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Le transport vers la Corse à la dérive

« Crises à répétition de la SNCM, monopole aérien d’Air France et de la CCM, tarifs élevés… : les conditions du transport entre le continent et la Corse ont toujours été complexes. La faute au système de « la continuité territoriale ». »

Au début du mois de mars, Easyjet annonçait en fanfare l’ouverture de cinq lignes au départ de France dont Paris-Ajaccio, prévue à partir du 14 juillet. Quinze jours après seulement, la compagnie à bas tarifs était contrainte de faire machine arrière devant la fin de non recevoir opposée par la Direction générale de l’aviation civile (DGAC).

Justification : opérée exclusivement par Air France et CCM Airlines au titre d’une obligation de service public, la ligne ne peut être exploitée par un autre opérateur. Trois mois plus tard, le 30 mai, la Commission européenne donnait son feu vert à la privatisation de la SNCM, épilogue d’une longue crise qui a secoué le transport maritime France-Corse depuis l’automne 2005.

Une obligation de service public

Ces deux événements montrent à quel point les conditions de transport vers la Corse sont problématiques. Cette situation parfois ubuesque découle directement du statut spécifique qui les régit depuis 1976 et qui oblige l’Etat français à assurer la continuité territoriale entre le continent et la Corse.

L’objectif était à l’époque de corriger les difficultés de transport vers l’île du fait de son relatif éloignement. Dans le cadre d’une obligation de service public (OSP), un monopole des liaisons maritimes au départ de Marseille avait alors été donné à la SNCM et sa filiale la CMN (Compagnie méridionale de navigation) pour 25 ans. Trois ans plus tard, le principe de continuité territoriale était étendu au transport aérien, d’abord avec les lignes vers Ajaccio, Bastia, Calvi et Figari au départ de Marseille, Toulon et Nice, puis aux lignes Paris-Corse. En 2001, pour qu’il devienne compatible avec les exigences européennes, le système fut néanmoins assoupli dans le secteur maritime avec la création d’un dispositif d’aide sociale assorti d’OSP plus légères au départ de Nice et Toulon, cette fois-ci avec des subventions liées au nombre de passagers transportés, donc beaucoup plus incitatives.

Dans le même temps, l’Assemblée de Corse confirmait à nouveau la délégation de service public maritime au tandem SNCM/CMN à l’issu d’un appel d’offres européen. Cette délégation, qui s’achèvera au 31 décembre prochain, devrait être ré-attribuée dès le mois de septembre, jusqu’en 2012.

Côté aérien, ce sont toujours Air France et son franchisé CCM Airlines qui exploitent de manière exclusive les lignes entre la France et la Corse, et semblent bien décidés à en garder le contrôle. Car même si les obligations de service public sont contraignantes, l’enveloppe budgétaire attribuée chaque année par l’Etat est très coquette. Rien que pour l’année 2005, elle se montait à près de 174 ME, aérien et maritime confondus !

Une demande insatisfaite

Mais le problème est que, par rapport à la situation existant il y a trente ans, les conditions de transport entre la France et la Corse ont radicalement changé. Qu’on en juge ! Les deux lignes Paris-Ajaccio et Paris-Bastia totalisent à elles deux 758 539 passagers. Et pointent aux quatorzième et quinzième positions du classement des lignes Paris-province selon les chiffres de la DGAC. Et, avec un trafic respectif de 261 190 et 250 036 passagers, les lignes Marseille-Ajaccio et Marseille-Bastia figurent dans le tiercé de tête des lignes transversales province-province !

On comprend donc les velléités d’Easyjet à vouloir bousculer le ronron d’Air France et de la CCM. Il faut savoir que les obligations de service public sont extrêmement contraignantes aussi bien en termes de capacités que de tarifs, avec la très forte saisonnalité qui impacte toutes les lignes, justifie Luc Bereni, directeur commercial de CCM Airlines. Il n’est pas rare que sur certaines rotations en hiver, nous ne dépassions pas 30 % de remplissage, poursuit-il. Selon l’Observatoire régional des transports de la Corse, la saisonnalité est telle que le trafic aérien triple entre janvier et août, alors que le trafic maritime est multiplié par 15. J’attends qu’Air France m’explique quelle est l’utilité d’une obligation de service public sur les lignes comme Paris-Ajaccio qui font près d’un demi-million de passagers à l’année, pointe François Bacchetta, directeur général France d’Easyjet. L’argument de la forte baisse des remplissages en hiver ne tient pas. Toutes les compagnies perdent de l’argent à cette période. Côté tarifs, il y a de quoi aussi s’étonner de voir des tarifs A/R pour un Paris-Ajaccio dépasser des Paris-Madrid, Paris-Rome ou Paris-Francfort ! Nous pourrions fournir un meilleur service à un meilleur prix sans subvention avec un aller-retour à partir de 70 E, regrette François Bacchetta.

A l’aéroport d’Ajaccio, on déplore également qu’Easyjet ait du faire machine arrière. Il existe véritablement une demande insatisfaite et une possibilité de développer l’offre vers Paris au départ de la Corse. Il est dommage qu’Easyjet qui avait des créneaux disponibles à Orly ait demandé des droits réguliers alors qu’elle aurait pu exploiter la ligne en charter, considère Sandrine Ceccaldi, directrice d’exploitation de l’aéroport d’Ajaccio.

L’éviction d’Easyjet est d’autant plus décevante que la low cost ne voulait exploiter la ligne que de manière saisonnière avec seulement 15 000 sièges pour la saison, ce qui aurait eu pour effet de pallier le retrait de certaines compagnies charters comme Corsair, sans vraiment bouleverser la donne Air France/CCM. Il est clair que le système de la continuité territoriale est un peu bloquant même s’il a pu maintenir une offre de transport vers la Corse depuis 30 ans. Pour autant, les obligations de service public sont tellement coercitives qu’il n’y a aucun moyen de développer les lignes. Il serait préférable d’évoluer vers un système plus incitatif comme l’aide sociale, qui existe déjà dans le secteur maritime, explique Sandrine Ceccaldi.

Des traversées à 5 E

Ce mode opératoire a été mis en place depuis janvier 2002 pour les lignes exploitées par Corsica Ferries, au départ de Nice et Toulon, dans le cadre d’une ouverture à la concurrence des liaisons maritimes France-Corse. Cette aide fixée à 15 à 20 E par passager est versée par la Collectivité territoriale corse pour certaines catégories de passagers dits sociaux, comme les résidents corses, les personnes âgées, les familles nombreuses, les étudiants… Nous avons utilisé cette aide pour baisser nos tarifs et avoir une politique commerciale agressive qui nous a permis de récupérer une part importante de trafic, précise Pierre Mattei, directeur général de Corsica Ferries.

A la faveur de cette politique qui lui a notamment permis de proposer des traversées à partir de 5 E , et sous l’effet de la crise qui a agité la SNCM en septembre-octobre 2005, Corsica Ferries détient désormais près de 60 % de parts de marché sur le trafic France-Corse. Elle a ainsi passé la barre des deux millions de passagers l’année dernière entre le continent et l’Ile de Beauté, soit une augmentation de 11,8 % par rapport à 2004.

Avec l’aide sociale, nous avons perçu 14 ME en 2004, contre 66 ME à la SNCM pour le service de base au départ de Marseille et le service complémentaire, qui concernent les obligations de service pour la haute saison [vacances scolaires et d’été, ndlr]. C’est pourquoi nous demandons l’extension de l’aide sociale à l’ensemble des lignes maritimes opérées au départ de France, poursuit Pierre Mattei.

Toujours extrêmement combative, la compagnie italienne promet de suivre avec une grande attention l’évolution de la privatisation de la SNCM. Après être intervenu une première fois contre la recapitalisation de 66 ME réalisée en 2003, nous sommes prêts à déposer un nouveau recours devant la Commission européenne dans le cadre du renflouement de 140 ME opéré par l’Etat, prévu dans le plan de reprise. Et dans le cadre de l’appel d’offres, nous sommes prêts à venir à Marseille pour venir concurrencer directement la SNCM.

Un frein pour le développement de l’île

Face aux multiples difficultés à développer le transport entre la France et la Corse, les agences de voyages locales sont extrêmement mécontentes et ne voient pas de moyens de sortir de l’impasse. Il est clair que dans ce système le but recherché est de protéger Air France et le port de Marseille. Effectivement, la généralisation de l’aide sociale serait un bon moyen de faire jouer une meilleure concurrence. Encore faudrait-il être sûr que l’argent aille bien aux compagnies et rien qu’aux compagnies !, remarque Marc Filippi, gérant des agences Trinitour Destination Corse (Tourcom), sises à Corte et Porto Vecchio.

Jean-Marc Ettori, PDG de Corsicatours et responsable de 6 agences Thomas Cook, est encore plus cinglant : En trente ans, le monde a changé mais pas le transport en Corse. C’est une hérésie d’avoir dépensé autant d’argent pour les navires de la SNCM qui coûtaient aussi cher. Je ne sais pas si la privatisation va changer quelque chose. Et de dresser un constat accablant pour le transport aérien : Le prix des billets est en baisse partout, sauf vers la Corse. Les aides et subventions sont extrêmement néfastes car cela a fait disparaître les vols charters au départ de France et cela a incité la CCM à supprimer les vols vers la Corse depuis la province pour se concentrer sur les vols de Paris plus lucratifs.

Pour l’ensemble des agences de voyages locales, le système actuel est donc un frein très important pour le développement de l’île. La privatisation de la SNCM pourrait peut-être changer un peu la donne, avec en ligne de mire le résultat de l’appel d’offres qui sera dévoilé en septembre. Mais les enjeux politiques et le montant des subventions est tel qu’il y a fort à parier que la situation, tant dans le secteur maritime que dans l’aérien, aura encore bien du mal à évoluer. Veolia Transport et Butler Capital Partners n’ont-ils pas conditionné leur entrée dans le capital de la SNCM à la reconduction à l’identique du cahier des charges concernant les liaisons entre Marseille et la Corse…

Il est clair que dans ce système, le but recherché est de protéger Air France et le port de Marseille.

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