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Frédéric Mazzella (Blablacar) : « La vie, c’est comme un morceau de musique »

Frédéric Mazzella fait partie de ces personnages que l’on apprécie de rencontrer au moins une fois dans la vie. Brillant, plein d’humour mais discret, guidé par la musique, l’homme est bluffant. Le regard vif, il a déjà un coup d’avance sur la vie.

Frédéric Mazzella, qui êtes-vous ?

Frédéric Mazzella : J’aimerais bien savoir… Est-ce que ce que j’ai fait dit qui je suis, je ne sais pas. Dans la société, aujourd’hui, je suis un entrepreneur, ça me décrit bien. Dans l’entrepreneur, il y a pas mal de choses que j’aime bien, liées à la créativité, la construction, la notion de faire et de faire nouveau. Après, j’ai fait beaucoup de maths et de physique. J’aime bien les sciences, l’informatique, la logique, la musique. J’ai grandi avec la musique, qui m’a beaucoup apporté par sa dimension émotionnelle, moins présente dans les sciences. Mais il y a aussi un côté extrêmement logique et rationnel dans la musique. Je suis aussi Vendéen, j’ai 45 ans, je peux faire des descriptifs hyper précis…

D’où en Vendée ?

Frédéric Mazzella : Je suis né à Nantes et j’ai grandi à Fontenay-le-Comte, dans le sud Vendée.

Comment cette idée d’entreprendre vous est-elle venue ?

Frédéric Mazzella : La première fois, c’était quand j’étais à Stanford, en Californie. Je suis allé faire une partie de mes études en Californie, en informatique. J’avais commencé mes études à Normal Sup en physique et on a eu la possibilité de partir faire un stage au milieu, j’ai fait un stage pour la Nasa et Stanford en informatique et physique. Je faisais de la déformation des tissus humains modélisés dans des espaces 3D pour faire de la chirurgie virtuelle… Je suis arrivé à Stanford et j’ai vu un truc que je n’avais jamais vu en France : des gens ne finissaient pas leur master et partaient créer une boîte ! On ne m’avait jamais dit qu’on pouvait ne pas aller jusqu’au bout, ne pas décrocher son diplôme. Je l’ai (quand même) fait, je suis allé jusqu’au bout… Nous sommes à l’époque où Google se crée. J’étais sur le campus en même temps que Larry Page et Sergey Brin. Des gens de ma promo et un collègue du labo sont d’ailleurs partis travailler chez Google. C’était un petit peu surréaliste pour moi. Mais je me suis rendu compte que l’entreprenariat faisait partie des chemins possibles dans une carrière… Après, j’ai travaillé pour une start-up américaine, mais en France dans la tech. Et en parallèle, à un moment, je me suis dit qu’il fallait que je crée un truc. Je me suis mis à l’écoute des idées possibles et l’idée du covoiturage m’est tombée dessus à un moment. Et elle m’a vraiment plu.

Je lisais votre bio. Un jour, vous n’aviez pas de voiture, pas de train. Et là, l’idée a jailli ?

Frédéric Mazzella : Avec la nécessité… Il fallait que j’aille pour les fêtes de fin d’année en Vendée. Je m’y suis pris au dernier moment parce que je suis un peu comme ça, y compris sur les solutions de transport… Je me suis soigné ! Ça devait être le 21 décembre. Trouver un billet de train pour la 23, c’était trop tard… Je me suis vu être obligé de rester à Paris, ou alors aller faire du stop. J’ai fait beaucoup de stop pendant mes études à Paris à Henry IV en prépa et à Normal Sup. Là, personne ne pouvait faire le trajet à part ma petite sœur. Je l’ai appelée, elle habitait Rouen et je lui ai demandé si elle pouvait faire un détour par Paris pour passer me chercher. C’est ce qu’il s’est produit. Sur l’autoroute A10, j’ai vu passer un TGV plein et, en même temps, toutes les voitures vides. Je me suis dit qu’il y avait un problème. Il y avait des milliers de places libres pour la Vendée mais pas dans les trains, dans les voitures ! C’est de là qu’est née l’idée. On aurait pu publier les annonces des places libres.

On peut rire de tout mais pas en toute circonstance !

Pensez vous qu’on puisse rire de tout ?

Frédéric Mazzella : Je pense qu’on peut rire de tout, mais pas en toute circonstance. Ce n’est pas qu’une histoire de sujet, c’est une histoire de moment. Il faut être dans une disposition qui correspond pour pouvoir rire de quelque chose.

L’idée jaillit, vous vous dîtes « le stop c’est terminé ». Et vous lancez Blablacar…

Frédéric Mazzella : C’est un peu l’auto-stop en technicolor. Je me dis que c’est 10 fois mieux. Le covoiturage réduit tous les problèmes de l’autostop, pour lequel : on ne sait pas à quelle heure ni d’où on part, le conducteur paye tout et le passager rien. Quand je faisais de l’auto-stop, je participais aux frais de carburant, ce qui me rendait plus heureux que d’avoir potentiellement voyagé gratos. Le covoiturage, c’est un partage des frais, une relation équilibrée. Moi j’ai une relation à la dette qui est assez forte, quand quelqu’un a fait quelque chose pour moi, j’estime que je lui dois quelque chose. Le covoiturage gomme aussi les problèmes de faits divers qui avaient un peu tué l’auto-stop. Tout est tracé, ce qui rassure. Grâce à la technologie, nous avons également pu développer des profils de covoiturage complets, ce qui crée un climat de confiance. Certains membres ont 1412 avis positifs. Aujourd’hui, le covoiturage est tellement pratique qu’on ne voit plus d’auto-stoppeurs. Nous avons près de 100 millions de membres dans le monde dans 22 pays, dont 18 millions de Français.

En démarrant, vous aviez l’idée de l’ampleur que ça allait prendre ?

Frédéric Mazzella : Oui et non. Je me suis dit « Si ce truc-là existe, il est massif, sinon il n’existe pas ». Soit ça résonne avec la société et marche partout ; soit ça ne marche pas. Il n’y avait pas trop d’entre deux.

Techniquement à réaliser, c’est un gros barnum ?

Frédéric Mazzella : On ne se rend pas bien compte… C’est une plateforme technologique avec l’équivalent de 1000 serveurs derrière. Ce qui fait du volume en termes de connexions entre particuliers. Pour que 800 personnes se déplacent, il faut en face plus de 300 conducteurs. Sans la technologie, c’est absolument impossible de gérer de tels volumes. Un conducteur peut aussi passer (vous prendre) sur votre chemin, il faut donc calculer tous les itinéraires, les horaires de passage. Nous affichons des prix différents selon le trajet, et nous loguons les informations notamment sur les avis… Nous gérons donc une gigantesque base de données avec des algorithmes compliqués pour faire en sorte que tout marche, avec une expérience complète de la réservation jusqu’au voyage et au paiement. Nous avons des dizaines de milliers de virements individuels de 20 ou 40 euros par jour. Quand vous avez 100 millions de personnes, et que vous ne voulez pas avoir 10 000 collaborateurs, il faut automatiser à fond. Le service client compte plus d’une centaine de personnes… Soit un agent pour 1 million de membres.

Une fois que vous aviez eu cette idée, il fallait bien de l’argent ?

Frédéric Mazzella : Au début, j’ai créé le site avec mon cofondateur, avec 5000euros… Ce n’est pas ce qui a financé le projet. J’ai réussi à lever 600 000 euros quand nous avions déjà 150 000 membres. Aujourd’hui, des gens arrivent à lever 5 millions sur des slides… Moi, je n’ai rien pu lever (au tout début, Ndlr).

Je l’ai vu comme un puzzle à assembler.

Personne n’y croyait ?

Frédéric Mazzella : Non ! J’ai vu plus d’une fois des gens me regarder avec compassion. Les gens se disaient que pourtant j’étais intelligent mais bon tant pis… Je ne me suis pas auto-financé pendant 5 ans. Ce n’est pas grave, pour moi, il y avait toutes les pièces du puzzle pour que ça marche. Il y avait un vrai besoin, des voitures vides, qui coûtent de l’argent, on était habitués à réserver nos trajets en ligne, il y avait des cartes bleues, des plateformes internet qui font bases de données… Tout ! C’est juste que ça n’avait pas été assemblé. Je l’ai vu comme un puzzle à assembler.

Quand on a créé un empire comme le vôtre, qu’est-ce qu’on ressent ?

Frédéric Mazzella : Je ne sais pas si j’appellerais ça un empire… Je me suis beaucoup posé la question notamment quand j’ai passé les 40 ans en comprenant qu’il y avait deux chemins et deux philosophies de vie possibles, qui sont « pouvoir » et « liberté ». Je suis liberté. C’est sûr. Le pouvoir ne m’intéresse pas. La liberté m’intéresse beaucoup. Je pense que je ne serais jamais satisfait mais je suis content. Au moins je n’ai pas perdu mon temps. J’ai passé 15 ans à faire un truc pas mal. Je me suis super amusé, je n’ai même pas eu le temps de travailler. Et pourtant quand on regarde le nombre d’heures que j’y ai passées. 100 heures par semaine pendant plus de 10 ans… Soirs, nuits, week-ends, vacances. Ces dernières années, j’ai pris un peu de recul, Nicolas a accepté de reprendre la direction générale, j’ai arrêté tout ce qui était opérationnel. J’ai compris ce que ça voulait dire être opérationnel le jour où je ne l’étais plus. J’ai une vie beaucoup plus sereine, physiquement parlant. Entrepreneur d’une boîte en hyper croissance, c’est un peu comme du sport de haut niveau. Il faut tenir parce que ça ne s’arrête pas !

Comment expliquez-vous que vous n’ayez pas de concurrence ?

Frédéric Mazzella : Entre 2006 et 2011, il y en avait beaucoup, une dizaine. Deux choses ont fait la différence : j’étais un obsédé du produit et de l’expérience client au global. Je voulais un produit parfait, facile à utiliser, rapide mais aussi un super service client. Je me souviens de discussions avec mes confrères à l’époque. Je pense qu’ils n’avaient pas cette obsession-là. Leur site n’était pas forcément super bien fichu. Le leader à l’époque, j’avais fait des tests en essayant d’appeler son service client, ça ne répondait jamais. Je lui avait demandé s’il répondait aux gens qui écrivaient et il m’a dit « Oh non, pour 1000 personnes qui viennent sur le site, seul 1 ou 2 écrivent, ce n’est pas très grave. » Je me suis dit qu’il avait tout faux parce que cette personne qui écrit, c’est son vrai client. Les autres, c’est du vent, ils passent, ils repartent. Nous, on faisait tout le contraire, on répondait à tout. L’autre truc qui a été plus dur pour les concurrents est que, pour le covoiturage, l’effet réseau est indéniable : à un moment, tout le monde va au même endroit. Dans un village, il y a une seule place de marché. C’est le même principe.

Quand je vous ai rencontré aux Travel d’Or, vous sembliez découvrir ce monde du tourisme ?

Frédéric Mazzella : Non je ne le découvrais pas. Je suis toujours émerveillé. Cela fait presque 10 ans que je viens de temps en temps aux Travel d’Or. On a encore remporté un prix cette année. J’étais président mais je n’ai pas voté et j’étais contre. J’ai rappelé sur scène qu’on avait déjà gagné deux fois sur les 10 années précédentes, alors que je n’étais pas président du jury. 

Blablacar bus pourquoi ?

Frédéric Mazzella : Ça fait partie de notre grande stratégie, cohérente avec le fait d’être une plateforme proposant plusieurs moyens de déplacement. Tout ce que veut le passager, c’est arriver. Covoiturage, bus, train, on peut les combiner avec du multimodal et de l’intermodal. Le multimodal, c’est plusieurs types de transport pour un même trajet. L’intermodal, l’interconnexion. Là, ça commence à être super intéressant parce qu’on a non seulement la rapidité maximale des moyens de transport, mais aussi la granularité optimale. On peut aller partout et le prix reste compétitif. Aujourd’hui, si on veut faire de l’intermodal, en allant dans un endroit compliqué tout seul, il faut prendre un taxi, ce qui coûte cher. 

Vous dîtes que vous participez à l’écologie, c’est important pour vous ?

Frédéric Mazzella : Ça me tracasse… Si on arrive grâce à Blablacar à diminuer de 1% les émissions de CO2, j’aurais apporté ma pierre à l’édifice. C’est ce que j’ai pensé au lancement. Aujourd’hui, on permet l’économie de 1 600 000 tonnes de CO2. Ça commence à être pas mal, c’est plus que l’intégralité des émissions de CO2 liées au trafic routier d’une ville comme Paris. Il faut faire beaucoup mieux, arriver à 0. Bill Gates explique très bien que l’atmosphère ne peut plus prendre de carbone. Tout ce qu’on rajoute empire la situation. Je ne sais pas comment on va faire mais… Cette préoccupation m’a permis de puiser une énergie incroyable, parce qu’un tel défi – qu’on n’est pas sûrs de relever – nourrit toujours.

La vie ? C’est comme un morceau de musique.

Frédéric Mazzella, la vie pour vous c’est quoi ?

Frédéric Mazzella : C’est comme un morceau de musique. C’est Alan Watts, un philosophe qui dit : « Life is a piece of music. » Ça veut dire qu’il n’y a pas de but, un truc incroyable à la fin de la vie. On doit profiter du morceau pendant que ça joue. Si un morceau était juste l’accord final, la fin, on ne s’emmerderait pas à composer 3h d’opéra. Il y a plein de manières de la formuler philosophiquement, mais c’est une bonne analogie, ce morceau de musique. On ne se dit pas qu’il est long et chiant, on va profiter tout le long. La vie, c’est pareil, il faut en profiter tout le long. Il ne faut pas attendre la dernière minute du morceau pour l’extase.

Est-ce que vous avez des regrets, des remords et si oui, changeriez-vous quelque chose ?

Frédéric Mazzella : Non et non. La manière pour ne pas avoir de regrets, c’est de faire le mieux qu’on peut à chaque moment. Tout est timing, on n’a pas toujours tous les éléments pour prendre des décisions. Mais si on fait au mieux avec tout ce dont on dispose, on n’a pas à regretter cette décision. Quand on fait des choix, il faut les pousser et les assumer. 

Avez-vous des projets pour les 20 prochaines années ?

Frédéric Mazzella : Oui mais je ne peux pas en parler.

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