L’Europe retoque les avoirs Covid : quelles conséquences pour les agences et les voyageurs ?
La Cour de justice a tranché : l’organisateur d’un voyage à forfait qui annule un contrat doit rembourser en numéraire. Quelles conséquences ? Les réponses de l’avocate Emmanuelle Llop.
L’Echo touristique : L’arrêt du 8 juin 2023 de la Cour de justice de l’Union européenne a le mérite d’être clair : l’organisateur d’un voyage à forfait qui annule un contrat « doit rembourser le voyageur ». Et ce remboursement « s’entend uniquement d’une restitution sous la forme d’argent ». Les avoirs délivrés pendant la crise sanitaire ayant été remboursés ou utilisés, cette affirmation est-elle sans conséquence, en général ?
Emmanuelle Llop : Il est vrai que cette décision, qui va redescendre au Conseil d’État français dans le cadre du litige initié par les associations de consommateurs, a vocation à avoir une portée toute relative (comme l’a souligné l’État français devant la Cour d’ailleurs) car la grande majorité des avoirs a été remboursée à ce jour. Mais il faut considérer cet arrêt de manière plus générale, car il interprète notamment plusieurs notions que la directive européenne sur les voyages à forfait de 2015 ne définit pas et notamment : tout d’abord le « remboursement » qui, pour la Cour, ne s’entend que d’une somme d’argent et non pas d’un « bon à valoir ». Et ensuite la « force majeure » : la question était de savoir si l’éclatement d’une crise sanitaire majeure correspond à la force majeure autorisant un État-membre à libérer les opérateurs de voyage, même temporairement, de leur obligation de remboursement sous 14 jours. La crise est bien un cas général de force majeure mais la réponse est non pour la Cour.
Il est évident que si une nouvelle crise sanitaire survenait, les États-membres sont prévenus qu’ils ne pourront tordre le bras aux lois européennes. D’autant, comme le souligne la Cour, qu’ils ont été autorisés à prendre de nombreuses mesures d’aide aux entreprises du travel : subventions, aides, avantages fiscaux, prêtes bonifiés et garantie de l’État sur les prêts… Il n’y a pas, pour la Cour, d’exception au caractère impératif de l’obligation de remboursement au titre de la force majeure.
En réalité, d’un strict point de vue juridique, tout le monde savait que l’Ordonnance 315-2020 allait à l’encontre de l’article 12 de la Directive sur le remboursement sans frais en cas de circonstances exceptionnelles et inévitables.
L’Echo : Toutefois, l’arrêt de la Cour de justice pourrait-il avoir un impact sur les litiges entre des agences et des clients ? Si oui, dans quels cas ?
Emmanuelle Llop : Les cas résiduels qui existent encore se trouvent devant les tribunaux lorsque par exemple, certaines agences n’ont pas procédé au remboursement des avoirs au bout des 18 mois. Mais sur le fond, cet arrêt ne change pas leur obligation de remboursement. En outre, la décision de la Cour n’aura pas un effet rétroactif, de toute façon inutile en réalité si les avoirs ont été remboursés en numéraire ou consommés. Il n’est cependant pas exclu que certains consommateurs imaginent par exemple de tenter d’obtenir l’indemnisation d’un éventuel préjudice que leur aurait causé l’octroi des avoirs et le délai (de 21 mois maximum) pour en être remboursés, soit à l’occasion d’affaires en cours soit en lançant une nouvelle action. Même si j’en doute, rien ne m’étonnerait en la matière.
De manière plus générale, il me semble évident que les attendus de cet arrêt vont être exploités par les voyageurs dans les instances encore en cours, sur la notion-même de circonstances exceptionnelles et inévitables à destination, que la Cour comprend de manière relativement extensive en précisant que « la propagation d’une maladie grave à l’échelle mondiale » relève de cette notion, dès lors que les effets de la maladie touchent le lieu de destination du voyage. Difficile de faire la différence entre des effets locaux impactant le voyage et finalement les risques généraux pour la santé que représentent une pandémie. Je ne suis pas personnellement favorable à cette définition extensive car alors, tant que les effets du Covid existent – et ils existent toujours même les chaînes d’information en continu ne nous délivrent plus chaque jour le décompte macabre des victimes – aucun voyage ne pourrait avoir lieu…
L’Echo : Plus globalement, quel est l’impact de cet arrêt sur les réservations futures de voyages ? Et sur les relations entre professionnels et clients ?
Emmanuelle Llop : Il est encore trop tôt pour mesurer cet impact. Mais il faut s’attendre bien entendu à des interprétations sans doute « revanchardes » de la part des associations de consommateurs à l’endroit des professionnels du travel, au-delà de l’État français qui se fait taper sur les doigts. Du côté des professionnels, je suis partisane de répondre à d’éventuels clients méfiants que la mise en place des avoirs ayant été autorisée par un acte juridique à valeur de loi, ils n’ont fait que respecter le droit pour sauver leur entreprise. Et nombreux sont les voyageurs qui ont soutenu leur agence ou tour-opérateur dans la démarche, et reporté leur voyage.
Peut-être qu’une piste de réflexion est à emprunter avec les assureurs du travel, comme ils l’avaient fait après le nuage de cendres du volcan islandais en 2010 ? Ils n’ont d’ailleurs pas attendu cet arrêt pour créer des produits permettant de rembourser les voyageurs dont le contrat a été impacté par le Covid.
Pour le reste, je suis certaine que la révision de la Directive de 2015, actuellement en cours d’étude, tiendra nécessairement compte de cette crise Covid comme cela a été le cas pour le volcan, pour renforcer les droits des voyageurs, une fois de plus.
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Ce que dit l’arrêt de la Cour de justice de l’UE
L’arrêt porte sur les voyages à forfait et notamment durant la pandémie de Covid-19. « Une réglementation nationale libérant temporairement les organisateurs de leur obligation de remboursement intégral en cas de résiliation n’est pas compatible avec le droit de l’Union », indique-t-il.
Dans son arrêt, « la Cour juge que les États membres ne peuvent invoquer la force majeure pour libérer, même temporairement, les organisateurs de voyages à forfait de l’obligation de remboursement prévue par la directive ». Elle précise aussi que le remboursement doit s’entendre comme « une restitution sous forme d’argent ». « Le législateur de l’Union n’a pas envisagé la possibilité de remplacer cette obligation de paiement par une prestation revêtant une autre forme, comme la proposition de bons à valoir. »
Autre précision d’importance : la Cour considère qu’une crise sanitaire mondiale telle que la pandémie de Covid-19 « doit être considérée comme étant susceptible de relever des « circonstances exceptionnelles et inévitables » au titre desquelles la directive prévoit un remboursement intégral« .
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