je n’ai pas pu aller voir cette exposition. En revanche, j’ai lu ce qu’a écrit Étienne Fugier à son sujet, dans la revues Monde du Tourisme. 

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