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[Tribune de Julien Buot] Le surtourisme, un concept maladroit et surmédiatisé dont il faut abandonner l’usage ?

Récemment, Venise se voyait une fois de plus menacée d’être inscrite par l’Unesco sur la liste rouge des sites en péril du patrimoine mondial de l’Humanité. Et ce, notamment en raison d’une évaluation des « dégâts » causés par le tourisme, au-delà des risques inhérents au changement climatique et à la submersion marine (auxquels contribuent aussi les émissions de gaz à effet de serre issues du tourisme).

D‘autres destinations touristiques majeures pourraient être menacées de rejoindre la liste des 56 sites dont la valeur universelle exceptionnelle est remise en cause, et de plus en plus souvent à cause d’une mauvaise gestion des flux de visiteurs. Au-delà du problème de définition précise du surtourisme, qui laisse libre cours à une interprétation à géométrie variable parfois problématique, la surmédiatisation du phénomène n’entretient-elle pas les problèmes de surfréquentation ? La publicité ainsi faite sur ces sites saturés est certes mauvaise. Mais ne dit-on pas que toute publicité est bonne à prendre ?

Un phénomène à la croissance exponentielle

En plein Revenge Travel post-Covid-19, nous pourrions presque retrouver en 2023 les chiffres record de 2019 avec plus d’1,5 milliard de touristes internationaux (versus près de 700 millions en 2000 et à peine 25 millions en 1950…). « 100 millions de touristes en France en 2020 », c’était l’objectif fixé en 2014 par Laurent Fabius, alors brillant ministre français des Affaires étrangères (et du tourisme).

On ne parlait pas encore de surtourisme. La France accueillait en réalité déjà bien plus de 100 millions de touristes par an, quand on ajoutait aux visiteurs étrangers les « touristes domestiques », nombreux en France, qui ne partent pas à l’étranger pour leurs vacances. Un positionnement en nombre de touristes internationaux est caractéristique d’un dogme macroéconomique de la croissance infinie sur une planète dont on connaît de plus en plus les limites.

Dans des pays très touristiques, la qualité du phénomène (et de l’expérience visiteur) est de plus en plus contestée. De nombreux décideurs politiques et économiques croient encore trop à une vision idéalisée du tourisme, alors que les mouvements citoyens de tourismophobie se multiplient.

Une remise en cause du droit aux vacances ?

Le retentissement médiatique du surtourisme, notamment depuis 2017, année internationale du tourisme durable pour le développement, est salutaire, car il invite à questionner la qualité et la gestion de cette croissance touristique. Mais la surmédiatisation des problèmes de surfréquentation cacherait aussi pour certains une invitation à contester le droit aux vacances pour tous.

Faudrait-il ainsi réserver la pratique touristique à certains publics, issus d’une élite pouvant se permettre de payer des droits d’accès, à d’autres visiteurs caractérisés par leur nationalité (française ?) ou enfin à ceux ayant économisé suffisamment de crédits carbone pour pouvoir voyager ?

La découverte des merveilles du patrimoine mondial comme de nombreuses petites pépites des territoires nationaux devrait-elle être réservée (encore davantage) à certains, et rendue accessible uniquement sous certaines conditions de ressources, de nationalités ou de poids carbone ? L’article 24 de la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 proclame que « toute personne a droit au repos et aux loisirs et notamment à une limitation raisonnable de la durée de travail et des congés payés périodiques ».

Or le taux de départ en vacances en France plafonne à 60 % de la population, voire régresse depuis plus de 20 ans alors qu’il n’avait cessé de progresser tout au long du XXe siècle. Certains chercheurs comme Bertrand Réau, Timothée Duverger, ou Jean Viard invitent à repolitiser le temps libre et à se fixer un objectif ambitieux de taux de départ de 80 %, au niveau de celui atteint par certains pays d’Europe du Nord.

Un phénomène aux contours mal définis et exagérés

L’autre problème de la surmédiatisation du surtourisme réside dans le fait qu’il s’agit d’un concept aux contours mal définis et parfois très exagérés. Si l’augmentation des problèmes de surfréquentation est incontestable, la très grande majorité des sites touristiques sont très bien gérés, évalués et font l’objet de politiques publiques adaptées aux enjeux.

Et quand il existe des problèmes de saturation, ils sont très souvent limités à quelques heures de la journée et seulement quelques jours de l’année. Les collectivités du réseau des grands sites de France ont démontré qu’il est tout à fait possible d’accueillir de nombreux touristes, y compris dans des espaces naturels sensibles.

« Le retentissement médiatique du surtourisme est salutaire, car il invite à questionner la qualité et la gestion de cette croissance touristique »

À condition de travailler la gestion des flux et l’aménagement des destinations, en concertation avec tous les acteurs, les élus, les associations (y compris celles de la conservation du patrimoine tant naturel que culturel et humain), les habitants, les professionnels… Il est aussi crucial d’y associer les visiteurs et de bien les informer par tous les canaux possibles : signalétique, presse, réseaux sociaux, etc. et faire relayer ces messages par tous les professionnels.

Il est des endroits où un touriste par an est peut-être de trop, quand d’autres sites peuvent accueillir de façon « responsable » dix mille touristes par jour. Et il s’agit de suivre l’évolution, car un site fragile peut être mis en tourisme progressivement et de façon respectueuse de l’environnement.

De même, une destination populaire et très visitée peut dépasser des capacités de charges avec des seuils à surveiller. Mais l’intense couverture médiatique du surtourisme entretient la diffusion d’images sur ces destinations. Pas très flatteuses, parfois accompagnées de campagnes de démarketing, ces images invitent à questionner la qualité de l’expérience client et les impacts négatifs du tourisme.

Mais elles sont toutefois autant d’occasions pour les visiteurs potentiels d’avoir ces destinations en tête. Bref, une « mauvaise » publicité est tout de même une publicité… Pour certains voyageurs, ces images peuvent même donner envie d’y aller « avant qu’il ne soit trop tard ».

Place aux solutions !

Dans ce contexte, pourquoi ne pas proposer aux médias d’évoquer toutes ces solutions mises en place pour assumer la popularité des sites touristiques et assurer la bonne gestion des flux? Et pourquoi ne pas les inviter à parler davantage du sous-tourisme et des sites en quête de fréquentation, beaucoup plus nombreux que les sites dits saturés ?

De plus en plus de touristes sont curieux et invités à découvrir à contre-courant des destinations insoupçonnées et des pépites inattendues, parfois à proximité des sites très fréquentés ou au contraire dans les diagonales du vide de l’Hexagone. Mais il ne faut pas toujours croire que les visiteurs vont se détourner facilement des sites majeurs qui leur ont fait choisir une destination. Même si la diffusion dans l’espace et le partage des bénéfices à un plus grand nombre de territoires, tout comme l’allongement des durées de séjours, sont à recommander.

Pour « faire face » aux pics de surfréquentation, on évoque aussi souvent l’idée d’une diffusion dans le temps avec un tourisme « 4 saisons » et l’animation des « ailes de saison ».

La mise en place de quotas est souvent un aveu d’échec, ou du moins d’un manque d’anticipation…

Encore faut-il être en capacité d’assumer la capacité d’accueil à des périodes moins propices en termes de météo, d’accessibilité, de personnels disponibles, etc. Il faut rester lucide sur les réalités des pratiques touristiques qui sont contraintes pour certains publics et pour certaines pratiques par les saisons, les heures de jour et/ou d’ensoleillement, les calendriers scolaires, etc. Il s’agit donc d’attirer les voyageurs aux heures creuses, qui existent même en pleine saison.

D’où l’importance de bien penser la répartition des touristes dans le temps, mais à l’échelle de la journée, pour inviter le voyageur à se détourner temporairement du site majeur à visiter pour mieux y revenir à un horaire plus adapté. Des innovations permettent de découvrir des sites inattendus et sous fréquentés à proximité en prolongeant la durée de sa visite.

Affluences permet un affichage en temps réel du taux de remplissage des sites avec des prévisions à l’avance. Waze ouvre une fenêtre pop-up aux voyageurs programmant une visite du Colorado provençal un 15 août à 14h… en lui proposant de détourner sa route pour aller voir des pépites à proximité et de décaler son arrivée sur le site en fin d’après-midi voir en soirée pour en profiter de manière si ce n’est exclusive du moins de manière plus originale, qualitative et avec moins de foule et de bousculades…

La mise en place de quotas est souvent un aveu d’échec, ou du moins d’un manque d’anticipation, et la dernière des mesures à prendre après avoir essayé les autres méthodes de régulation, d’aménagement du territoire et de stratégies marketing de dispersion dans le temps et dans l’espace.

Une opportunité pour les professionnels du voyage

Les entreprises seraient inspirées de communiquer sur leur savoir-faire et leur valeur ajoutée en matière de production d’expériences, sinon exclusives, du moins exceptionnelles, hors des sentiers battus, ou sur des sites incontournables mais à des moments inattendus. Elles participeraient ainsi à la lutte contre le surtourisme et l’assumeraient, à l’image de Guillaume Linton, PDG d’Asia, intervenu en ce sens sur le plateau de France Info TV le 12 septembre dernier.

Car, au fond, le surtourisme n’est-t-il pas lié à l’accumulation de touristes individuels qui ne confient pas l’organisation de leurs vacances à des professionnels et qui s’agglutinent au mauvais moment au mauvais endroit ? Contrairement à la décarbonation du tourisme qui invite à agir vite et bien face à l’urgence climatique, il est aussi possible de parier sur le temps long d’une régulation par l’évolution des comportements des touristes.

L’histoire du tourisme réside en partie sur un cycle, cher au géographe Pierre Torrente, avec des « élites » qui créent une destination, suivies d’une « masse » de touristes, ce qui a tendance à chaque fois à faire fuir l’élite qui invente de nouvelles destinations. On en a justement récemment débattu dans trois destinations très différentes, mais où les forces en présence se disent toutes attentives au risque de « surtourisme » : la Baie de Somme où s’est déroulé le séminaire ATR, Paris où s’est tenu le salon IFTM Top Resa et Séville où Eventiz Media Group a organisé le forum A World For Travel du 17 au 19 octobre.

Julien Buot, directeur d’Agir pour un Tourisme Responsable (ATR) et secrétaire des Acteurs du Tourisme Durable (ATD)

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1 commentaire
  1. Anonyme dit

    Bonjour Julien. Non, il ne faut pas abandonner le concept de surtourisme et en tant que directeur d’Agir pour pour un tourisme, je m’attendais à ce que vous ayez une approche et une attitude plus sociologique et écologique. Mais je ne suis pas inquiet pour le futur. Devant le changement climatique, on devra obligatoirement changer et cela, c’est pour bientôt. Jusqu’en 2025, on assistera à une « tourisme revanche » (p/r à ce qui s’est passé du temps du COVID-19), ensuite, je ne suis pas sûr que le tourisme battra des records. Alors, il faudra mieux se pencher sur un tourisme de proximité, responsable, social et circulaire. Robert Lanquar, Ph.D. (ma thèse espagnole porte là-dessus)

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