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Sandrine de Saint Sauveur (APG Network) : « La mondialisation à tout prix a fait de gros ravages »

C’est certainement l’une des plus jeunes présidentes d’une compagnie multinationale… française. Discrète, mais faut pas lui marcher sur les pieds, elle a su, après avoir gravi tous les échelons, reprendre la succession de son père Jean-Louis Baroux, grand professionnel de l’aérien, auquel elle voue une admiration sans faille. Travailleuse acharnée, humaine, curieuse de tout, cette jeune femme est étonnante. Un grand moment d’entretien qui ne laisse pas indifférent !

Sandrine de Saint Sauveur, qui êtes-vous ?

Sandrine de Saint Sauveur : (rire) Si je le savais. Je ne sais pas bien me définir. Parfois, on se définit en fonction de son histoire, de son ADN. En fait, je crois que l’on est un « mix » de transmission de cellules, d’éducation et puis ce que l’on doit être dans la vie… Je ne sais pas bien ce que je dois être dans la vie. Je crois que je suis encore sur le chemin d’une vie. C’est très philosophique mais je crois que l’on ne sait jamais vraiment qui on est.

Vous avez parlé d’ADN. Le vôtre vient de qui ? Papa ? Maman ? Les deux ?

Sandrine de Saint Sauveur : Oh, je crois que ça vient de Papa, Maman et les générations précédentes, que je n’ai pas connues, puisque dans les familles on ne connaît pas vraiment les gens. D’abord, parce qu’on n’en parle pas beaucoup. Et souvent, on évoque uniquement les bons souvenirs de génération en génération. Il est prouvé que nous avons dans nos cellules que nous ignorons. Je trouve ça très intéressant et c’est pour cela que je pense que l’on ne sait jamais, au fond, qui on est vraiment. Parce qu’il y a plein de choses qui nous échappent. En règle générale, s’il y a une constante, c’est que j’ai toujours dit que j’étais, alors que je suis une super-parisienne, une vraie terrienne ! J’aime la terre et je crois que j’ai un ADN de terrienne. Je crois que mes grands-parents m’ont construite autant que mes parents alors que je n’ai pas passé beaucoup de temps avec eux. Mais c’est le côté village, terrien… des gens de la terre en fait ! Je peux mettre les mains, les pieds dans la terre. D’ailleurs, je fais beaucoup de rêves où je suis dans la terre, je suis couchée dans la terre. Récemment, j’ai rêvé que j’étais dans un endroit désolé et je m’endormais à même le sol… C’est vraiment mon côté terrien, alors que je n’ai jamais habité à la campagne et que cela, si ça m’arrivait, m’ennuierait beaucoup !

Terrien, alors que vous travaillez dans l’aérien, le voyage, n’est-ce pas un peu antinomique ?

Sandrine de Saint Sauveur : Non, pas vraiment. Moi, je suis du signe du Verseau, qui est un signe de l’air et j’aime bien l’astrologie. Mais je crois que l’un va bien avec l’autre. J’ai toujours considéré que voler, c’est une grande liberté, mais ce n’est pas forcément quelque chose de naturel. J’adore voler, m’en aller… pour toujours revenir. Je ne suis pas quelqu’un que l’on peut qualifier de « citoyenne du monde ». Je suis citoyenne de mon appartement, de mon « chez moi », de mon cocon et j’aime rentrer chez moi. Je sais où est mon « chez moi ». C’est là et pas ailleurs ! On peut partir et s’envoler à partir du moment où l’on sait que l’on revient et où on revient.

Partir, revenir, est-ce que c’est conciliable avec une vie de famille ? Vous voyagez combien : 200 jours par an ? 180 ?

Sandrine de Saint Sauveur : Un nombre certain ! (Rire). Mais la beauté de la chose, c’est qu’il ne faut jamais compter. Vous savez, quand on sait que l’on revient, c’est très facile. J’ai lu un livre que m’a offert mon mari, Les pouvoir inexpliqués des animaux, écrit par un scientifique anglais dans les années 80/90. Il prouve scientifiquement que, si vous mettez un chien à un endroit donné, vous le perdez à un endroit donné, ce chien va savoir d’où il vient et il va retourner d’où il vient ! Je trouve que c’est très intéressant et me fait penser que, finalement, on n’est jamais perdu ! Vous savez que vous devez partir, vous savez aussi où vous devez revenir. Et en même temps, c’est très antinomique puisque je sais où je veux revenir… Mais à votre première question, je n’ai pas su répondre parce que, finalement, c’est un chemin sans fin. Je sais où je vais revenir tout en sachant que c’est un chemin sans fin. C’est le bazar complet !

Ce bazar comme vous dites, vous cherchez à la cerner, à le baliser ?

Sandrine de Saint Sauveur : Je crois que ça ne se passe pas comme ça quand on intellectualise trop les choses. C’est là que l’on se fait des nœuds au cerveau. Je ne sais pas répondre à cette question. Je ne crois pas… Je voyage autant physiquement que dans mes rêves. Je suis une très grande rêveuse, je note tous mes rêves. Moi, mes voyages peuvent être de plusieurs dimensions…

En quoi croyez-vous ?

 Sandrine de Saint Sauveur : C’est évident. Quand vous commencez à noter vos rêves… D’abord, quand vous ne rêvez pas, vous n’êtes plus libre. Mais, quand vous commencez à rêver, vous avez la capacité d’aller ailleurs et de revenir. Vous pouvez même rêver et savoir que vous rêvez ! Il faut relire les livres de Carlos Castanerez, un anthropologue qui a vécu avec des chamans mexicains pendant des années, pour comprendre comment on maîtrise les rêves et comment les comprendre. Le voyage peut être physique, mais aussi totalement intérieur. Moi, ça fait des années que je note tous mes rêves, c’est Alice au Pays des Merveilles, c’est formidable ! Et tout a une signification. Mais ce n’est jamais celle à laquelle on pense. Mais vous pouvez arriver dans des rêves prémonitoires…
C’est un peu comme les vagues, si vous observez bien, souvent les vagues arrivent par cycle de trois. Les rêves, pour moi du moins, ce sont aussi des cycles de trois… tous attachés les uns à la suite des autres. Et chacun a un sens. C’est pour ça que l’on ne peut pas rationaliser le voyage. Peut-être que je mets beaucoup de philosophie dans mes propos, mais je pense qu’en ce moment, les gens ont besoin d’un peu de philosophie !

Puisque nous sommes en mode philosophie confinée, comment vivez-vous ce confinement ?

Sandrine de Saint Sauveur : Je le vis comme un passage. Je crois que les choses arrivent par raison. J’ai la chance d’avoir, dans un parcours de vie, composé de hauts et de bas, pris conscience de plusieurs choses. Notamment cette capacité à se sortir de cette première réalité qui fait en sorte que vous soyez géré par vos émotions. Et donc la gestion des émotions, dans cette première réalité, lorsqu’il y a une crise difficile, si vous ne croyez qu’à ça, vous devenez fou. Mais pour le coup, je suis assez contente de constater que je le supporte plutôt bien.

Quand on est le présidente de la plus petite multinationale française, comment peut-on gérer tout ça ?

Sandrine de Saint Sauveur : Quand cette crise est arrivée, qu’il a fallu mettre tout le monde en télétravail, j’ai expliqué aux collaborateurs que l’on voyait arriver une énorme vague qui est probablement la plus grosse vague jamais surfée ! Cette plus grosse vague jamais surfée, c’est à Nazaré, au Portugal et moi je suis fan de vagues, c’est toujours quelque chose qui m’a passionnée. Il y a quelques années, cette vague de Nazaré n’était pas surfable. Au cours des années, les surfeurs ont travaillé, en équipe, ont été très humbles et finalement ont réussi à la surfer, très concentrés, très humbles très flexibles aussi…

La crise est une crise sanitaire, soyons humbles et remettons-nous en cause, tous, individuellement, collectivement. Soyons souples, nous avons la chance de vivre dans un pays où nous avons les capacités d’être souples. Soyons légers, utilisons toutes nos capacités pour nous rénover.

Cette analogie m’est venue en expliquant à mes collaborateurs la situation, en leur disant que cette vague était là et que nous allions la surfer ensemble, avec humilité. La crise est une crise sanitaire, soyons humbles et remettons-nous en cause, tous, individuellement, collectivement. Soyons souples, nous avons la chance de vivre dans un pays où nous avons les capacités d’être souples. Soyons légers, utilisons toutes nos capacités pour nous rénover. C’est ça que j’ai annoncé pour expliquer que nous sommes en train de passer un cap…. Les gens qui pensent que la vie va recommencer comme avant n’ont pas compris. Nous sommes en train de vivre un retour à des fondamentaux. Il faut prendre ce qui est bon et lâcher ce qui est mauvais.
Quand on pense que les gens sont utilisés et pas aimés, que les choses sont aimées au lieu d’être utilisées, ce sont les philosophes qui disent ça dans toutes les civilisations depuis des millénaires, pas moi, il faut revenir aux fondamentaux. Nous devons changer. Vous savez, étant gosse, je n’avais qu’une seule crainte, c’était celle de m’ennuyer. Et actuellement, lorsque je vois ce qui se passe, je me dis qu’il m’est impossible de m’ennuyer ! (Rire). Je crois que j’ai une chance formidable c’est que chez APG, tous les gens sont mobilisés, comprennent ont confiance dans notre capacité à se rénover et cela donne du baume au cœur.

Vous avez pris la suite de votre père, Jean-Louis Baroux, à qui vous semblez porter une admiration incommensurable. Que pourriez-vous lui dire aujourd’hui ?

Sandrine de Saint Sauveur : Je pourrais lui parler de tous les conseils qu’il m’a donnés parfois sans en être conscient. Je pense que mon père est un vrai chef indien. Un jour, dans un entretien je l’ai cité sans qu’il s’en aperçoive, en disant « j’ai mis longtemps à comprendre qu’il fallait s’arrêter au bord de la rivière et regarder dans quel sens elle coulait ». C’est quelque chose que l’on retrouve chez tous les personnages qui sont proches de la nature, les chamans, dans toutes ces cultures indiennes, ils disent tous ça. Que ce soient les indiens d’Amérique, ou ceux d’Amazonie ou les chamans en Asie… C’est quelque chose d’universel. Et, pour en revenir à mon père, je me suis dit « c’est marrant, il ne se rend même pas compte de ce qu’il dit! » Nous parlions l’autre jour, lui me disant « mais tu ne te rends pas compte, cette crise, ça ne te fais rien ! » Ce à quoi je lui ait répondu que pour moi, c’était des années de méditation qui m’amenaient à cela et que lui-même en avait fait autant sans en être conscient. Mais il refuse cela. Alors qu’en fait, c’est quelque chose qui m’a été transmis inconsciemment, que j’ai cultivé, sans doute aussi parce que mon mari a aussi cette culture là, pas forcément développée mais elle était là… Alors, je voue une admiration à mon père d’avoir cette sagesse, la sagesse des vieux chefs indiens !

Vous êtes une jeune femme, vous avez réussi à reprendre la présidence d’APG avec autant de brio que votre père, Jean-Louis Baroux…

Sandrine de Saint Sauveur : Mon père peut sembler être un exemple plus prédominant que les autres parce que nous sommes plus proches, non seulement physiquement mais sur plein d’autres choses, y compris dans la façon de voir la vie. Mais je n’ai pas que lui. Quand je vous parlais de mes grands-parents, les femmes dans ma famille ont été très importantes. Mes grands-parents, qui sont d’origine très modestes, ma grand-mère paternelle me fascinait parce qu’elle avait un côté complètement « chtarbé » où elle pouvait arriver à la messe avec des chapeaux violets, une tunique transparente sous laquelle on voyait son soutien-gorge rose et chanter la messe d’une façon merveilleuse, je trouvais ça rigolo.
Du côté maternel c’étaient des femmes qui avaient travaillé si dur (ma grand-mère, 101 ans, est toujours vivante) que je me rappellerai toujours la largeur de ses poignets et de ses avant-bras ! Ce sont des gens qui m’ont autant forgé que mon père, de façon différente mais plus discrète. Et puis je crois que, dans mes cellules, il reste quelque chose de ces générations de femmes qui ont travaillé beaucoup, très durement, sans se plaindre. Ça m’a construite aussi…

Vous vous considérez comme vos grand-mères, travaillant très dur ?

Sandrine de Saint Sauveur : Non, parce qu’avant que ma grand-mère laisse son esprit s’en aller, elle me disait souvent « mais Sandrine, qu’est-ce que tu travailles, c’est trop pour une jeune fille… » ! A quoi je lui répondais qu’à côté de ce qu’elle avait fait, ce n’était rien. Et je lui demandais souvent ce qu’elle se rappelait de sa jeunesse. « Uniquement du travail » me rétorquait-elle ! Moi, non. J’ai une chance formidable. Certes, j’ai des contraintes, mais elles ne sont rien par rapport à la dureté des femmes d’autres époques. Et encore, la particularité dans ma famille, c’est qu’ils ont tous fait des mariages d’amour ! Je suis une grande privilégiée ! Mais, consciente d’être une grande privilégiée, je suis aussi consciente d’avoir de grandes responsabilités. C’est ça qui est difficile dans ce monde aujourd’hui et j’espère que cette crise mettra certaines choses à plat parce que je trouve que le capitalisme sauvage a fait de gros ravages. La mondialisation à tout prix a fait de gros ravages, même s’il y a eu de très bonnes choses.

J’ai toujours voulu qu’APG devienne un exemple pour faire des affaires de façon différente. Nous, on a tout misé sur les gens, les humains.

Mais justement, APG Monde a utilisé cette mondialisation…

Sandrine de Saint Sauveur :  Oui. Mais j’ai toujours voulu qu’APG devienne un exemple pour faire des affaires de façon différente. Nous, on a tout misé sur les gens, les humains. La différence, ce sont les gens. Et quand je parle de responsabilité, j’ai une responsabilité envers tous nos bureaux (plus d’une centaine dans le monde, NDLR). Et nos bureaux font du business localement. La difficulté aujourd’hui c’est d’être avec eux, dans la mesure où nous sommes tous isolés. L’isolement est parfois difficile pour certaines personnes et nous devons leur montrer que, même loin, nous pensons à eux !

Le rôle de IATA est très important. Doit-il être réformé ? Oui, bien sûr. Le transport aérien, depuis 1945 a beaucoup évolué et il doit y avoir une réforme.

IATA, vous avez souvent protesté contre cette « mafiosité » selon le président de Qatar Airways. Pourtant, vous venez d’être admis dans ce club…

Sandrine de Saint Sauveur :  Vous savez, je donne des cours à l’ENAC (Ecole Nationale de l’Aviation Civile, NDLR) et je trouve extraordinaire qu’en 1945 à La Havane, des gens ont eu la vision d’inclure tous les pays pour faire cette organisation mondiale. C’est une organisation formidable qui a permis d’élaborer des standards, de relever le défi de la sécurité aérienne, etc. Le rôle de IATA est très important. Doit-il être réformé ? Oui, bien sûr. Le transport aérien, depuis 1945 a beaucoup évolué et il doit y avoir une réforme. Je crois que la crise que nous traversons permettra à certains de s’adapter et de changer. Que ce soient les compagnies aériennes, la distribution… ou IATA !

Pour terminer, si j’étais un magicien et que je vous accorde un seul vœu…

Sandrine de Saint Sauveur : Un seul vœu ? Sans hésiter, je voudrais de l’équité. L’égalité est un leurre, l’équité doit être possible. Je voudrais vraiment de l’équité. J’ai lu récemment dans le JDD la déclaration de deux économistes, eurodéputés que je ne connais pas et qui disent ceci : Nous savons maintenant ce que nos collègues ont vécu à la chute de l’empire soviétique. L’effondrement d’un système économique moribond, porté à bout de bras par des hommes politiques refusant l’inéluctable. Il en va de même aujourd’hui du néolibéralisme, une idéologie zombie maintenue artificiellement en vie par des élites terrifiées de voir leurs privilèges remis en question. Je demande au magicien de l’équité !

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