Quand la géopolitique fait exploser les litiges
Les risques d'attentats, mais aussi de catastrophes naturelles ou sanitaires, influent de plus en plus sur les choix de destinations. Agences et TO doivent composer avec une hausse des litiges liée à l'annulation de forfaits.
La Turquie, comme la Tunisie, le Maroc ou encore l'Egypte, figurent désormais tout en haut de la liste noire des voyageurs. Le nouvel attentat survenu samedi 19 mars au coeur d'Istanbul, dans la grande avenue piétonne Istiklal, et qui a fait quatre morts et une trentaine de blessés, va détourner un peu plus les touristes du pays, déjà stigmatisé pour sa politique internationale, le problème kurde et la crise des migrants.
Des annulations qui font litiges
Les spécialistes de la destination doivent-ils s'attendre à des annulations ? Les carnets de commande sont déjà au plus bas, mais "il est certain que les clients qui ont prévu de partir en Turquie vont se poser et nous poser des questions, même ceux qui avaient choisi en connaissance de cause", remarque Cécile, conseillère voyages.
Cette inquiétude latente désormais, chaque fois qu'une décision de voyages est prise, le secteur en ressent les conséquences. Ce ne sont pas seulement les prises de réservations qui stagnent, ce sont aussi les litiges liés à la vente de forfaits qui augmentent.
Dans son rapport 2015, la Médiation Tourisme et Voyage pointe le phénomène. Les réclamations liées à l’annulation de voyages à forfait sont devenues l'année dernière la deuxième cause de saisine du Médiateur, alors qu’elles n’arrivaient qu’en quatrième position en 2014.
Certes, elles ne représentent que 13% du total, très loin derrière le transport aérien qui occasionne toujours la majorité des litiges (48%). Mais leur augmentation exponentielle est directement liée "aux nombreux évènements géopolitiques (attentats et conflits intervenus dans plusieurs pays) et climatiques (tremblement de terre au Népal) en 2015", juge le rapport de la MTV.
Ces évènements ont de fait modifié les parcours de nombreux circuits, ou provoqué l’annulation pure et simple de voyages dont le bon déroulement était compromis. "On remarque que, dans certains cas, ce type de situation entraîne des réclamations suite au mécontentement de voyageurs qui veulent maintenir leur séjour dans une zone qui peut être risquée. À l’inverse des voyageurs souhaitent annuler leurs réservations alors que leur pays de destination est jugé sûr par leur prestataire", remarque le médiateur, Jean-Pierre Teyssier.
Le Maroc dans le collimateur
Certaines destinations, dont le taux de litiges a enflé, sont par ailleurs pénalisées par le durcissement des formalités justifié pour des raisons de sécurité. Ainsi le Maroc est-il entré l'an dernier dans le Top 5 des pays "champions des litiges" derrière la France, les Etats-Unis, l'Italie et devant l'Espagne. Pour le royaume chérifien, cette mauvaise performance n'est en aucun cas la rançon du succès, les départs en février 2016 y ont encore baissé de 22%. C'est clairement les nouvelles règles concernant les formalités d'entrée qui ont fait litiges.
"Certains voyageurs ont pu être surpris par cette nouvelle procédure (qui dorénavant impose le passeport NDLR) et se sont ainsi vus refuser l’entrée au Maroc. On retrouve logiquement un nombre très supérieur à la moyenne de litiges causés par un problème de formalités administratives", note la MTV en commentant la répartition géographique des saisines en 2015.
Pour autant, si la géopolitique influe sur les intentions de départ des Français, il convient de relativiser. Le dernier baromètre Opodo, réalisé par Raffour Interactif indique ainsi qu'à la question "Les risques d’attentats et les conflits armés vont-ils influencer votre façon de préparer, réserver ou vivre vos séjours de loisir en 2016…?", 62% des interrogés répondent encore non, contre 27% oui. 12% ne se prononcent pas.
L'économie plus que la géopolitique
"Les 27% de Français qui se disent influencés, nous expliquent de façon spontanée qu'ils désirent éviter les pays jugés à risque : Maghreb, pays musulmans", détaille Guy Raffour. "Ils privilègeront davantage la France et l'Europe, s'informeront encore plus en temps réel sur le site du MAE notamment, s'inscriront sur Ariane s'ils partent à l'étranger et demanderont davantage conseil aux professionnels, décaleront la décision finale du lieu de séjour, et feront sans doute plus de séjours dans la famille, éviteront les lieux très fréquentés".
"A date, et sous réserve d'évolution ou d'évènements majeurs, cela ne devrait cependant pas influer sur le taux de départ en tant que tel en 2016. La principale raison qui explique le taux de départ en baisse de deux points en 2015 est toujours l'insuffisance de revenu disponible", indique Guy Raffour dans son étude annuelle."