EDITO. Fram vend son âme à Abu Dhabi

Mais les temps changent… Le 5 décembre 2023, l’entreprise française Karavel qui coiffe Fram a annoncé son rachat par un groupe diversifié émirati.

La transaction fait l’effet d’une petite bombe dans l’industrie du voyage. Philippe Polderman, le fondateur de Fram en 1949, doit effectivement se retourner dans sa tombe : une filiale d’un fonds souverains d’Abu Dhabi rachète ainsi le voyagiste aux accents si longtemps toulousains. Un vrai tournant pour Karavel, jusqu’ici soutenu tour à tour par les fonds d’investissement français Equistone et LBO France.

Plus précisément, c’est Adnec (pour Abu Dhabi National Exhibitions Company*) qui met la main sur le groupe français, avec des objectifs stratégiques. Difficile de croire qu’Alain de Mendonça et Folco Aloisi, les fondateurs talentueux de Karavel qui ont redressé plusieurs sociétés, auront les mains libres. Même s’ils restent actionnaires, et n’abandonnent pas le navire.

D’ailleurs, auront-ils envie de rester aux manettes ?

Parce que, avant même le feu vert des autorités, l’Emirat prend ses aises. Jugez plutôt : « Ce tournant stratégique soutiendra également la vision du tourisme d’Abou Dhabi, qui ambitionne de faire de la capitale des Emirats arabes unis une destination mondiale pour la culture, les loisirs et le tourisme d’affaires », explique Adnec dans un communiqué. « Nous travaillerons en étroite collaboration avec les parties prenantes, à l’instar du département de la culture et du tourisme à Abou Dhabi, pour renforcer notre pôle d’activité et créer un champion du tourisme à Abou Dhabi », est-il ajouté.

Tout en se développant à l’international, Karavel devrait donc servir de tremplin à un pays pétrolier en pleine reconversion ? A une destination cherchant à émerger entre la bling-bling Dubaï, et l’Arabie saoudite, qui voit dans le tourisme un nouveau carburant. 

Il est d’ailleurs intéressant de voir que le communiqué de Karavel est totalement différent de celui d’Adnec… Les citations d’Adnec que je viens de mentionner n’y figurent pas. 

La vente a dû rapporter un joli pactole pour que les Frenchies mangent ainsi leur chapeau…

En apprenant la vente de Karavel, on a comme l’impression que la Vieille Europe tire sa révérence. Qu’elle s’efface progressivement. Le centre de gravité change. Les capitaux sont ailleurs, notamment dans les pays du Golfe qui préparent leur sortie de l’or noir. Quant à l’Asie, portée par des classes moyennes grandissantes et un poids démographie colossal, elle prend peu à peu sa part du gâteau. Depuis 2015, le géant chinois Fosun est propriétaire de Club Med, dont il pourrait toutefois céder des parts.

En France, rares sont les voyagistes franco-français : MisterFly, Salaün, NG Travel… Pour combien de temps encore ?

Au cours des dernières années, d’autres grands groupes ont vendu des actions à des investisseurs étrangers, mais sans pour autant vendre leur âme. Afin d’accélérer leur développement, Voyageurs du Monde et Marietton ont fait monter le fonds américain Certares à leur capital. Un fonds qui joue pleinement son rôle d’accompagnateur, et sert véritablement la stratégie de ses protégés. Ce qui est une chance pour les patrons des deux groupes en question.

Linda Lainé, rédactrice en chef

@Linda_Laine

* filiale du fonds souverain d’Abu Dhabi ADQ (160 milliards USD sous gestion)

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