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Sophie Baillot (Un Océan de Croisières) : « Pour entreprendre, il faut croire aux contes de fées »

Sophie Baillot est drôle, charmeuse, modeste. La directrice d’Un Océan de Croisières raconte la force d’entreprendre, même dans la tempête de la Covid, tout en assumant son rôle de maman, son autre passion. Elle craignait cet entretien, elle m’a accueilli avec un sourire, et, nous avons longtemps parlé. Et ri aussi.

L’Echo touristique : Sophie Baillot, qui êtes-vous ?

Sophie Baillot : Je suis une femme de 45 ans, deux enfants de 17 et 13 ans. Je mets toujours le côté maman en avant lorsque je me décris, parce que c’est ma base, mes deux jambes pour avancer. Je suis une entrepreneuse, une femme du tourisme.

Entrepreneuse et femme. Est-ce toujours compatible à l’heure actuelle ?

Sophie Baillot : C’est vraiment difficile et c’est fou parce que ça reste un sujet. Je crois qu’il y a des barrières qui ne sont pas tombées. Moi, par exemple, je lutte pour le « non genré ». Le droit à l’indifférence.

Aujourd’hui, entreprendre, que l’on soit homme ou femme, c’est le même combat, super dur. La période que nous traversons actuellement montre qu’il faut de l’endurance, de la pugnacité. Il ne faut rien lâcher. Il faut une force invraisemblable, homme ou femme. Alors, est-ce compatible d’être une entrepreneuse et femme ? C’est beaucoup plus difficile. Il y a eu ces postures, genre #metoo ou machistes, on en parle beaucoup… Dans la réalité, c’est juste une construction latine. En France, une jeune femme n’est pas accueillie de la même manière. Et si vous parlez un peu fort, tout de suite, on va penser que vous êtes hystérique. Difficile de faire passer son point de vue sans avoir besoin nécessairement de le justifier. Nous sommes tout aussi capables de penser, d’agir, de commander que n’importe quel homme. Et (pourtant) dans le milieu, particulièrement celui du tourisme, ce n’est pas simple.

Et concrètement, chez Un Océan de Croisières ?

Sophie Baillot : Nous sommes cinq associés*. Au début, quand j’ai repris l’entreprise, on a pensé que j’étais là pour faire joli, pour danser sur la poutre. Je n’avais pas de musiciens, donc je n’avais pas prévu de chorégraphie (rires). La réalité, c’est que je suis obligée de dire que c’est moi qui tient la baraque. Une femme doit être beaucoup plus fine et solide, parce qu’on va lui demander beaucoup plus. Ça va demander plus de temps. Tout est « plus » en fait.

Je milite pour le droit à l’imperfection.

Avec cette traversée du confinement, on a rajouté une couche supplémentaire. Je parle pour ces petites entrepreneuses dont je fais partie. La vraie vie de ces femmes comme moi, modestes, petites, c’est que l’on n’a personne pour nous aider à la maison. La mode, on lui court plutôt après, on n’a pas le temps d’être branchées… Je n’ai pas le temps de faire du yoga tout les matins, je ne mange pas nécessairement bio. Et quand je fais la cuisine à mes enfants, je fais « à manger » ! Je fais efficace (rires). C’est aussi notre réalité de femme… modeste. Être une femme et entreprendre, c’est accepter que l’on ne peut pas tout maîtriser. Je milite pour le droit à l’imperfection.

Entrepreneuse, ça vous est venu d’un coup ? Vous venez du monde de la communication…

Sophie Baillot : J’ai un parcours qui est plus complexe en réalité. Je crois que cette fibre d’entrepreneuse, elle est culturelle, elle est dans mes racines. J’ai grandi à la campagne, dans une famille de commerçants, bouchers, charcutiers, traiteurs…  Et horlogers. J’ai reçu l’idée de se lever tôt le matin, que les dimanches, les Noël, ce n’était pas trop la priorité ; c’est le client qui commande et que l’on doit servir. Il y a une seule règle dans la vie, que j’apprends à mes enfants, c’est le travail, encore le travail, toujours le travail. Il n’y a pas de secrets. Et quand on est nourri à ça, quand vient le moment d’entreprendre, ça parait assez naturel.

Mais non, je ne viens pas de la communication. Quand j’étais jeune, je voulais être danseuse (rires). Meneuse de revue même. La vie en a décidé autrement. J’ai grandi dans le tourisme. J’ai passé mon BTS Tourisme à 17 ans parce que mon papa était agent de voyages. Je vous fais grâce de ces autotours que nous faisions en Islande, en Autriche, alors que j’avais dix ans et que mes copines passaient leurs vacances au bord de la mer… Mais bon.

Tout de suite, j’ai été attirée par la croisière. Dès l’âge de 18 ans, j’ai accompagné des groupes à travers la planète, qui fut une formation « de terrain », « dans le dur ». Moins de 2 ans après, mon BTS en poche et parlant quatre langues, je me suis embarquée sur un navire de croisières. J’ai navigué aux quatre coins du monde. Avec le recul, lorsque je vois ma fille ne pas m’envoyer un SMS dès qu’elle est partie, je ne sais pas comment mes parents m’ont laissée partir à l’autre bout de la planète alors qu’à l’époque il n’y avait que du télex !

Mais ça a été formidable et donc je viens bien du tourisme. J’ai même remplacé des agents de voyages. A bord des bateaux, j’ai fait tout un tas de métiers, pareil dans l’hôtellerie où j’ai occupé presque tous les postes… Une expérience de terrain qui fut un enrichissement profond. Et j’apprends à mes enfants que le monde est un village.

La croisière, c’est venu dès le départ. Vous aimez la mer ?

Sophie Baillot : Oui, j’adore les bateaux de croisières…

Ces grands navires immenses…

Sophie Baillot : Oui, tous. Vous savez, arriver dans un pays par la mer, ou le quitter, il y a une forme de poésie. Arriver à La Valette par la mer, ou la quitter, au coucher du soleil, c’est magique. Traverser l’Atlantique et découvrir New York le matin, on en pleure. Une approche du voyage par la mer, cela a toujours correspondu à ma sensibilité. De plus, comme je voulais être meneuse de revue, j’ai toujours été fascinée par les spectacles sur les navires de croisières. Vous savez, la croisière, c’est la quintessence de ce que l’on fait de mieux en termes de spectacles, d’excusions, de gastronomie, de raffinement. On y croise des conférenciers, des historiens et on découvre le monde !

So Between, que vous avez créée en 2010, est d’ailleurs une agence de communication et la croisière…

Sophie Baillot : Je suis convaincue qu’il faut porter le marché de la croisière, sa diversité sur le marché, avec pédagogie.

C’est un parallèle avec ce que je disais, entreprendre, c’est toujours se remettre en question, être créatif. Le devoir d’un entrepreneur, en plus de doper le moral de ses équipes, c’est d’avoir un projet fédérateur. Il faut, sans arrêt, se remettre en question, avoir de nouvelles idées, travailler et se fixer des objectifs. Un vrai rempart contre la morosité et les doutes.

So Between, c’est bien, mais nous ne traitions que de la mise en lumière du produit. Je me suis dit qu’avec notre expérience de communication, la connaissance du produit, il fallait passer à une étape plus importante. D’où ma rencontre avec Olivier de Nicola et nos autres associés, qui eux sont associés à la partie « voyage », et du coup, tout fonctionne. Par exemple, nous avons réalisé, avec le magazine Gala, un « shooting » de mode hyper glamour à bord du Queen Mary. Nous en avons fait un film, ce qui résume assez bien comment les deux compétences peuvent s’allier : d’un côté, nous avions la présentation d’une croisière de façon très différente, de l’autre nous apportions une valeur ajoutée à la compagnie.

Nous allons écrire les choses différemment.

Finalement, était-ce compliqué de succéder à Rémy Arca, le fondateur charismatique d’Un Océan de Croisières ?

Sophie Baillot : Non. Je crois que cela a été plus compliqué pour les fondateurs associés de laisser les rênes, parce que, pour eux, c’est quelque chose qui se termine, à laquelle ils ont consacré beaucoup d’énergie. Nous n’avons pas le poids d’un héritage, nous allons donc écrire les choses différemment. Nous allons prendre intrinsèquement ce qui fait l’ADN de cette société, mais nous allons le moderniser et l’exprimer différemment. Le changement d’appellation le symbolise : nous sommes passés de de Compagnie Internationale de Croisières à Un Océan de Croisières, toutes les escales du monde. Avec le projet de se dire que nous faisons de la croisière maritime, mais nous n’allons pas nous interdire de faire de la croisière ferroviaire, aérienne… On peut faire beaucoup plus de croisières fluviales, comme le Mékong et le Nil, qui restent des produits exceptionnels. Nous n’allons rien nous interdire.

Vous savez, toutes les épreuves que nous avons rencontrées depuis deux ans, entre Thomas Cook et la Covid, prouvent qu’il faut changer notre façon de travailler dans le tourisme.

Ça remet d’ailleurs en question le « exclusivement BtoB ». Je n’en suis plus du tout convaincue. On va devoir travailler autrement : quels sont les acteurs de demain qui seront encore présents ? Quelles seront les attitudes du consommateur ? Quelles seront les attitudes des producteurs ? Comment cela va-t-il s’organiser, non seulement au niveau français mais également au européen et mondial ? Il va falloir rester agile et ne pas s’accrocher à une posture qui serait historique.

Remettez-vous en question le système de distribution actuel ?

Sophie Baillot : Non… mais je m’interroge. Parce que la crise que nous traversons pose la question. Moi, je ne suis pas prophète : il faut rester pragmatique et voir comment l’on peut s’adapter avec, si possible, un coup d’avance. Mais pas question d’avoir de grands principes philosophiques (rires). L’important, c’est de savoir comment préserver mes salariés, comment l’entreprise va passer le cap.

Justement, vous dîtes que vous vous vous battez pour sauver les emplois. Vous avez gardé tous vos salariés ?

Sophie Baillot : On fait au mieux. Pour l’instant, j’ai modifié un peu le prisme de distribution commerciale. Je n’ai malheureusement pas pu garder tout le monde… C’est une étape difficile parce que ce n’était pas l’objectif. Ce sont des moments compliqués dans la vie d’un entrepreneur. Mais on est obligé de les faire.

Les instances professionnelles se sont battues pour que nous obtenions le maximum d’aides, que nous soyons écoutés, entendus. Je voudrais d’ailleurs souligner tout le travail accompli par Jean-Baptiste Lemoyne (secrétaire d’Etat au Tourisme) et ses équipes, les EdV, le Seto… Mais nous n’allons pas vivre sous perfusion : la réalité est que, en tant qu’entrepreneur, on est obligé pour préserver l’entreprise de faire des choix. On ne va pas vous donner indéfiniment de l’argent à perte. Je me suis même insurgée contre ceux qui réclamaient encore de l’argent. Il faut trouver une solution pour passer le cap et c’est notre responsabilité en tant qu’entrepreneur.

Ce qui veut dire qu’avec les aides qui vous ont été accordées, vous pensez que c’est bon, ça suffit ?

Sophie Baillot : Oui. Ma ça nécessite -je le dis et redis-, du travail, du travail et encore du travail. Quand la crise a commencé, nous avons été touchés de plein fouet. Et les compagnies de croisières ne nous ont pas bercés d’illusion : elles ont prévenu qu’elles ne reprendraient les activités qu’au printemps 2021. Pas avant. J’ai immédiatement su que j’allais perdre 12 mois d’exploitation de navires. Comme ce n’est pas ma nature d’attendre que ça passe, nous avons mis de nouveaux outils en place. Il fallait garder le lien, entre nos équipes et j’y tiens beaucoup,

Moi, je suis maman célibataire, deux enfants et j’ai l’habitude de jongler dans ma vie : lancer une machine (à laver, ndDG), passer l’aspirateur… Mais j’ai mes enfants qui me tiennent. Certaines de mes coéquipières sont des femmes seules qui se sont retrouvées d’un seul coup bloquées à la maison, pour qui le travail était la réunion de projets pour avancer et donner du sens. Je vous assure qu’après un isolement, les vacances, un autre isolement, il faut être vraiment dans l’empathie.

Le télétravail ça fout le b…

Le télétravail, c’est loin d’être la panacée : dans les petites entreprises, ça fout le bordel. Quand on veut travailler sur un projet, il faut se voir, il faut discuter… Et ça permet d’avoir les gens « les yeux dans les yeux ». C’est ça une équipe ! Pour fédérer en temps de crise, il fallait un projet, d’où l’idée d’un magazine. Je trouvais obsolète l’idée du catalogue : des compagnies, des dates, des prix. Rien de mieux pour ne pas vendre. Donc, j’ai préféré lancer un magazine qui ne soit pas uniquement un appel à la consommation, mais plutôt un outil pour faire rêver. Cela nous a bien ressoudés. J’aurais aimé que ce magazine soit vraiment partagé par les agents de voyages, qu’ils le donnent à leurs clients. C’est tellement sympa, plein de témoignages de gens comme Mike Horn par exemple. De quoi rêver…

Vous savez, rêver, c’est la base. Et l’optimisme, ça se travaille. De toute façon, il n’y a pas 36 solutions : soit on est un insecte mort, soit l’on bat des ailes et on s’envole. La grande difficulté de cette crise, c’est que l’on a la sensation que c’est sans fin.

Je suis inquiète, particulièrement sur la distribution. Le tourisme, c’est une passion. Et les agents de voyages, dans leur ensemble, ont choisi ce métier parce qu’ils l’aiment. Sont-ils tous de bons gestionnaires ? Je ne suis pas certaine. S’ils sont obligés de rester fermer, si les compagnies aériennes se comportent comme elles le font… C’est un métier d’artisans. Un agent de voyages, c’est un orfèvre qui va tailler sur mesure le temps de vacances de ses clients. Les clients qui viennent leur confient le bien le plus précieux : du temps en famille qui sera irrattrapable, avec une valeur sentimentale forte. Je pense -je peux me tromper- qu’il y en a un paquet qui ont envie de jeter l’éponge.

La vraie force c’est d’avoir des enfants.

Vous êtes inquiète. Pourtant, vous êtes d’un optimisme rayonnant. C’est compatible ?

Sophie Baillot :  Oui, mais justement. Pour entreprendre vraiment, je crois qu’il faut avoir su rester un enfant et croire aux contes de fées. Si l’on vous dit, avant d’entreprendre, par quoi vous allez passer, vous partez en courant. En fait, je ne me pose pas la question : il y a des emplois qui en dépendent. Le matin, j’ai intérêt à me lever, y croire et trouver des solutions. Sinon, on n’est pas entrepreneur. De nos décisions, de notre capacité à rester optimiste, il faut trouver des solutions. Pas le choix, sinon tout s’arrête. La grosse difficulté, c’est entre le tenir bon et le lâcher prise. Et pour ça, il faut savoir rêver. C’est vraiment la capacité des femmes.

Les Femmes du Tourisme ont fait une enquête récemment : 68% d’entre nous pensons que ça va repartir et que nous allons continuer. 68% d’entre nous ! Et pourtant, nous sommes vraiment malmenées.

Je crois que la vraie force, c’est d’avoir des enfants. Ados, c’est la parade absolue à toutes les prises de tête (rires). Ça vous remet dans le vif du sujet : quelle que soit la crise, réviser les SVT (Sciences et Vie de la Terre pour ceux qui n’ont pas d’enfants, ndDG) ou basculer dans Parcours Sup vous remet dans les « priorités », avec aussi « qu’est-ce qu’on mange » ?… Souvent, on parle de ceux qui sont « en haut » … Mais la vérité, elle, est vraiment à la base.

En tant que femme, quel regard portez-vous sur le monde ?

Sophie Baillot : Je trouve que pour avoir une opinion sur le monde, sur les gens, il faut une culture insensée. Il faut une intelligence fine, il faut tellement de choses que je n’ai pas… Je ne me permettrai pas. Il faut savoir où est sa place. Je ne pourrai pas répondre à cette question. En revanche, ce que je pourrais dire c’est que, pour avancer dans ce monde-là, je sais très bien ce que je veux transmettre à mes enfants pour que, eux, aient les bases solides. Ça, je sais ! C’est mon devoir et mon rôle de maman.

Quel que soit le monde et la manière dont il va évoluer, je leur conseille à tous les deux depuis qu’ils sont petits, de croire en leurs rêves et de s’écouter -c’est hyper important- avec le cœur.

Ensuite, le travail. J’y reviens sans arrêt, mais c’est primordial. On n’a rien sans rien, ou du moins qui dure sans travail. Et enfin, l’ouverture. Mais la génération d’aujourd’hui est déjà comme ça : très altruiste, dans l’ouverture, le « non-genre ». C’est ça. Du coup, ma fille veut être militaire (rires)…

Mais voilà, je ne peux pas répondre à votre question… Vous seriez-capable d’y répondre, vous ?

C’est bien pour ça que je vous la pose…

Sophie Baillot : (rires). Je passe donc. Question suivante.

Sophie, avez-vous des regrets ? Et si vous pouviez changer quelque chose, que serait-ce ?

Sophie Baillot : Oui, un grand regret : j’aurais dû faire davantage d’études. Mais il n’est jamais trop tard. J’ai une phrase que j’aime beaucoup : « il faut toute une vie pour devenir soi » (rires). Quant à ce que je pourrais changer ? Rien, je suis tellement imparfaite, que je ferais tout pareil. Et puis ce serait renier tout ce que je suis, les joies et les bonheurs connus…

J’essaie de travailler sur moi, j’admire certains hommes et certaines femmes. Je me souviens de cette phrase d’Eleanor Roosevelt « Faîtes ce qui vous fait le plus peur, rentrez dans l’arène ». Je me dis qu’elle a raison…

Tiens, maintenant que la Covid va passer, j’investirais bien dans une société qui vend des ampoules.

Si j’avais su que c’était ça le tourisme (encore rires)…

*Sophie Baillot a pris en 2018 la direction générale d’Un Océan de Croisières, en rejoignant Contrastes Voyages en tant qu’associée (5 associés au total), tout en conservant des fonctions identiques à la tête de l’agence de communication So Between.

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