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Philippe Douste-Blazy : « La France est prête à mettre en place une taxe verte »

C’est un entretien « Les Yeux dans les Yeux » un peu spécial que nous avons eu avec Philippe Douste-Blazy. Le personnage est plutôt atypique, profondément humain et finalement assez loin du monde politique tel que nous le connaissons. Je voulais le faire réagir par rapport aux prises de positions affirmées de Jean-François Rial… Timide, réservé, l’homme a une vision claire sur les grands problèmes de l’humanité. Nous devions aborder des sujets « tourisme », nous avons passé plus d’une heure à disséquer la vie du monde. Un moment de grande qualité…

Philippe Douste-Blazy, qui êtes-vous ?

Philippe Douste-Blazy : Un médecin. C’est ce qui me définit profondément. C’est un métier que j’ai toujours fait au fond. Et quelles que soient les vicissitudes de la vie, les hauts, les bas, les postes et les missions, les échecs et les succès je reste avant tout un médecin. D’ailleurs je dois y passer à peu près une à deux heures par jour parce que ma famille, mes amis, mes copains me téléphonent à chaque fois qu’il y a un problème. Je suis un médecin c’est-à-dire celui qui écoute, qui est très intéressé par l’autre. Qui écoute en général les souffrances mais aussi les bonheurs, bien sûr. Qui les accompagne et essaie de les traiter. C’est pour cela qu’il y a beaucoup de médecins en politique, dans le bon sens du terme évidemment. C’est essayer d’écouter, d’accompagner et de soigner.

Quand je vous vois, je dis « Bonjour Docteur » ?

Philippe Douste-Blazy : Voilà. [rires]

Ou bien « Monsieur le ministre », « Monsieur le président » ?

Philippe Douste-Blazy : Soit Philippe, soit Docteur.

Vous êtes médecin et vous êtes connu essentiellement dans le monde politique…

Philippe Douste-Blazy : Oui c’est curieux. J’ai souvent été dans les médias.

Vous y revenez encore en ce moment…

Philippe Douste-Blazy : Pour les Français, qui m’arrêtent parfois dans la rue, je suis plutôt docteur. Il m’arrive très souvent qu’on me dise « Bonjour Docteur ». C’est à la limite, comment dire, drôle : quand j’étais ministre de la Culture ou des Affaires étrangères, on m’appelait toujours « docteur ».

Justement, lorsque l’on est médecin, comment passe-t-on à la politique ?
Philippe Douste-Blazy : J’ai eu une opportunité, pendant mon service militaire (en coopération, ndlr). J’ai alors eu la chance de pouvoir faire un travail de laboratoire au Québec sur le cholestérol à un moment où personne n’en parlait ; bien avant que le Prix Nobel de médecine de 1984 puisse être donné à deux Américains qui ont expliqué pourquoi le cholestérol donnait des infarctus. J’étais dans une équipe, à la fois de chercheurs fondamentalistes et de chercheurs cliniciens qui était la meilleure équipe au monde. Quand je suis revenu au bout de deux ans en France, j’ai eu l’extrême chance d’avoir quelques années d’avance sur les autres. Ensuite, j’ai créé la première consultation de prévention cardiovasculaire à Toulouse en 1981. Puis, j’ai donné ma vie à ça. Mais à un moment donné, parce que justement cette discipline était tout à fait nouvelle, je me suis retrouvé à la tête de cette discipline. J’ai eu peur que ma vie à 32 ou 34 ans soit jusqu’à 65 ans la même. J’allais à Paris sans arrêt pour aller chercher des crédits. J’allais au ministère, pour faire des commissions deux fois par semaine. A un moment donné, je me suis dit « Bon, tu fais quand même de la politique de santé, tu fais de la prévention, ça n’existe pas encore en France« … J’avais une petite musique qui disait « tu t’occupes bien de tes malades mais essaie aussi de faire ça ailleurs en France« . Pour nous, mettre un pacemaker c’est aussi simple que pour vous de m’interroger.

C’est peut-être plus difficile quand même… [Rires]

Philippe Douste-Blazy : Quand on a un peu de bouteille c’est le b.a-ba. Parfois, c’est compliqué mais dans 99,9% des cas, c’est simple. Pour la personne à qui vous mettez un pacemaker, c’est formidable parce que vous la sauvez, quelque part. J’ai mis la Rolls-Royce des pacemakers à un monsieur de 81 ans, en pleine forme, qui venait de se marier avec une femme de 25 ans de moins. Le lendemain je me fais convoquer chez le directeur de l’hôpital. Il me dit « Docteur, hier vous avez mis ce pacemaker à un monsieur de 80 ans, il vaut 38000 francs, est-ce que c’est bien normal au niveau de l’assurance maladie ? ». Le ciel m’est tombé sur la tête. « Monsieur vous êtes directeur, vous êtes manager, je comprends très bien, vous vous occupez des places de parking, de la cuisine, de la blanchisserie, vous regardez bien comment tout fonctionne, c’est normal. On vous demande des équipements et vous regardez s’il les faut ou pas, vous êtes directeur de l’administration. Maintenant lorsqu’un malade vient me voir, permettez-moi quand même de faire mon métier parce que sinon c’est juste la Russie-Soviétique, ça n’est pas possible. » Cela étant, avec du recul, aujourd’hui, je peux comprendre qu’on puisse regarder combien on dépense parce que tout ça c’est remboursé par la Sécurité Sociale mais à l’époque, je ne comprenais pas. Je lui réponds « Je fais ce que je veux Monsieur, je m’en vais. ». Le soir, crevé, à 22 heures, je vais dîner chez mes parents qui avaient une maison pas loin de Toulouse. Et là, mon oncle et parrain de Lourdes sort l’arme fatale : « Je t’invite à Lourdes, dans 15 jours il y a une réunion publique avec un jeune conseiller général qui a été élu il y a trois semaines, il s’appelle François Bayrou ». C’est le point de départ, je suis devenu maire de Lourdes en 1989.

Il faut arrêter de vendre des ports et des aéroports aux Chinois, d’accepter que nos réseaux numériques soient sous influence russe ou que mes e-mails soient lus par les Américains pratiquement au temps zéro. Il faut se ressaisir.

Et vous êtes devenu ministre ?

Philippe Douste-Blazy : Je venais d’être élu député (au premier tour) et je reçois un coup de téléphone de Simone Veil dont je n’avais plus de nouvelles depuis notre rencontre dans le cadre d’une opération humanitaire à Sarajevo. Elle me félicite et me dit : « Il faut que vous soyez ministre de la Santé. Moi, on me demande d’être ministre des Affaires sociales, de la santé et de la ville. Je vous ai vu à l’œuvre en août 1992, y a six mois, j’ai besoin de quelqu’un de sûr, je vous prends ». C’est comme ça que ma vie a basculé, simplement grâce une relation liée à un moment dangereux purement humanitaire que tout a basculé.

Question qui me vient à l’esprit tout de suite, est-ce que vous êtes vraiment un homme de droite ? On ne vous sent pas tellement de droite…

Philippe Douste-Blazy : Non, ça a été très compliqué pour moi en effet. Et cela m’a joué des tours parce que le centre en France n’est jamais arrivé à exister – à l’inverse de l’Allemagne.

Vous vous êtes profondément engagé dans le combat humanitaire. Pourtant, que ce soit en Europe ou dans le monde, on a plutôt l’impression que cela n’intéresse pas grand monde. La taxe Chirac sur les billets d’avion, par exemple, destinée à mettre en place Unitaid, n’a pas été acceptée par tout le monde…

Philippe Douste-Blazy : Sur le plan européen, la crise du Covid-19 a montré que l’Union européenne n’était pas souveraine. On s’est aperçu que sur le plan sanitaire 70% des principes actifs venaient de l’Inde, de la Chine ou des deux. On n’est pas capable de faire du paracétamol, des antibiotiques, de la chimiothérapie, même quelques réanimateurs ou certains produits capitaux dans la réanimation comme le Curare ou certains hypnotiques… bref, il faut relocaliser ! Deuxièmement, il faut arrêter de vendre des ports et des aéroports aux Chinois, d’accepter que nos réseaux numériques soient sous influence russe ou que mes e-mails soient lus par les Américains pratiquement au temps zéro. Il faut se ressaisir. Sans compter que la défense européenne ou elle doit agir à la fois sur un pilier qui est l’OTAN – enfin bon quand on voit ce qui se passe avec la Turquie aujourd’hui, on peut se poser la question de l’avenir de l’OTAN – et surtout sur une défense européenne. Il faut poser la question à nos collègues européens : « Pourquoi vous baissez votre budget de défense européenne ?  Si vous êtes suffisamment naïfs pour penser que les Américains vont venir vous sauver, vous vous trompez. » Aujourd’hui il est important d’avoir une défense européenne, une souveraineté retrouvée. Il faut ouvrir les yeux, arrêter d’un côté avec une mondialisation dite heureuse. Il y a là un déséquilibre total entre l’Asie et l’Occident, on ne peut pas accepter ça. Troisièmement, il faut aussi accepter que le système européen change et par exemple lorsque l’Union européenne, la commission, un pays, une région, un département, une collectivité locale européenne, quel que soit le pays, fait une commande et bien que l’entreprise européenne soit préférée systématiquement à une entreprise chinoise ou à une entreprise américaine. Ça s’appelle la préférence européenne. Ça existe aux Etats-Unis, au Japon, au Canada… Jamais je n’aurais dit ça il y a trois ans ! Cette crise m’a ouvert les yeux sur ces sujets. D’une même manière je suis pour qu’on diminue les charges sociales et les impôts pour des gens qui vont dire « je vais relocaliser » – à condition que ce soient des produits à haute valeur ajoutée parce qu’il ne faut pas se tromper. C’est l’histoire des masques : on n’arrivera pas à faire des masques moins chers que les Chinois. Enfin, je suis pour qu’il y ait un fonds souverain français ou européen plutôt, qui vienne préserver nos activités stratégiques et interdire à n’importe quel pays au monde, fusse-t-il américain ou chinois ou russe ou indien, de prendre plus de 10% d’une entreprise stratégique. Qu’elle soit de défense, qu’elle soit sur l’eau, alimentaire, sur la haute technologie, sur le sanitaire… Et pour cela, ce fonds souverain je l’aborde en disant « Bah très bien, chaque fois que des kiwis arrivent de je ne sais pas où (vous devez savoir, je ne sais pas d’où ils viennent), d’Afrique du sud, eh bien : taxe ! »

Est-ce que vous croyez que la France est capable de faire ça ?

Philippe Douste-Blazy : Je pense que oui. Je crois que la France est tout à fait prête aujourd’hui pour véritablement mettre en place une taxe verte sur ça. Là où Jean-François Rial (PDG de Voyageurs du Monde, NDLR) va plus loin – et c’est intéressant – : il pense même que ce n’est pas uniquement nécessaire pour un fonds souverain comme je le dis, mais carrément pour la protection sociale. Pourquoi on n’est pas compétitif au fond en France ? C’est parce que quand vous payez quelqu’un, vous payez le double en charges sociales. Si vous arrêtez ça, vous n’avez plus de charges sociales.

Vous ne croyez pas que ça doit être fait à échelle mondiale ? On est peut-être la sixième puissance mondiale mais…

Philippe Douste-Blazy : Moi je crois beaucoup au couple franco-allemand. Je pars du principe que certes, on n’a pas la même langue, on n’a pas la même culture, on est plus latins. Mais je pense que l’un plus l’autre, ça fait une somme de 170 millions de personnes, avec deux économies qui se complémentent vraiment. Il y a un tournant historique, il ne faut pas se tromper : le fait qu’Emmanuel Macron ait convaincu la chancelière qu’il fallait que l’Allemagne accepte d’emprunter 500 milliards pour les autres pays, c’est juste une révolution ! On n’a jamais vu ça. Donc je pense qu’on pourrait très bien, demain – les verts sont très en avance aussi en Allemagne – arriver à une taxation des produits qui ne reconnaissent pas la COP21.

Vous y croyez ?

Philippe Douste-Blazy : Oui j’y crois. Moi je crois à la politique, donc je crois.

Je suis très heureux aujourd’hui : huit enfants sur dix qui sont soignés contre le sida dans le monde le sont grâce à Unitaid, grâce à ces milliers de personnes qui prennent l’avion, essentiellement en France sans le savoir.

Je vais plus loin, est-ce que vous êtes croyant Monsieur Douste-Blazy ?

Philippe Douste-Blazy : Oui. Je suis croyant. Je ne pratique pas suffisamment. J’aurais créé dans ma vie deux fonds Unitaid et Unitlife, dont les financements globalement, à la fin, seront aussi importants que Médecins sans Frontières. Il n’y a pas une personne qui sait en France que j’ai fait cela. Je suis très heureux de l’avoir fait, parce que j’ai dédié cette vie aux gens les plus pauvres. En particulier, lorsque j’ai commencé Unitaid, il n’y avait pas de médicaments pédiatriques contre le sida chez les enfants. Pourquoi ? Parce qu’il n’y a pas de sida chez les enfants en Occident chez les familles riches. Mais c’est oublier qu’il y a près de mille enfants par jour qui naissent avec le sida dans les pays pauvres, alors qu’il n’y a pas de protection sociale. Ce ne sont pas les laboratoires pharmaceutiques à qui il faut en vouloir, il faut en vouloir au système politique mondial qui accepte cet état de fait que les riches sont soignés, que les pauvres ne le sont pas. Je suis très heureux aujourd’hui : huit enfants sur dix qui sont soignés contre le sida dans le monde le sont grâce à Unitaid, grâce à ces milliers de personnes qui prennent l’avion, essentiellement en France sans le savoir. Ça, ça m’intéresse énormément. Je pense que c’est ma manière de vous répondre que je suis croyant parce que je pense que les chrétiens – et je pense que les musulmans peuvent avoir cette approche – ont et doivent avoir cette conscience que les derniers seront les premiers. Les pauvres sont des gens qui ont autant de choses à dire que les riches et ont des vies aussi riches que les riches. Le pape François est un exemple pour moi. C’est un exemple total, l’homme que j’admire le plus au monde.

Si vous aviez dans votre vie quelque chose, d’un coup de baguette magique à changer, refaire, qu’est-ce qui vous vient à l’esprit comme ça ?

Philippe Douste-Blazy : C’est de réussir le projet que je viens de créer qui s’appelle Unitlife. D’ailleurs quand on a posé la question à Bill Gates récemment (qui était à mon conseil d’administration à Unitaid pendant dix ans, je le connais bien), il a dit : « Si j’avais une baguette magique, je règlerai le problème de la malnutrition chronique. ». C’est un problème qui touche les femmes enceintes les plus pauvres au monde. Quand vous êtes très pauvre, il y a quelque chose que vous n’arrivez pas à acheter : les légumes, les fruits, la viande, le poisson (et donc pas de vitamines B1 et B12 ni de protéines). Lorsqu’une femme est enceinte et qu’elle ne prend ni de vitamines B1, B12, ni de protéines, l’accouchement se passe bien mais le jour où l’enfant a trois ans, il y a 30% de connexions neuronales en moins, ce qui fait environ 30% de QI en moins. C’est-à-dire qu’il n’y a rien de plus injuste, l’enfant est pris pour un paresseux alors qu’il y a 30% de choses que dit le professeur qu’il ne comprend pas. C’est une catastrophe pour la personne. C’est une catastrophe collectivement pour le pays parce que, évidemment vous avez 35% à 40% d’enfants en Afrique subsaharienne. Vous savez ce que c’est 40% d’une classe d’âge qui a 30% de QI en moins ? Pareil en Inde, 35% à 40% des petits Indiens, des enfants du Sud-Est asiatique… Le problème est que quand nous aurons vingt ans de plus, 80% des enfants qui naissent dans le monde, naîtront là. Ça veut dire que si vous avez 40% des 80% des enfants qui naissent dans le monde avec 30% de QI en moins, c’est juste une menace existentielle pour l’humanité. Si j’ai une baguette magique, c’est ça qui m’intéresse. Si vous voulez, souvent le racisme vient de là, lorsque des gens vous disent : « Je vais en Afrique et parfois je tombe sur des gens, on dirait des enfants ». En fait, ce sont des gens malades ! Quand vous êtes professeur et que vous faites cours dans un pays d’Afrique subsaharienne, et que 40% des enfants ne comprennent pas ce que vous dites, ce n’est pas parce qu’ils n’écoutent pas, c’est parce qu’ils ne comprennent pas. Si je pouvais dans ma vie faire bouger deux millimètres de cette montagne, je pourrais m’endormir paisiblement vers le ciel.

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