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Natacha de Mahieu, cette photographe qui capture le surtourisme

La photographe Natacha de Mahieu a réalisé une forme de documentaire sur le surtourisme. Pourquoi et comment ? L’Echo touristique l’a interviewée.

Photographe et vidéaste de 27 ans, Natacha de Mahieu a publié une série de très belles photos, en superposant une centaine de clichés d’un même site naturel pendant une heure. Son travail, à la fois artistique et journalistique, nous amène à réfléchir sur notre rapport à la nature et aux réseaux sociaux. En témoigne cette photo du pont d’Arc en Ardèche, avec un fleuve saturé de kayaks.

L’Echo touristique : Natacha, vous dîtes que mettez en scène le surtourisme de « l’invisible ». C’est-à-dire ?  

Natacha de Mahieu : Le surtourisme invisible est différent de celui qui touche de grandes villes touristiques comme Venise. C’est un surtourisme qui n’est pas forcément visible parce qu’il est diffus dans le temps, sur une courte période. Nous sommes parfois nombreux sur des sites touristiques, sans pour autant en avoir conscience. Par exemple, en rejoignant le lac Blanc, près de Chamonix, j’étais seule sur le sentier en montant la montagne. Pourtant, rester sur place plus d’une heure pour photographier m’a permis de constater l’affluence importante des visiteurs. 

Natacha de Mahieu

Pourquoi avoir entrepris cette série de photos où vous superposez de nombreuses prises de vue, sans bouger d’un pouce ?

Natacha de Mahieu : C’était à l’origine une démarche personnelle, qui reflète mon propre questionnement en tant que voyageuse. Initialement, je ne pensais même pas le publier. Pourquoi je voyage ? Quel est mon impact sur des milieux naturels et notre lien aux réseaux sociaux ? J’ai donc choisi uniquement des sites naturels. Finalement, mon travail a résonné auprès de nombreuses personnes. 

Vous prenez ainsi le contre-pied d’Instagram, où nous aimons nous montrer « seuls au monde ». Vous, vous montrez la foule… Comment avez-vous choisi les destinations ?

Natacha de Mahieu : J’ai commencé par choisir une trentaine de destinations très populaires sur les réseaux sociaux. Je me suis basée sur le nombre de géolocalisations ou bien de hashtags. Sur place, il me fallait un point de vue unique, en hauteur, avec une belle perspective sur les paysages. Pour chaque image captée en Europe, je pensais initialement devoir rester une journée complète. Pas du tout. Toutes les photos de ma série « Theatre of Authenticity » ont été réalisées, en moyenne, en une heure seulement. 

Ensuite, j’ai superposé une centaine de photos, en prenant le soin de ne pas avoir deux fois la même personne. Ce qui m’a frappée, c’est de voir autant de monde en si peu de temps. Mais toutes mes photos ne montrent pas que des lieux très fréquentés. A Bardenas par exemple, en plein désert espagnol, je me suis intéressée aux personnes qui photographient, toutes, une même pyramide de pierres. Leur comportement est emblématique de notre mimétisme sur les réseaux sociaux. 

Malgré tout, vous adorez la photo et le voyage. Il y a un côté schizophrénique dans votre travail, non ?

Natacha de Mahieu : Complètement ! Je voyais bien que je passais, moi aussi, beaucoup de temps sur les réseaux sociaux. Cela me dérangeait d’être finalement influencée par cette masse d’images, jusque dans mon métier de photographe. Mon travail est une quête de réponses. Depuis, j’ai pris un peu de recul.

Quel site touristique vous a le plus marqué ?

Natacha de Mahieu : Un site en Norvège. Il m’a fallu marcher une journée avant d’arriver sur place. L’objectif, pour les personnes qui vont sur place, c’est d’être pris en photo seul, sur un rocher, au-dessus du vide. Or en fait, tout le monde doit attendre son tour. Comme les autres, j’ai attendu deux heures dans la file d’attente. C’est étrange de privatiser un rocher en pleine nature, de ne plus le rendre accessible, juste pour des photos… Des personnes viennent avec des valises de vêtements et se changent sur place pour créer des mises en scène qui font partie du voyage. Cet exemple m’a marquée, d’autant plus je croyais que la Norvège était plutôt épargnée du tourisme de masse… Voyager, nous en aurons toujours le droit et c’est très bien. Reste à savoir comment nous voulons vivre les voyages. Prendre des photos ne pose pas de problème. Maintenant, les prenons-nous pour garder des souvenirs ou uniquement pour les partager ? Cette espèce d’obligation de partager les photos me dérange. Malgré une forme de prise de conscience, je ne suis pas sûre que nous allions dans la bonne direction…

Quel est le problème, Instagram ou ses utilisateurs ?

Natacha de Mahieu : Une combinaison des deux. Instagram n’est pas forcément un problème. Toutefois, il faut prendre conscience du fait que poster une photo d’un lieu, en géolocalisant, peut inciter d’autres personnes à aller sur place et donc créer une fréquentation soutenue. Mon travail n’est absolument pas dénonciateur. C’est une démarche de sensibilisation et de réflexion, notamment sur notre relation à la photo.

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