Marseille : au Panier, plus belle était la vie avant Airbnb
Depuis quelques années, ce quartier populaire est devenu, avec le Vieux-Port, l’autre carte postale de Marseille. Plus de 10% des logements y sont désormais dévolus à la location de courte durée.
« Airbnb dehors! » : le slogan en lettres noires se répète sur les façades pastel du Panier, plus vieux quartier de Marseille mais aussi, envers du décor, épicentre des locations type Airbnb, de moins en moins tolérées par des habitants confrontés au fléau du mal-logement.
Depuis quelques années, ce quartier populaire est devenu, avec le Vieux-Port, l’autre carte postale de Marseille, avec son entrelacs d’escaliers et venelles escarpées et ses placettes fleuries reconstituées en studio pour « Plus belle la vie », plus long feuilleton jamais produit en France.
Selon la mairie, Marseille compte 12.000 logements sur les plateformes de location de courte durée, un marché dominé à plus de 80% par Airbnb.
« En valeur absolue, ce n’est pas si énorme pour une ville qui fait 2,5 fois Paris en superficie », concède Patrick Amico, adjoint au Logement : « Notre problème, c’est l’hyper-concentration sur un petit nombre de sites, le Panier en premier lieu, où plus de 10% des logements sont dévolus à la location de courte durée. C’est le syndrome Plus belle la vie, avec le ballet de valises à roulettes du samedi matin ».
Derrière la pimpante devanture toute de vert carrelée de l’ancienne charcuterie familiale, depuis longtemps fermée, rue du Panier, Nadine Chaix, 55 ans, ne décolère pas : « Je ne reconnais plus mon quartier, je l’adorais, c’était un village. Maintenant on ne connait plus personne ».
« Avant, il y avait une pâtisserie en face, une droguerie, quatre boulangeries et deux charcuteries dans la rue, un fleuriste, une mercerie… Il n’y a plus rien, aucun commerce, à part les artistes ‘entre guillemets’. Même la pharmacie a fermé il y a deux ans! ».
Dans l’ex-charcuterie fondée en 1936 par son arrière-grand-père, le fils de Nadine, Quentin Di Carlo, a ouvert le mois dernier un bar à tapas. En face, sa mère montre un immeuble de trois étages, entièrement dévolu à la location Airbnb : « Plus bas, il y en a deux autres », assure-t-elle.
A quelques dizaines de mètres, une demi-douzaine de boîtes à clés cadenassées sur une barrière métallique attendent les visiteurs, sous un énorme tag « RBNB tue le Panier ».
« Immeubles pourris »
« Avant, je mettais une heure à descendre la rue, je rencontrais des gens, je discutais. Maintenant, en dix minutes je suis en bas et ceux que je croise sont tous touristes », témoigne Patou Rahal, présidente du comité d’intérêt de quartier (CIQ).
« En apparence le quartier est tout joli, l’ancienne mairie avait fait repeindre les façades mais les intérieurs n’ont pas été rénovés. Beaucoup de gens sont encore obligés d’évacuer des immeubles pourris et ne peuvent pas se reloger », dit-elle, alors que la ville compte officiellement 40000 taudis et autant de personnes en attente de logement social.
« On a une bascule vers les résidences de tourisme, ce qui entretient un marché foncier qui ne baisse pas, contrairement au reste de la France, et un marché locatif très élevé », regrette M. Amico.
« Au début, ajoute-t-il, certains espéraient d’Airbnb des avantages pour des quartiers en déshérence » : mais « il n’y a pas eu de réhabilitation profonde des immeubles, on a vu des résidences de tourisme dans des immeubles frappés d’arrêtés de péril ! »
La mairie de gauche de Marseille, élue en 2020, a entrepris d’encadrer le secteur en imposant notamment une taxe de séjour, un numéro d’enregistrement et en limitant les changements d’usage (en meublés de tourisme). L’été dernier, ses services ont exigé la suppression de 1500 annonces « non conformes ».
D’autres villes en France, comme Paris, Saint-Malo ou la Communauté d’agglomérations du Pays basque, ont pris des mesures pour réguler les meublés de tourisme, accusés de faire flamber l’immobilier et d’entraver l’accès au logement pour les locaux.
Mais « nous n’avons pas les leviers pour bloquer le dispositif », insiste M. Amico, alors qu’une proposition de loi du groupe Renaissance pourrait être examinée début décembre à l’Assemblée pour mieux réguler les locations touristiques.
« Kidnapping de boîtes à clés »
« Les règlements bougent, mais il n’y a aucun contrôle », affirme Victor Collet, docteur en sciences politiques, proche des collectifs anti-Airbnb, qui dénonce « l’explosion du nombre de locations courte durée » à Marseille, « multipliées par 3,5 depuis 2016, et dans le même temps une raréfaction des annonces longue durée ».
Porte-parole du club d’hôtes Airbnb de Marseille (1700 membres), Yannick Nobile refuse d’être « le bouc émissaire de la crise du logement à Marseille qui existait bien avant nous ».
Signe d’une hostilité croissante, outre « des opérations de kidnapping de boîtes à clés », « plusieurs appartements ont été vandalisés ces dernières semaines et l’inquiétude monte parmi les propriétaires », déplore-t-il.
Dans son bar à tapas de la rue du Panier, traversée d’une guirlande de chapeaux de paille, Quentin Di Carlo déplore qu' »ici, il n’y a(it) plus beaucoup de Marseillais. L’ambiance a changé, on a perdu la bonne franquette ».
« Mais si on arrête Airbnb, on fera quoi? Si on crache à la figure des touristes, on meurt! »