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Neige artificielle : « Une solution à court terme, une mal adaptation à long terme »

Hydrologue ingénieur, Charlène Descollonges connaît bien la montagne. Cette passionnée des questions liées à la gestion de l’eau explique ses grandes réserves à l’égard des retenues collinaires. Avec la transition écologique, les stations de montagne sont les sentinelles du changement climatique, ajoute-t-elle.

L’Echo touristique : Vous avez signé deux livres passionnants sur l’eau*. Qui êtes-vous, au-delà de votre métier d’autrice ?

Charlène Descollonges : J’ai une double formation d’ingénieure et d’hydrologue. Lors de la crise du Covid-19, j’ai cofondé l’association « Pour une hydrologie régénérative ». J’interviens auprès de collectivités, d’entreprises et lors de conférences sur les enjeux de l’eau et de la transition écologique.

Vous avez travaillé avec des acteurs de la montagne pour les conseiller dans leur transition écologique et la gestion de l’eau. Pour vous, la neige artificielle est-elle une solution ou une mal adaptation ?

Charlène Descollonges : C’est une solution à court terme mais une mal adaptation à long terme. J’ai d’ailleurs en partie démissionné de la fonction publique** afin d’avoir une liberté de parole sur cette question. Dans un territoire de montagne, la question du stockage de l’eau pour l’enneigement artificiel est très politique et stratégique. Il y a une sorte d’omerta sur le sujet.

A court terme, la neige artificielle peut effectivement sauver quelques stations. A plus long terme, après 2050, nous allons passer à un point de bascule, avec une forte accélération de la fonte des glaces. Tous les territoires en moyenne et basse montagne, dont la Chartreuse où j’habite, sont déjà très exposés au changement climatique. Nous ignorons si leurs aménagements vont rester viables jusqu’en 2050. Dans les dossiers que j’ai instruits sur le thème des retenues collinaires, les évolutions climatiques incluant des périodes de sécheresse et d’inondation plus intenses, ont été rarement pris en compte.

Pourquoi est-ce une « mal adaptation » ?

Charlène Descollonges : Au niveau technique, les retenues collinaires pour la neige de culture sont construites au creux des montagne, soit souvent dans des zones humides. Ces zones humides, en forte régression en France, sont des tourbières qui ont mis des millions d’années à se constituer, très riches en biodiversité, et qui captent du carbone et stockent de l’eau.

Les retenues collinaires sont donc aménagées en lieu et place ou bien à côté de ces zones humides, ce qui n’est pas une très bonne solution. Par ailleurs, il y a aussi un impact indirect sur les cours d’eau et les nappes prélevés, sans compter l’impact énergétique pour faire remonter l’eau. Enfin, se pose la question du remplissage et des périodes choisies. Si cela ne pose pas de problème lors de la fonte des neiges au printemps, un second remplissage a lieu après l’été, notamment pour l’élevage et l’agriculture, pour en partie combler les pertes par évaporation. C’est le pire moment de l’année pour aller chercher de l’eau dans les rivières et les autres sources alors que les niveaux d’eau sont justement au plus bas, notamment à la montagne. Il y a alors un problème de quantité d’eau et de conflit d’usage à cette période.

A moyen et long terme, il faut changer de modèle.

Donc, il faudrait selon vous renoncer à la neige de culture ?

Charlène Descollonges : Oui. Il y a des alternatives. Ce n’est pas évident mais je connais des acteurs qui ont commencé à y réfléchir.

Historiquement, la neige de culture est née à Châtel. A l’époque, le village prélevait directement sur le réseau d’eau potable. La retenue collinaire pour la neige, c’est moins dommageable. Mais à moyen et long terme, il faut changer de modèle. L’argent que nous ne mettrons pas dans la construction des retenues – qui coûtent un bras, avec un renouvellement de la bâche tous les 10 ou 20 ans – pourrait être redirigé vers le nouveau modèle économique des stations.

Alors justement, quelles sont les solutions alternatives ?

Charlène Descollonges : D’après ce que j’ai pu lire et entendre, rien n’est plus rentable que la neige artificielle… Il y a une question inévitable du renoncement, et donc d’une perte économique à anticiper et à prévoir sur 5 ou 10 ans. Des stations de montagne ont commencé à investir, notamment dans le massif de la Chartreuse, dans des activités qui vont du printemps à l’automne. En outre, de grandes stations envoient des signaux forts, comme la Compagnie du Mont-Blanc à Chamonix, qui réfléchit à une stratégie de diversification en comptant moins sur la neige de culture. Les acteurs comme les sociétés mécaniques peuvent avoir cette vision à long terme, qui ne s’arrête pas à un mandat de six années.

Photo prétexte de canon à neige © Adobe Stock

Le modèle économique du ski est effectivement difficile à remplacer. Et cet hiver, l’enneigement a été plutôt bon, les acteurs de la montagne sont assez satisfaits de la saison

Charlène Descollonges : Aujourd’hui, tout le monde se questionne et est bloqué par la question de l’eau. Hormis la station de Métabief (dans le Jura, Ndlr), les autres n’ont pas choisi de renoncer. Je me mets à la place des stations de ski, qui ont grandi autour de leur modèle. Il n’y a pas de solution simple. C’est extrêmement difficile de changer de paradigme, comme avec le pétrole. Mais plus on retarde la prise de décisions, plus cela fera mal. Les stations de montagne sont les sentinelles du changement climatique.

Pourquoi sont-elles des « sentinelles du changement climatique » ?

Charlène Descollonges : Les stations de montagne sont les destinations qui seront le plus impactées par le changement climatique. Le signal qu’elles enverront sera très fort. Elles ont aussi le super pouvoir de réussir cette transition, difficile mais possible. Toutes les activités liées à l’hydrothermalisme posent d’ailleurs question. En voulant progressivement supprimer le ski, ne va-t-on pas consommer plus d’eau autour des complexes, des spas et des balnéos qui émergent autour du bien-être thermal ?

La transition se décide à l’échelle des collectivités, qui peuvent partager une vision d’ensemble, pour un territoire et ses habitants. C’est important que des acteurs touristiques s’y intéressent et contribuent, par le partage de données et des études. J’aimerais pour ma part travailler avec des stations qui veulent justement changer, qui sont prêtes à renoncer à terme à la neige artificielle. 

* L’eau, fake or net ?, Tara Editions (2023).  Agir pour l’eau, Tana Editions (2024).

**Ingénieure territoriale en charge de la gestion de la ressource en eau

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