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Le portraitiste des territoires

Fondateur de la chaire Attractivité et Nouveau Marketing Territorial de l'Institut de Management Public et Gouvernance Territoriale, Joël Gayet parle à l'oreille de ceux qui cherchent à dynamiser l'image de leur territoire. Passé par Publicis et le consulting, l'homme est féru de benchmarking afin de détecter ce qui se fait de meilleur dans le monde en matière d'a

Qu'est-ce qui a motivé la création de votre chaire ?

Joël Gayet : La raison, c'est le constat qu'un nouveau marketing territorial était en train de naître dans le monde et que cela nécessitait de créer en France un lieu pour suivre, analyser et échanger autour de ces nouvelles pratiques. Par ailleurs, j'ai toujours pensé qu'il fallait absolument aborder le marketing touristique, du moins à son niveau stratégique, par le biais de la transversalité, et aujourd'hui ce parti pris est en train de s'imposer partout. Le tourisme est de plus en plus intégré dans des stratégies globales d'attractivité.

Vous parlez de « nouveau » marketing territorial mais y en avait-il un ancien ?

Le contexte dans lequel se trouvent les destinations touristiques a complétement changé en quelques années : explosion de l'offre et une hyper-concurrence (une offre multipliée par trois d'après l'OMT d'ici 2025 quand la demande sera multipliée par deux), ralentissement de la consommation, accélération des crises, problèmes climatiques et écologiques, montée en puissance des métropoles, baisse des budgets des collectivités territoriales, individualisation, attentes de sens et recherche d'expériences émotionnelles fortes des clientèles et bien sûr avènement d'Internet, des réseaux sociaux, des outils de mobilité et des datas entraînant notamment une prise de pouvoir des clients mais aussi des citoyens et des salariés. Fondamentalement la relation au client, mais aussi au citoyen, a complétement changé et c'est le point essentiel. Les meilleurs dans le monde n'ont pas simplement fait évoluer leur marketing, ils ont renversé la table pour s'adapter à ce nouveau contexte entraînant de nouvelles pratiques, de nouvelles organisations et de nouveaux modèles de marketing.

Quels sont ces nouveaux modèles qui vous semblent pertinents ?

Ce sont des modèles qui s'appuient sur un marketing intégré (mise en synergie des secteurs, des acteurs et des actions), centrés sur l'excellence, l'innovation et les marques partagées ainsi qu'une relation directe et personnalisée du territoire avec tous les acteurs privés, les prospects et les clientèles. Ce « marketing 3.0 » comme l'appelle Kotler*, se fonde sur la création de liens et les effets de leviers. Il co-construit, partage et diffuse des offres expérientielles au sein d'écosystèmes d'excellence et de communication très puissants. Cela entraîne bien sur des bouleversements importants pour les structures institutionnels à l'image de ce qu'a fait Glasgow, Oakland ou Amsterdam où l'office du tourisme a été intégré au sein d'Amsterdam Marketing, une structure transversale avec des actionnaires privés et publics (dont la mairie) qui traite de toute l'attractivité. On parle ici d'un budget à 75 % par des fonds privés. C'est une vraie révolution.

Quid de la France ?

On commence à appliquer ce modèle en France. L'Alsace par exemple a supprimé son comité régional du tourisme pour créer l'agence d'attractivité Alsace. Désormais, 3 000 entreprises portent la marque Alsace d'attractivité. D'autres structures comme le CRT de Picardie réinventent leur métier et obtiennent un plébiscite des meilleurs professionnels du territoire. Un résultat d'autant plus intéressant qu'il faut reconnaître que dans beaucoup de cas, les entreprises les plus performantes des territoires sont souvent très critiques vis-à-vis des organismes institutionnels, allant jusqu'à mettre en cause leur raison d'être.

Faut-il partir du client pour définir sa stratégie marketing ?

Bien sûr que le client est capital et qu'il faut se centrer sur lui. D'ailleurs, grâce au numérique, les opérateurs performants ont une bien meilleure connaîssance du client qu'auparavant. On m'a souvent reproché de privilégier l'identité d'un territoire dans des démarches marketing au détriment du client. La raison en est simple : un territoire n'est pas un yaourt ! On ne peut changer les façades des immeubles pour les adapter aux goûts des clients. De plus, les organismes institutionnels ne contrôlent pas la qualité. Enfin, il faut savoir qui on est avant de savoir à qui l'on parle. En fait, dans un contexte d'hyperconcurrence, plus je connais et projette l'identité de mon territoire dans le marketing, plus je me démarque des autres (car mon identité n'appartient qu'à moi), plus je suis capable de rendre mes offres spécifiques, plus je peux cibler les clientèles qui me correspondent le mieux et, cerise sur le gâteau, plus je vais fédérer en interne. Une démarche indispensable aujourd'hui pour construire un marketing performant.

Qui crée de la valeur dans les territoires ?

Outre le patrimoine, sans aucun doute les habitants et les entreprises. Les habitants portent et incarnent l'identité du territoire. Dans le Sud-Ouest, il y a une phrase sur deux concernant l'accueil qui se termine par « avec plaisir ». Comme les chefs d'entreprises, ils sont susceptibles de devenir des ambassadeurs très performants en se mettant en lien avec les clientèles, sur la toile comme sur place, et en racontant l'offre qu'ils connaissent généralement bien mieux que les visiteurs. Demain les ambassadeurs seront au coeur de tout le marketing territorial. Regardez par exemple une marque comme Only Lyon qui a 19 000 ambassadeurs qui participent activement à la coconstruction du marketing. Les institutions sont d'abord là pour créer des conditions favorables au développement économique du territoire et accompagner le mouvement. Mais ce sont les acteurs du territoire qui doivent construire, porter et pour partie financer le marketing territorial.

Dans un contexte où tous les acteurs touristiques veulent être visibles, y a-t-il de la place pour tout le monde ?

Qui doit-on mettre en avant à l'international ? Sans doute pas ceux qui ne parlent pas anglais ou qui ont des chambres d'hôtels trop petites par exemple. Il n'y a pas d'autres solutions que d'avoir une stratégie basée sur l'excellence. Pour cela, il faut faire ce que font les secteurs de l'industrie, de la recherche, en créant des filières ou pôles d'excellence qui mettent en avant exclusivement les meilleurs et incitent les moins bons à s'améliorer. Cela demande un discours politique fort et copartagé par les acteurs privés référents qui sont prêts à financer ces stratégies.

Ne sont-ce pas toujours les mêmes qui sont sur le devant de la scène du même coup ?

Le marketing territorial se construit par le biais de territoires pertinents et de portes d'entrée. Si l'on demande à des Américains où ils souhaitent aller en France, ils vous citent en premier des villes, pas des régions. On peut faire la même expérience avec des Russes ou des Chinois. La porte d'entrée, ce sont des métropoles ! Après il y a des espaces identitaires extrêmement connus, comme la Provence, la Côte d'Azur, le Loire Valley, Brittany, Normandy… Quelques départements tirent leur épingle du jeu comme le Jura, la Vendée ou la Savoie /Haute Savoie avec la marque Savoie Mont Blanc. Les contrats de destination créés par le gouvernement vont d'ailleurs dans le bon sens sur ce point. Le CRT et les départements concernés de la région Paca se sont ainsi regroupés pour construire un contrat de destination autour de la Provence soutenu par plus de 200 professionnels. Manifestement beaucoup d'opérateurs attendaient cela.

La réforme territoriale : vrai ou faux débat selon vous ?

La réforme sera plutôt bénéfique en termes de construction d'offre et de mutualisation (back office du marketing) mais aura peu d'incidences dans le branding et les plans d'actions (à l'exception de la Normandie). Cela étant dit, je fais partie de ceux qui, sur le plan strictement attractivité et marketing, n'ont pas bien compris les critères qui ont orienté cette réforme qui devait d'abord renforcer la puissance des régions. Si l'on parle d'attractivité pour une région, la taille et le nombre de populations ne sont pas des critères pertinents. La puissance en matière d'attractivité relève d'abord de l'excellence et de la puissance de l'offre, du PIB, de la présence d'une métropole mais aussi de la force de l'identité et de la notoriété du territoire. Personne n'a évoqué ce dernier point lors de la réforme et cela resurgit maintenant que l'on se pose la question des noms des nouvelles régions. Un bon exemple avec Bourgogne Franche-Comté, cette dernière étant beaucoup moins connue que le Jura qu'elle comprend. La nouvelle région pourrait logiquement s'appeler Bourgogne Franche-Comté Jura. Il faut des noms puissants qui résonnent avec une image. Enfin, il aurait été utile d'interroger les entreprises et les habitants

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