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Aérien : les carburants durables ou Saf, c’est quoi ?

Dans l’aérien, quels sont les différents leviers de la décarbonation et les principales difficultés ? Le point avec Thomas Boigontier, analyste technologies climat au sein du Think Tank Zenon Research.

L’Echo touristique : Quelle place occupent les carburant durables, appelés Saf (pour « Sustainable aviation fuel »), dans la trajectoire de décarbonation de l’aérien prévue à l’horizon 2050, par rapport aux autres leviers ?

Thomas Boigontier : Dans leurs scénarios de décarbonation totale, les acteurs du secteur comme l’Organisation de l’aviation civile internationale ou l’Air Transport Action Group ont considéré un panel de leviers. Parmi ces leviers, les Saf occupent une place majoritaire : ils seront responsables de 40% à 70% de la réduction des émissions, d’ici à 2050, d’après les estimations actuelles. Les Saf sont ainsi considérés comme le levier principal de la réduction des gaz à effet de serre. C’est même la clé de voute de la décarbonation, même si tous les leviers jouent un rôle.

Et pour vous, c’est également la clé de voute ?

Thomas Boigontier : Les Saf vont jouer un rôle majeur, puisqu’ils sont utilisables sans remplacer les avions ni leurs technologies actuelles. Changer une flotte prend énormément de temps et n’est pas neutre en carbone. Les électro-carburants, appelés e-fuel ou e-Saf, sont particulièrement prometteurs : cette ressource pourrait être quasiment illimitée, puisqu’elle dépend de notre capacité à développer les énergies renouvelables. C’est un gros levier mais insuffisant. Les seuls scénarios qui parviennent au net zéro en 2050 intègrent des leviers de réduction de la demande, telles l’augmentation du prix des billets d’avion ou bien des restrictions sur les vols affaires ou tourisme. Pour moi, les Saf ne suffiront pas, il ne faut pas se voiler la face.

Donc, la réduction de la demande vous semble impérative ?

Thomas Boigontier : Pour limiter le réchauffement climatique à 2 degrés, l’Accord de Paris conclu à la Cop21 de 2015 prévoit la neutralité carbone en 2050 pour chaque secteur d’activité. Dans ce cadre, l’aviation ne pourra pas l’atteindre sans une réduction de la demande qui peut prendre plusieurs formes.

Maintenant, certains secteurs seront plus faciles à décarboner que d’autres, comme le transport routier grâce à l’électrification, et l’énergie grâce au renouvelable. Ils pourraient ainsi atteindre la neutralité avant 2050. Ces secteurs pourraient prendre une part des efforts que doit fournir l’aviation pour atteindre cette neutralité, dans un objectif global. Tout dépend des choix opérés.

Les e-Saf, au potentiel considérable, présentent beaucoup moins d’externalités négatives que les biocarburants. Mais ils ne sont pas encore disponibles pour les compagnies aériennes.

Quelles sont les différentes typologies de Saf : les biocarburants et les carburants de synthèse appelés e-Saf ?

Thomas Boigontier : Oui, les biocarburants s’appuient sur différentes technologies, comme le HEFA également utilisé pour le transport routier et l’essence sans plomb. Ils utilisent notamment les huiles de cuisson usagées ou la biomasse comme des déchets agricoles ou des résidus de foresterie. Ce sont uniquement les biocarburants produits par le procédé HEFA qui sont aujourd’hui utilisés. Mais ils présentent de nombreuses limites, comme des conflits d’usage. Il y a aussi les e-Saf, au potentiel considérable, avec beaucoup moins d’externalités négatives, mais qui ne sont pas encore disponibles pour les compagnies aériennes. Pour l’instant, leur technologie est toujours au stade de développement.

Le Saf émet-il autant de carbone qu’un carburant traditionnel, dit-on. Eclairez-nous sur ce point…

Thomas Boigontier : En fait, un Saf est un carburant qui a quasiment les mêmes propriétés qu’un carburant classique. Quand on le brûle, il émet donc les mêmes quantités de CO2 et de gaz à effet de serre que le kérozène. En revanche, lors de sa production, il absorbe du CO2 présent dans l’atmosphère. Et donc, au niveau des émissions totales, le Saf peut tendre vers des émissions proches de zéro dans un cycle presque parfait.

Un vol Paris-New York AR représente environ 2 tonnes de C02. A-t-on un ordre de grandeur précis et avéré avec des Saf ?

Thomas Boigontier : Tout dépend du procédé utilisé. Pour le vol transatlantique de Virgin Atlantic 100% Saf, la réduction des émissions atteignait 75% à 85% par rapport à un carburant classique.

Le patron de Lufthansa a aussi déclaré que, s’il voulait utiliser du Saf pour toute sa flotte, il lui faudrait utiliser la moitié de l’électricité produite en Allemagne… C’est un frein majeur. Qu’en pensez-vous ?

Thomas Boigontier : Oui, c’est très juste. Les carburants de synthèse demandent beaucoup d’électricité pour leur production. Et donc, que décide-t-on ? Utilise-t-on l’électricité, qui est précieuse, pour décarboner l’aérien ou un autre secteur ? Aurons-nous à terme suffisamment d’énergies renouvelables pour éviter de se soucier de tels arbitrages ? C’est possible. En attendant, la réduction de la demande fait effectivement partie des réponses possibles.

Visiblement, l’Europe a fait le choix des Saf pour l’aérien. Elle demande l’incorporation de 2% de Saf en 2025, 20% en 2035, 70% en 2050…

Thomas Boigontier : Oui. L’Union européenne a mis en place ces objectifs via son plan ReFuelEU. Elle a aussi décliné des sous-objectifs pour les électro-carburants, qui sortent progressivement de terre : 35% d’e-Saf à l’horizon 2050.

Les prix des e-Saf (carburant de synthèse, Ndlr) vont diminuer avec le développement de la production et de la distribution.

Il y a aussi un problème économique : les Saf coûtent 2 à 10 fois plus chers… Alors que les carburants représentent, déjà, 30% des coûts des compagnies aériennes. Comment résout-on l’équation ?

Thomas Boigontier : C’est présumé jusqu’à 10 fois plus cher pour les électro-carburants, qui ne sont pas encore disponibles à la vente. Il s’agit d’une estimation : les prix vont diminuer avec le développement de la production et de la distribution. Il y aura des effets d’échelle. La taxe carbone, que souhaite développer l’Europe – susceptible de renchérir les prix des billets d’avion – va réduire la différence de coûts avec le carburant classique.

Dernière question Thomas : qui est Zenon Research ? 

Thomas Boigontier : C’est un Think Tank français, développé en partenariat avec l’école des Mines de Paris et l’université PSL. Il s’intéresse aux technologies climat, pour aider les décideurs à comprendre les enjeux et les tendances sur le sujet. Jean-Baptiste Rudelle, l’ancien directeur général de Criteo, a créé le Think Tank en 2020, il en est le mécène principal, ainsi que l’université PSL. D’autres mécènes financent la structure, notamment de grands groupes de l’énergie.

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