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Les alliances aériennes font débat

Dans le secteur aérien, la timide sortie de crise s’accompagne d’une course à la consolidation. Lors d’un petit déjeuner thématique, L’Écho touristique a invité onze responsables de compagnies à débattre des enjeux liés aux alliances. Incontournables ou contrainte à éviter ?

Trois alliances regroupent les plus grandes compagnies aériennes du monde (OneWorld, SkyTeam et Star Alliance), mais d’autres grands opérateurs se refusent à les intégrer. Est-il possible de se développer en dehors de ces groupements, surtout à un moment où le secteur est en crise et s’est engagé dans une course à la consolidation permanente ? La question posée lors du petit déjeuner-débat organisé le 3 septembre par L’Écho touristique a divisé les invités, mais a surtout permis de bien comprendre les enjeux liés aux alliances aériennes. « Il faut d’abord comprendre que l’alliance n’est pas en soi la seule solution à nos enjeux, lance en préambule Jean-Pierre Sauvage, directeur général d’Iberia France. D’autres modèles existent : la fusion, la joint-venture ou l’indépendance. Et tous ceux qui sont dans les alliances savent que ce n’est pas l’idéal puisqu’à côté, certains, comme Iberia, cherchent à fusionner ou à créer des coentreprises, tout en défendant leurs accords bilatéraux. » Patrick Bianquis, responsable des alliances chez Air France-KLM précise : « Une alliance, c’est un club qui pense enrichir les compagnies membres en misant sur la complémentarité des routes. Mais attention, nous ne sommes pas dans un concours de beauté. Personne n’a envie de recruter une compagnie qui fera faillite dans six mois. Nous savons tous que beaucoup de compagnies sont passées, selon les moments, par des situations difficiles. Sans aller vérifier les comptes de la compagnie qui rentre, on s’assure qu’elle voudra bien continuer le développement avec nous. » Mais l’impétrant fait aussi son choix, comme Brussels Airlines, par exemple. « Nous voulions profiter du process de choix d’alliances pour rendre possible un éventuel rapprochement capitalistique avec un acteur du même métier que le nôtre. Ça a été le groupe Lufthansa, membre de Star, alors que nos accords bilatéraux faisaient pencher la balance vers OneWorld », souligne Thadée Nawrocki, DG de Brussels Airlines France.

Les regroupements se font aussi au bénéfice des clients, du moins selon ceux qui en font partie : « Les alliances ont été créées pour permettre à l’homme d’affaires de circuler sans rupture dans les grandes villes d’affaires, d’où le gigantisme et l’ambition de desservir le monde entier, note Jacques Alonso, DG d’American Airlines. Mais je pense que le client sait que les alliances existent sans savoir qui en fait partie. » « Le client lambda ne fait pas attention. Pour lui ce qui compte d’abord, c’est le produit et le prix », confirme Jean-Pierre Sauvage. Il est donc nécessaire de clarifier qui fait quoi dès la réservation. En revanche, les clients affaires sont de plus en plus sensibles à l’offre globale des alliances. Jusqu’à négocier au niveau des regroupements, en faisant pression sur les marques pour obtenir de plus gros avantages ? Un silence se fait. Patrick Bianquis esquisse un début de réponse. « Les alliances ont été créées pour répondre à des clients qui disaient il y a 300 compagnies, nous n’allons pas signer des accords avec tout le monde. C’est pourquoi, aussi, beaucoup de transporteurs cherchent à entrer dans une alliance : ils redoutent d’être laissés à l’écart des flux du grand trafic voyageurs qui sont traités par des grandes agences et des grandes compagnies. Dans certains cas, il n’y a plus de contrats séparés. » En cette période de crise, les arguments des alliances prennent-ils de plus en plus de poids, jusqu’à dépasser celui des compagnies qui les composent ? « Dans l’opération du rachat de JAL, tous les alliés de Delta et ceux d’American Airlines ont vu leurs éventuels bénéfices », et sont montés au créneau, raconte Béatrice de Rotalier, directrice commerciale de Delta Air Lines. « Mais à la base, ce n’est pas une démarche de l’alliance. » « Il est vrai que derrière chaque intervenant dans cette affaire, il y avait le panonceau de l’alliance qu’il représentait. Mais le panneau n’était pas devant », rajoute Jean-Pierre Sauvage. La bête reste donc maîtrisée par ceux qui l’ont créée.

Si les alliances ont des avantages, elles ont aussi des contraintes. « Les coûts d’intégration peuvent être importants car il faut réadapter l’informatique, le système de check-in et parfois, migrer de GDS comme nous l’avons fait de Sabre vers Amadeus », admet Gilles le Boulaire, DG de TAM France. « Chez SkyTeam, pour l’instant nous avons accepté qu’un certain nombre de systèmes coexistent », témoigne Patrick Bianquis. « Pour l’alliance, la différence de GDS implique des coûts supplémentaires d’interfaces, mais le basculement vers un système unique aurait aussi coûté très cher, pour un gain en efficacité limité. »

Même le principal avantage des alliances pour les utilisateurs, c’est-à-dire les miles, demande des précautions de gestion. « Tout d’abord, il ne faut pas réduire les alliances aux miles, précise Azan Erol, DG de Turkish Airlines. Nous offrons une prise en charge, des facilités de transport, des services en plus, des salons… Ensuite, c’est la compagnie qui accorde le droit de consommer des miles en fonction de son propre yield. » Face au risque réel de surchauffe d’utilisation des miles, le marché a pourtant été obligé de réguler cet avantage. « Les normes de comptabilité internationales nous ont obligés à imputer chaque années les miles non consommés en provision dans le bilan », explique le responsable d’AF-KLM.

D’autres jugent qu’ils peuvent se passer des alliances. Ils sont d’ailleurs très critiques à leur égard. « Avec les alliances, on arrive à des concentrations très importantes et à une réduction du choix », dénonce Jean-Luc Grillet, DG d’Emirates France. « Star Alliance possèdent 90 % des capacités de vols entre le Canada et l’Allemagne, par exemple. Il y a une réduction de la concurrence et il n’est pas sûr que cela soit au bénéfice du client. » Aussitôt Patrick Bianquis précise : « Notre industrie est quand même mal en point et ce sont les compagnies qui souffrent le plus dans la chaîne de valeur du transport aérien. Entre la nécessité naturelle de consolidation – ce qui réduit les choix -, et la tendance des marchés concurrentiels à créer de la surcapacité – ce qui engendre une guerre des prix pour attirer le client -, on reconnaît une différence d’intérêt entre le consommateur et la compagnie. C’est au régulateur US ou européen de doser ces deux intérêts avant d’accorder ou non les immunités. Ainsi, sur le marché transatlantique, les accords sont venus plus facilement puisque la limitation de la concurrence n’apparaissait que sur certaines routes, essentiellement les routes de hub à hub. Les régulateurs ont laissé les alliances se conclure à la condition d’ouvrir à la concurrence les destinations autres que ces hub à hub. » « D’accord, mais le danger va persister, dans la mesure où les fusions vont se poursuivre, répond Jean-Luc Grillet. Nous assistons à une sorte de Yalta aérien ». « Nous sommes dans une situation d’oligopole avec des accords de gré à gré », ajoute Éric Didier, DG de Qatar Airways. « La Commission européenne a enquêté durant trois ans sur une éventuelle augmentation des prix des membres de SkyTeam et elle n’a jamais pu le prouver, analyse Patrick Bianquis. Les tarifs sont une donnée externe. » « C’est vrai d’autant plus qu’en Europe, nos concurrents sont le train et les low cost, renchérit Thadée Nawrocki. Du coup, nous sommes nous aussi obligés de créer une certaine concurrence entre membre d’une même alliance. »

Ceux qui n’ont pas intégré les alliances ont donc choisi un autre modèle de développement : « Nous assurons la maîtrise totale de notre produit, de façon homogène. De plus, avec la croissance du trafic vers l’Asie et sur l’Inde, notre position géographique devient très importante dans le choix de nos destinations », présentent les représentants des deux compagnies du Golfe. « Nous avons misé sur la différentiation marketing, en privilégiant les accords bilatéraux, y compris avec le train pour emmener nos clients vers nos avions au départ des grands hubs de nos concurrents », ajoute Jean-Luc Grillet. « Notre seule faiblesse, c’est l’absence de programme de frequentflyer, mais nous les compensons en partie avec des réductions vers les hôtels, des bons de shopping, des services supplémentaires… » D’autres compagnies ont opté pour le modèle hybride. « Sur l’Océan indien et particulièrement sur les Seychelles, la question de l’alliance ne se pose pas, glisse Gilles Gosselin, DG d’Air Seychelles France. L’accord avec Air France nous suffit et notre vocation reste de développer le tourisme sur l’archipel, pas de développer un trafic qui n’existera pas ». « La joint-venture est la bonne formule pour regrouper nos forces, selon nos besoins », conclut Philippe Brieu, directeur France d’Air Mauritius.

Finalement, « la fusion prime encore sur l’alliance », constate Patrick Bianquis. Pour TAM, membre de Star, et LAN membre de OneWorld, l’heure du choix devrait sonner « en fin d’année ou dans les six premiers mois de 2011, selon Gilles le Boulaire. Star Alliance fait un appel du pied pour que nous complétions l’alchimie, mais la décision sera prise en fonction de l’intérêt du groupe. » « C’est le cas de toutes les fusions , les synergies sont tellement liées à l’unification de la politique commerciale qu’à un moment on est obligé d’être dans la même alliance. » conclut le responsable d’AF-KLM.

« Les synergies sont tellement liées à l’unification de la politique commerciale qu’à un moment on est obligé d’être dans la même alliance »

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