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Franck Goldnadel (Edeis) : « Un aéroport permet souvent de développer des entreprises »

Durant huit ans, Franck Goldnadel a été à la tête de l’aéroport Roissy CDG. On le voyait très prochainement à la tête d’Aéroports de Paris dont il était devenu directeur général adjoint. Puis, du jour au lendemain, cet homme bienveillant, bourré d’humanisme, a disparu de la scène d’ADP. Sur cette épisode d’une vie déjà bien remplie, il refuse toute confidence, honnête jusqu’au bout des ongles et respectant la parole donnée. Dorénavant, il gère 19 aéroports répartis sur le territoire français. Le monde de l’aérien en France dispose d’un vrai professionnel…

L’Echo touristique : Franck Goldnadel, qui êtes-vous ?

Franck Goldnadel (directeur général d’Edeis) : Je suis un homme qui rêve de travailler dans le secteur de l’aéronautique depuis l’âge de 7 ans. Un jour, à cet âge, mon, grand-père m’a offert un Lego et il m’a dit&nbsp;: <em>’Toi, tu travailleras dans les avions !'</em> Ça m’a plu. Du coup, j’ai fait des études qui m’ont permis de réaliser ce rêve. J’ai eu la chance de travailler dans des entreprises qui m’ont permis de grandir dans ce milieu-là. Mais c’est toujours autour d’une aventure humaine. Des choses que l’on n’apprend pas à l’école, des choses qui font que travailler avec des équipes, avec des collaborateurs, avec des partenaires, avec des clients, ça vous enrichit tous les jours. Voilà qui je suis.

Justement, vous êtes ingénieur, vous êtes diplômé de l’ENAC (Ecole Nationale de l’Aviation Civile), c’est plus le côté conception de l’avion qui vous intéresse ? Pas le côté « vol » ? Ou bien c’est tout un ensemble ?

Franck Goldnadel : J’avais choisi l’option « technique aéronautique », qui n’est pas une option vous permettant de savoir à quoi sert la prise « PITO » sur un réacteur, mais plutôt de comprendre pourquoi un avion vole et comment une compagnie aérienne exploite un avion, économiquement. Ce qui m’a permis d’embrasser le monde économique de l’aéronautique, plus que la technicité propre. Je reste toujours ébahi quand je vois un avion décoller. Comment un objet de plusieurs centaines de tonnes est capable de décoller fait toujours rêver. La notion de voler m’intéressait bien sûr, mais ce n’était pas possible. Pour des raisons financières, je ne pouvais pas passer le diplôme de pilote privé, ce qui ne m’a pas empêché, durant ma carrière, grâce à des partenaires, de voler en simulateur pour me faire plaisir. Après, c’est le manque de temps qui ne m’a plus permis de passer le brevet. Mais il n’est pas dit qu’un jour…

Vous avez été à la tête de Roissy CDG, directeur général adjoint d’ADP, on vous a parfois reproché votre « humanité » envers les compagnies aériennes…

Franck Goldnadel : Non, on ne parle pas d’humanité envers les compagnies aériennes, on parle de respect du client. Mon expérience professionnelle au sein de Roissy et d’Orly m’a permis d’apprendre vraiment quel était mon métier, comment je pouvais rendre service à mes clients, quelles étaient leurs problématiques afin de bien les servir.

Justement, il y a très souvent des dissensions entre compagnies et aéroports. Caisse, double caisse, redevances…

Comment concilier tout ça ?

Franck Goldnadel : Un gestionnaire d’aéroport a une très lourde tâche, c’est d’arriver à trouver le meilleur dénominateur commun. Pas forcément le plus petit ou le plus grand, mais le meilleur ! Parce que les compagnies aériennes, par leur modèle économique et leur activité, sont avant tout centrées sur leur propre activité. C’est normal. Le gestionnaire d’aéroport, par définition, il a deux visions complémentaires à celles des compagnies : une vision consolidée de l’ensemble des besoins de ces compagnies et une vision de moyen et long terme que n’ont pas aujourd’hui les compagnies aériennes parce qu’elles ne le peuvent pas. Elles se battent chaque jour pour leur avenir et pour le lendemain. Le gestionnaire d’une infrastructure comme un aéroport doit voir plus loin pour prévoir ce dont peuvent avoir besoin les compagnies clientes. Et je ne connais pas d’aéroport qui puisse réussir sans ses compagnies. Et je ne connais pas de compagnie qui puisse réussir sans un bon partenaire aéroportuaire. Donc les vies sont intimement liées !

On a maintenant l’impression qu’un aéroport, c’est devenu un immense centre commercial…

Franck Goldnadel : J’ai envie de dire qu’un aéroport c’est un millefeuille d’activités. Vous et moi prenons l’avion parce que l’on considère chaque jour que l’on voyage en transport aérien en toute sécurité. Après l’aéroport a une fonction complémentaire qui est de donner les services qu’attendent ses clients. Qui sont ses clients ? Les compagnies aériennes, les passagers, les personnels qui travaillent sur l’aéroport, ce sont les entreprises qui sont sous l’emprise de l’aéroport et qui doivent y trouver les services qu’ils sont en droit d’attendre. Certains sont marchands, commerciaux, des boutiques. Ça peut être aussi des services, ça peut être aussi des acteurs économiques, des entreprises qui sont à proximité de l’aéroport parce que c’est un lieu d’échanges. Finalement, un aéroport doit être un lieu de vie, un lieu de développement d’activité. Et ce n’est pas antinomique avec la notion de servir des compagnies aériennes.

La privatisation à long terme d’Aéroports de Paris, quelle est votre position ?

Franck Goldnadel : (rire). Je n’ai aucun commentaire à faire dessus !

Bon. Et la construction de ce gigantesque aéroport à Istanbul, est-ce bien raisonnable ?

Franck Goldnadel : Il m’est difficile de tenir une position, dans la mesure où c’est un choix politique du président d’un Etat souverain qui a décidé, face à la saturation réelle de l’aéroport Atatürk de construire un nouvel aéroport pour accompagner le développement touristique, commercial et autre des compagnies qui exploitent depuis (ou vers) la Turquie. Cela étant, la façon dont cela s’est fait, on peut toujours dire que c’est critiquable ou pas, mais je n’ai pas de jugement à porter. Simplement, ce que j’observe c’est qu’il a été capable de le construire en peu de temps. Je n’ai pas de retour pour savoir s’il fonctionne correctement ou pas par rapport aux besoins des compagnies aériennes. Mais une chose est sûre, nous étions arrivés à la saturation de l’aéroport Ataturk.

Parlez-nous de votre nouveau job chez Edeis.

Franck Goldnadel : Edeis est un jeune groupe issu du rachat par mon président, Jean-Luc Schnoebelen, des activités de SNC Lavalin il y a quelques années, quand SNC Lavalin a décidé de quitter la France. Le groupe Edeis est constitué de deux grands groupes d’activité : l’ingénierie, pas forcément dans le domaine aéroportuaire, et 19 aéroports, en concession ou en délégation de service public. Mais que ce soit dans l’un ou l’autre domaine, nous avons un fil conducteur : être l’allié du territoire. Moi qui ai eu une expérience plutôt parisienne dans de gros aéroports, j’apprends aujourd’hui l’importance que je ne soupçonnais pas d’un aéroport de territoire. Un aéroport, comme celui de Dôle par exemple, c’est un centre d’activité. C’est souvent un centre où sont présentes un certain nombre d’entreprises, au-delà des passagers aériens ou des compagnies aériennes qui y passent et c’est pour ces élus territoriaux la façon de générer des emplois donc de la valeur ajoutée, fondamentale pour l’activité d’une région.

Mais pourtant, dans ces régions, ce sont des aéroports qui coûtent plus chers que ce qu’ils rapportent ?

Franck Goldnadel : C’est totalement faux. Nous avons peut-être un prisme très jacobin, parisien, de croire que finalement les aéroports ne doivent se voir qu’avec une vision centrale comme on peut l’avoir à Paris. Mais, pour un territoire c’est souvent la clé pour stabiliser des entreprises. A Tarbes-Lourdes par exemple, avec un aéroport de 400/500.000 passagers par an, vous avez un certain nombre d’entreprises leaders dans leur domaine d’activité. Du côté d’Aix les Milles, qui est un aéroport enclavé entre Marseille, Nîmes et les aéroports du Sud-Est, il y a quelques pépites : c’est une zone industrielle d’environ 70 hectares qui peuvent être développés par des industries liées à l’aéronautique. Vous avez un petit constructeur d’hélicoptères français qui ne pourrait pas vivre s’il n’était pas à proximité de ce petit aéroport ! Et même si ces aéroports sont aidés par les collectivités, c’est une aide juste afin de stabiliser l’activité industrielle, qui, faute d’aéroport, partirait ! Et si cette activité s’en va, vous assistez à un phénomène de désertification qui commence, vous avez des familles qui partent, des emplois aussi…

Mais par exemple, entre Nîmes et Montpellier, distant d’environ 30 kms, quel intérêt ?

Franck Goldnadel : Oui, mais Nîmes, c’est la base nationale de la Sécurité Civile, c’est une zone fondamentale pour les secours en France. S’il n’y avait pas une activité aéroportuaire qui accompagnait la sécurité civile, ni l’un ni l’autre ne serait en mesure de pouvoir financer la gestion de l’aéroport. Donc, là encore, les vies sont intimement liées.

Mais finalement, tous ces aéroports, pour être écologiquement correct, est-ce indispensable ?

Franck Goldnadel :  Mais oui. J’ai beaucoup travaillé par le passé avec Aero Biodiversité, une association qui aide les aéroports afin de démontrer que les aéroports, au-delà d’être des infrastructures aéroportuaires, sont aussi des lieux de protection de la biodiversité et de développement de la biodiversité. Or il reste bon nombre de zones où l’on ne fait pas d’agriculture, où l’on ne construit pas de routes non plus. Et donc, ce sont des zones qui restent à la biodiversité pour se développer. Les aéroports ont un rôle à jouer dans la politique de développement durable, dans la réduction de l’empreinte environnementale que l’on peut générer. C’est pour cela que Edeis, comme tous les aéroports français, s’est engagé dans les démarches de réduction de notre empreinte environnementale en réduisant nos consommations énergiques, en limitant l’utilisation de l’eau, en essayant de mettre en place des alimentations électriques à chaque fois que c’est nécessaire pour réduire l’utilisation des moteurs thermiques chaque fois qu’on peut le faire, soit pour les véhicules de services, soit pour l’avion, lorsqu’il est stationné. Nous avons notre rôle à jouer et nous le jouons !

Un mot sur Notre Dames des Landes ?

Franck Goldnadel : Là aussi, je pense que c’est un sujet qui date de suffisamment longtemps pour savoir que beaucoup d’avis ont été donnés. Notre Dame des Landes démontre une chose, c’est qu’il sera de plus en plus difficile de construire des aéroports en France. Et que les aéroports qui aujourd’hui sont opérationnels sont une vraie richesse pour le territoire.

Edeis gère 19 aéroports. C’est plus difficile que de gérer un aéroport comme Roissy CDG ou Orly ?

Franck Goldnadel : Ça fait maintenant 6 mois que j’ai rejoint Edeis, j’y ai découvert des gens motivés, qui ont envie de donner et d’apprendre. Exactement comme moi. Je ne soupçonnais pas l’importance de ces aéroports de territoires pour les collectivités. En revanche, j’ai appris l’importance d’un certain nombre de procédures, de politiques dans la gestion d’un aéroport dont je vais essayer de faire bénéficier ces 19 aéroports. Mais pour répondre à votre question, c’est totalement différent. Nous sommes disséminés sur l’ensemble de la France, chacun a ses propres spécificités, ses propres clients, ses propres natures de trafic : il faut pouvoir gérer différemment en ayant en central une expertise qui aide les aéroports avec une politique claire qui est de laisser les aéroports piloter leur activité au plus près du terrain. A noter qu’Edeis, depuis le 1er janvier 2020, va gérer une autre activité, proche de l’aérien : les ports maritimes avec pour débuter, le port de Saint-Malo. Et en examinant le port de Saint-Malo, on se rend compte qu’il y a de grandes similitudes entre le port… et l’aéroport : il y a des passagers, des pêcheurs, différents types de trafic, la plaisance… Plus une activité liée à la course, Saint-Malo étant le point de départ de la célèbre course du Rhum.

Les rapports entre les politiques et les gestionnaires. Les politiques doivent intervenir très souvent ?

Franck Goldnadel : Avec un humble recul de quelques mois, je suis marqué par la vision stratégique que peuvent avoir les délégants et les élus sur ce qu’ils imaginent de leur aéroport et de la confiance qu’ils donnent en même temps à l’exploitant, en lui reconnaissant un professionnalisme qu’ils n’ont pas. Ils exigent un dialogue de franchise et sont avides de savoir ce que l’on est ou pas capables de faire. Et pour nous, il est important, mais c’est dans nos gènes, de faire des promesses que nous serons capables de faire ! Notre objectif est de dire ce que l’on va faire et faire ce que l’on a dit.

Vous vivez dans un monde qui voyage, qui bouge, qui se croise, les cultures se mélangent, que pensez-vous de l’état actuel du monde et de cette violence, de ce racisme qui parait s’exacerber chaque jour ?

Franck Goldnadel : J’ai envie de vous répondre qu’entre tous les esprits de fermeture d’esprit, de repli sur soi-même, la seule réponse c’est le transport. Ce qui a permis au monde de s’ouvrir c’est le fait que les gens puissent aller rencontrer les autres là où ils sont, là où ils vivent. Je reste convaincu, mère s’il y a des sujets d’environnements qui prennent de plus en plus le pas, que le monde ne peut que gagner dès lors que l’on est capable de transporter des humains d’un point à un autre pour qu’ils apprennent de l’autre et qu’ils n’aient pas une vision de l’autre … sans le connaître ! Mais je suis un éternel optimiste : le microcosme d’un aéroport est un lieu d’échanges entre les cultures : le transport est une façon de montrer qu’il y a des ponts entre les hommes, entre les pays. C’est un domaine d’activité qui a permis au mode de s’ouvrir.

C’est un monde de paix ?

Franck Goldnadel : Vous savez, dans les textes les plus sacrés, il est écrit que, tant que l’on parle aux autres, ca évite souvent de partir dans des guerres fratricides ! Et les aéroports sont des lieux d’échanges.

On va finir la dessus : c’est quoi la vie pour vous, Franck ?

Franck Goldnadel : La vie ce sont les rencontres humaines, qu’elles soient professionnelles ou personnelles. Après tant d’années à travailler dans le domaine qui est le nôtre, je suis à la fois heureux et fier d’avoir rencontré autant de belles personnes !

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1 commentaire
  1. Philippe Guaps dit

    Franck GOLDNADEL dont j’ai croisé la route quand je travaillais à ADP, m’a effectivement laissé le souvenir d’une personne brillante, mais aussi très humaine, accessible et passionnée.
    En résumé, quelqu’un de bien.

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