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Laurent Abitbol : « Le rebond, nous l’attendons en janvier 2021 »

Confiné dans sa maison à Lyon, il continue à gérer les affaires du groupe Marietton et des agences Selectour. Pour Laurent Abitbol, la reprise attendra l’an prochain, et se fera avec les entreprises qui ont prouvé leur pleine solidarité.

Note de la rédaction : L’interview a été réalisée au début du mois d’avril, avant que le père de Laurent Abitbol, atteint du Covid-19, entre dans un service de réanimation. L’équipe de L’Echo touristique lui souhaite un prompt rétablissement.

L’Echo touristique : Laurent Abitbol, le tourisme est « confiné » dans son ensemble. Et vous, où êtes-vous confiné et continuez-vous à gérer les affaires ?

Laurent Abitbol : Chez moi, à Lyon. Je vais au bureau deux matinées par semaine, avec mon directeur financier, parce que les finances, c’est important ! Quant à Selectour, je gère depuis chez moi. Tout se passe par « conférence call », nous avons des oreillettes… Leurs fabricants font fortune, d’ailleurs.

Cette crise, absolument inattendue, a mis le tourisme dans une panade épouvantable. Je crois savoir que vous avez œuvré beaucoup, avec quelques confrères, à mettre en place ces fameux « avoirs » pour les clients…

Laurent Abitbol : Nous nous sommes réparti les tâches, entre Jean-François Rial qui a fait beaucoup, de même que René-Marc Chikli, Jean-Pierre Mas… Tout le monde a participé. Moi, je me suis occupé d’une chose. Comme je connaissais Nicolas Sarkozy depuis nos Congrès, que nous avions gardé le contact, face au danger qui menaçait la profession, au cas où nous aurions été obligés de rembourser les clients, je lui ai envoyé ce texto le 9 mars à 8h33 : « Je ne sais plus quoi faire. Nous sommes totalement abandonnés. J’ai plus de 3000 salariés, avec Selectour et Havas Voyages. Une obsession, sauver mon groupe qui a toujours généré des impôts depuis 50 ans. Je sais que vous n’êtes plus au pouvoir, hélas, mais avez-vous un contact au Ministère des Finances juste pour négocier les charges et autres problèmes, tels que le chômage partiel, de façon rapide. Je suis très gêné de vous envoyer ce texto et que je comprendrais une ‘non-réponse’ ». Il me répond à 8h34 : « Venez me voir, je vous aiderai » ! Nous avons eu rendez-vous dès le lendemain, avec Alain Capestan, notre « grand architecte ». Nicolas Sarkozy nous a consacré le temps nécessaire mais il a tout compris très rapidement. Il a appelé devant nous le Chef de Cabinet du Ministre de l’Économie, lui a expliqué la situation et lui a demandé de faire les choses immédiatement… Pas dans six mois. De son côté, Jean-François Rial, qui connaît bien le Ministre de l’Economie, a œuvré aussi. Le Seto, EdV grâce à René-Marc Chikli et Jean-Pierre Mas se sont également rapprochés de Jean-Baptiste Lemoyne… et nous avons eu le résultat que vous connaissez. Mais cela a été le travail d’une véritable équipe. Tout est allé très vite, le tourisme est soudain devenu d’une grande importance, à tel point que le Premier ministre, dans un journal de 20H a évoqué le problème. C’est la première fois qu’un chef de Gouvernement mentionne le problème des agences de voyages et des voyagistes. Je crois que cela restera le plus beau souvenir de ma vie !

Vous savez, Sarkozy, depuis nos congrès, est toujours resté proche de la profession. A tel point que lorsque l’ordonnance a été publiée, il m’a envoyé ce texte : « Je suis heureux pour vous, je serai toujours là en cas de besoin. Amitiés » ! Bien évidemment, je tiens à souligner aussi l’attitude du gouvernement qui nous a beaucoup aidés. Franchement, on peut le remercier de toutes les mesures économiques qu’il a prises afin de sauver nos entreprises !

Parlez-moi de la situation. Vous avez deux boîtes, Voyamar et Havas Voyages, vous dirigez Selectour… Comment faîtes-vous ?

Laurent Abitbol : Nous pouvons tenir. Pour ma société, je n’ai jamais pris un seul dividende depuis 40 ans. Nous avons également un actionnaire fort, à qui nous n’avons rien demandé pour le moment. Nous allons nous débrouiller avec ce que donne L’État.

Vous avez tout fermé ?

Laurent Abitbol : Oui bien sûr. Nous avons tout fermé, puisque nous n’avons plus de recettes. L’activité a baissé de 100%, comme l’ensemble du monde du tourisme en France. Pour Selectour, on le gère très bien, nous n’avons aucun impayé. Les adhérents sont forts et sérieux, ils observent les consignes. Je tiens d’ailleurs à donner un coup de chapeau à mon Conseil d’administration, mon Directoire et mes délégués régionaux qui portent ma parole en temps de crise. Cette parole est respectée, écoutée et merci à toutes les agences de respecter cela. Grâce à eux, Selectour est fort, très fort…

Ce qui veut dire, comme l’a exprimé Président Macron, qu’il n’y aura pas de faillites parmi les agences Selectour ?

Laurent Abitbol : Non ! J’incarne le patron de Selectour, tout ce que j’annonce ils le font. Il y a vraiment une totale union, l’union sacrée de Selectour.

Quand on se souvient de votre arrivée chez Selectour, où vous n’étiez pas vraiment le bienvenu, qu’avez-vous envie de dire à ces gens qui ne vous voulaient pas ?

Laurent Abitbol : Rien. C’est fini, c’est du passé. J’ai prouvé que l’on pouvait gagner de l’argent avec Selectour, j’ai prouvé que les agences pouvaient gagner encore plus d’argent. La première année, j’ai parlé, mais j’ai aussi agi. La deuxième année, puis la troisième, ils ont touché l’argent de mes paroles ! Je pense qu’ils sont contents. En tout cas, j’essaie de les défendre le mieux possible, je n’ai jamais autant travaillé pour Selectour en étant confiné, ça devient du 18h/24 ! Les équipes de Selectour sont là, les trois Conseils font des « conférence call » tous les deux jours : tout le monde est uni et c’est le seul point positif de cette crise.

Prenons le cas du tourisme en général, puisque l’on vous voit assez souvent sur les plateaux TV, comment prévoyez-vous la suite ? Rebond ? Est-ce que le monde du tourisme va être chamboulé radicalement ?

Laurent Abitbol : Je ne crois pas qu’il soit profondément chamboulé. En revanche, il n’y aura pas de rebond en juin, hélas. J’espère me tromper mais je pense que le véritable rebond sera plutôt en janvier ou février 2021. Je crois que, lorsque nous pourrons à nouveau circuler, mai, juin, juillet il ne se passera rien. Il nous faut la capacité d’avoir la trésorerie pour payer les gens, pour assumer les frais de structures de nos entreprises sans avoir de rentrées. C’est pour cela que j’encourage tous mes adhérents à solliciter des prêts, afin que durant ces trois mois, ils puissent se préparer à la reprise. Nous aurons déjà les clients mécontents, parce que l’ordonnance du gouvernement, c’est bien pour nous mais les clients ne comprennent pas forcément : il va falloir les reporter, les rerouter, c’est un boulot énorme. Mais je pense que l’intérêt pour la France reprendra… mais le tourisme en général ? Est-ce que l’Amérique sera ouverte ? Et l’Italie ? Vous savez, je ne vois pas, après les milliers de morts qu’a eus l’Italie, que des vacanciers aillent passer leurs vacances dans des Clubs en Italie. Déontologiquement, je ne vois pas ça. Je ne crois pas que l’on puisse danser dans un club en Sardaigne, en Sicile quand il y a eu des milliers de morts quinze jours avant. Pour moi, la saison sera en 2021.

Mais ces prêts, garantis par l’Etat, il va bien falloir les rembourser. Et s’il n’y a pas de rentrées avant longtemps, comment faire ?

Laurent Abitbol : Attention, une petite agence court moins de risques. Souvent il y a un patron et un employé, peu de frais. Je pense qu’ils vont mieux résister et je ne m’inquiète pas pour eux. Cette crise a hiberné notre monde durant trois mois. Mais les clients repartiront aux mêmes endroits.

En cas de défaillance, Selectour pourrait aider ses adhérents ?

Laurent Abitbol : On ne peut pas distribuer de l’argent, ce n’est pas possible. En revanche, on peut reverser certaines commissions que nous avons, nous pouvons faire des avances. Mais pour l’instant, on ne distribue pas ce que nous n’avons pas. On distribue quand on reçoit. On reste un Selectour fort, avec une structure forte mais en aucun cas on ne s’amusera à faire n’importe quoi avec l’argent du réseau. Ca appartient à la Coopérative, aux adhérents et tout le monde doit suivre cette politique.

Iata a pris une position drastique vis-à-vis des voyagistes. Comment le ressentez-vous ?

Laurent Abitbol : Pour moi, Iata est un collecteur d’argent pour les compagnies aériennes. Il faut négocier avec les compagnies aériennes, ce que nous sommes en train de faire avec le Seto et les EdV. Air France vient de faire un pas important et nous venons de signer un accord formidable. Et je dis bravo à Air France, qui a promis de rembourser au bout d’un an, et je dis à tous les professionnels qu’il faudra lui rendre la pareille. Air France nous a beaucoup aidés. Qatar Airways aussi, elle a remboursé les billets sans problème. Tunisair a rapatrié tout le monde, sans rien nous demander. Il ne faudra pas oublier les gens qui nous ont aidés… et ceux qui ne nous ont pas aidés. J’espère que les autres compagnies feront comme Air France. Nous resterons très vigilants là-dessus : nous avons payé ces billets d’avions. Qu’ils nous remboursent ! Au bout d’un an, nous l’acceptons, mais attention, pas plus tard. Nous avons toujours payé Iata à l’heure. Là, Iata est hors réglementation en faisant ce qu’elle fait actuellement.

Concrètement, au 15 avril, le BSP aura été payé ?

Laurent Abitbol : Tout dépend : il y a des BSP positifs et des BSP négatifs. Personnellement, j’ai un BSP négatif qui devrait normalement être remboursé. Mais nous sommes d’accord pour que cela se passe dans un an. Air France le fait… Quant aux compagnies aériennes, je ne crois pas trop à des dépôts de bilan. Je crois même que nous sommes plus en sécurité qu’avant, dans la mesure où les états vont soutenir leurs pavillons nationaux !

En ce qui concerne l’APST, la situation est très délicate…

Laurent Abitbol : Non, je ne m’inquiète pas. Tout le monde est dans le même état que l’APST. Et la caisse de garantie va être aidée par des prêts, comme toutes les sociétés françaises. Je dois dire d’ailleurs que, durant cette crise de Thomas Cook, l’APST a été très bien tenue. Tous ceux qui ont critiqué, ce n’est vraiment pas bien : l’APST a payé tout le monde, a très bien géré. Bravo Alix Philipon, bravo Toromanof !

Durant cette crise, certaines destinations n’ont pas été très… correctes. Je pense au Maroc notamment…

Laurent Abitbol : Scandale. Un pays ami comme le Maroc qui, du jour au lendemain, nous plante. Mais c’est quoi ça ? J’aurais pu m’y attendre de la part d’un pays d’Amérique du Sud ou d’une destination lointaine d’Asie. Mais le Maroc ? Ce n’est pas normal. Nous ne l’oublierons pas non plus…

Le prochain Congrès Selectour était prévu à Marrakech. Vous maintenez la destination ?

Laurent Abitbol : Joker !

En ce qui concerne le Groupe Marietton, vous aviez des projets de développement. Où en êtes-vous ?

Laurent Abitbol : Pour le moment, je stoppe un petit peu, je me mets en retrait. Mon actionnaire, lui, me conseille l’inverse. Certares vient d’acheter 56% du board de TripAdvisor, il va acheter quelque chose d’énorme dans quelques jours et il me dit « Continue ta concentration en France ». Le problème, c’est que je n’arrive pas à me concentrer quand la base n’est pas carrée. Mon entreprise a été quand même chamboulée et je n’arrive pas à faire plusieurs choses à la fois. Je préfère remettre ma société en place, puis reprendre le processus de rachat. Mais ce sera très rapide et mon équipe avance… Tout ce que nous avions en projet continuera.

Finissons sur une note positive : comment va évoluer le tourisme dans les prochaines années ?

Laurent Abitbol : Il y aura sûrement plus de relations avec les compagnies aériennes. De plus, je pense que l’on va sélectionner nos fournisseurs en donnant la priorité aux gens sérieux. Et, encore une fois, les gens qui nous ont aidés ne seront pas oubliés par le GIE Asha. Ça, c’est clair. Et je pense que je parle au nom de l’ensemble de mes collègues distributeurs, Tourcom, Leclerc, Manor, Cediv et les autres. Nous avons vu nos vrais amis ! Défendons le « Made in France ». Ça fera du bien.

Vous me parlez souvent de retraite. C’est pour quand la retraite de Laurent Abitbol ?

Laurent Abitbol : J’ai 53 ans. Je ne pourrai pas partir en laissant un truc comme ça ! Vous savez, déjà en confinement, on s’emmerde pas mal. Malgré les ennuis qui s’accumulent, le week-end, tout seul, on tourne un peu en rond. Donc, vivement la reprise. Si un point positif, le régime, mon poids a baissé. A Paris, on va au restaurant midi et soir. Ici, c’est bien, je mange mieux et moins gras ! Et une dernière chose : je remercie toutes mes équipes de Marietton, qui sont avec nous et qui défendent les intérêts du groupe. Sans oublier aussi toutes les équipes de Selectour, le Conseil, le Directoire, les délégués, Jean-Noël Lefeuvre et Valery Muggeo bien sûr !

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