Patrice Caradec (Alpitour) : « Les délais de paiement avec Selectour peuvent être améliorés »
Bilan 2020, production 2021, négociations avec Leclerc et bientôt Selectour : Patrice Caradec, président d’Alpitour, aborde tous ces sujets d’actualité dans une interview exclusive.
L’Echo touristique : L’activité a reculé de 80% pour nombre de TO. Qu’en est-il pour Alpitour ?
Patrice Caradec : Le chiffre d’affaires de l’exercice clôturé le 31 octobre a été bien amputé. Il atteint à peine 8 millions d’euros pour 7000 clients, surtout en long-courrier. Pour mémoire, nous avions enregistré 22 millions d’euros en 2018 (année de lancement, NDLR), sur 10 mois d’activité. Puis, l’activité avait bien progressé, à 32 millions d’euros en 2019 pour 30 000 clients, avec un panier moyen en hausse. En 2020, nous avions prévu 45 millions, avec l’année pleine du partenariat Selectour. Mais avec la pandémie, l’année s’est arrêtée, pour toute l’industrie, le 15 mars. Nous avons à peine redémarré à la Toussaint.
Quid de l’exercice 2020 ?
Patrice Caradec : Nous avons commencé un nouvel exercice le 1er novembre 2020, sans aucune activité puisque le confinement est revenu sonner à notre porte. Nous allons accueillir nos premiers clients le 19 décembre, dans un seul club, le Caribe Playa en République Dominicaine. Nous étions complets, nous avons donc gratté des sièges auprès d’Air Caraïbes et d’Air France. La semaine de Noël comme du Nouvel An, nous aurons une centaine de clients. Ce sont de petits volumes, et un investissement aussi pour nous. Mais la dynamique montre que, quand une destination rouvre un peu ses portes, nous avons des candidats au départ. La non-ouverture des remontées mécaniques a aussi stimulé les ventes sur les Caraïbes, incluant les Antilles françaises. Dans notre programmation, suivront cet hiver Cuba, le Mexique, l’Océan indien avec Zanzibar, et j’espère Oman ainsi que le Maroc. En 2020, nous devions équilibrer les comptes. Nous reculons cette échéance à 2022. 2021 sera une année de transition.
Une année 2020 pendant laquelle vous avez fait une croix sur l’été…
Patrice Caradec : Oui, nous avons renoncé à l’ouverture des clubs l’été dernier. Ce qui ne nous a pas empêché de travailler très efficacement notre retour sur scène, de redessiner les Bravo Club et leur positionnement. Nous avons peaufiné notre concept, il a trouvé son équilibre.
Le concept Bravo Club, c’est l’anti-resort.
En quelques mots, quel est le concept Bravo Club ?
Patrice Caradec : C’est avant tout l’esprit village. Le concept Bravo Club, c’est l’anti-resort. Donc, des clubs de vacances 4 et 5 étoiles, à taille humaine, en tout inclus.
L’anti-Club Med ?
Patrice Caradec : Pas que [Rires]. C’est vrai que le Club Med n’utilise plus le terme village, mais resort… Les Bravo Club sont de petites unités, pour de petits groupes de 12 à 14 personnes, avec des activités en dehors du club. On veut faire vivre la destination, pour que nos clients soient comme des locaux. Avec des cours de cuisine, de danse, des dîners chez l’habitant. Le tout étant organisé par le Maestro Bravo qui connaît bien la destination. Ce qui ne nous empêche pas de vendre aussi des excursions classiques. Nous n’avons pas non plus de spectacles le soir, mais des soirées karaoké, guinguettes, quizz… Pour privilégier le partage, se faire vite des amis, créer des souvenirs.
Nous sommes dans l’esprit des clubs Kappa de NG Travel, non ?
Patrice Caradec : Je pense que NG Travel l’a mieux marketé que nous. Mais on a une place à prendre, d’autant que nous avons un encadrement de qualité pour les enfants, avec des professionnels diplômés. L’encadrement des enfants est un pilier majeur de nos clubs, avec la découverte et le fitness incluant le yoga.
La productivité de ses 200 agences Leclerc Voyages reste inégalée.
Autre sujet d’actualité : les négociations avec Leclerc Voyages viennent de prendre fin, le réseau s’est a priori montré gourmand. Celles avec Selectour, pour l’accord 2022-2025, vont bientôt démarrer. Quelles sont vos attentes ? On se souvient que vous n’étiez pas d’accord avec Laurent Abitbol, le président de Marietton et Selectour, lors d’un débat à l’IFTM 2019…
Patrice Caradec : Moi, je suis très content de mon accord avec Leclerc Voyages. C’est mon plus gros réseau en termes de ventes. La productivité de ses 200 agences de voyages reste inégalée. Il y a un savoir-faire, une bonne formation, un site internet efficace. Pourtant, Leclerc ne facture pas de frais marketing démesurés. Est-il gourmand ? Peut-être, mais pas toujours. Le réseau sait ne pas l’être quand nous menons une grande opération. Avec Selectour, le premier accord triennal avec Alpitour a été signé pour entrer en vigueur le 1er janvier 2019 en prises de commandes. Nous espérions que, après la prise en main des produits, 2020 soit la première véritable année du partenariat. Mais encore une fois, tout s’est arrêté en mars. L’accord qui entre bientôt dans sa troisième année reste une déception des deux côtés.
Aujourd’hui, qu’attendez-vous de cet accord avec Selectour ?
Patrice Caradec : Etre référencé en bonne position. J’ai besoin du réseau Selectour, avec un bon équilibre financier. Je préfèrerais qu’il y ait un référencement plus resserré, avec moins de coûts marketing siège. Après, c’est une négociation et comme le dit très bien Laurent Abitbol (président du directoire de Selectour, NDLR), les TO ne sont pas obligés d’accepter. Kuoni n’a pas signé. A mon avis, il y a un point qui pourrait toutefois être rediscuté : les délais de paiement. Je n’ai pas l’argent avant le départ, je ne vais pas me battre là-dessus. Mais plutôt que d’avoir les paiements à 20 jours du mois N+1 (soit le 20/02 pour tous les départs de janvier, NDLR), j’aimerais les avoir le 5 ou le 10 du mois N+1. Nous pourrions, nous les TO, gagner 10 à 15 jours. Les conditions de paiement seraient ainsi améliorées au profit des tour-opérateurs, qui seraient payés plus vite. Ce serait un bon signal d’écoute réciproque. C’est un voeu. Selectour, mais aussi Leclerc et TourCom, les réseaux de distribution en général, sont du bon côté (de la négociation)…
Autre sujet, nous avons appris que François Millet et Romaric Bau avaient quitté Alpitour. Que s’est-il passé au niveau de l’équipe dans son ensemble ?
Patrice Caradec : Nous sommes une petite structure. Nous étions 28 personnes avant le confinement. Nous avons effectivement connu ces deux départs, les seuls à ce jour. Aujourd’hui encore, les équipes sont au chômage partiel, à hauteur de 20% à 100%. Désormais, nous avons en permanence au bureau 4 à 6 personnes.
En Italie, agences et TO recevront 625 millions d’euros d’aides. Quel est le dispositif global mis en place par le pays où Alpitour a son siège ?
Patrice Caradec : Je suis allé à la pêche aux informations pour L’Echo touristique [rires]. Pour tous les secteurs d’activité, comme en France, nous avons deux types d’aides : le dispositif du chômage partiel, moins-disant que chez nous, impliquant le blocage total des licenciements, et un système de Prêt garanti par l’Etat (PGE), avec un délai de carence allant jusqu’à deux ans, et un remboursement sur 5 à 10 ans. Alpitour Monde, pour l’activité tour-operating et aérien, a obtenu un PGE de plus de 260 millions d’euros. Je rappelle que le groupe représente deux milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2019, pour un Ebitda proche de 70 millions d’euros. Le secteur du voyage a eu quatre grands volets d’aides. Concernant l’enveloppe de 625 millions d’euros non-remboursables versés aux voyagistes et aux agences italiens sans contreparties, le groupe Alpitour espère obtenir plus de 50 millions d’euros. Par ailleurs, dans l’aérien, trois compagnies privées -Neos qui appartient à Alpitour, Air Dolomiti et Blue Panorama- sont éligibles à une aide globale qui devrait atteindre 130 millions d’euros. Alitalia n’est pas dans le dispositif, elle a un traitement à part. Un autre volet concerne un crédit fiscal sur des loyers d’immeubles comme les hôtels, ce qui intéressse notre chaîne Voi Hotels. Enfin, l’Italie a prévu un bonus vacances, dans le cadre du décret de relance voté en mai 2020 : une contribution de 500 euros au maximum est accordée aux citoyens italiens, pour un séjour dans des hôtels ou d’autres hébergements italiens. C’est comme un chèque vacances, qui pourra être consommé le 30 juin 2021 au plus tard.
Sur l’exercice 2021, nous prévoyons environ 20 millions d’euros, soit l’équivalent de 2018.
Projetons nous en 2021. Quelles seront les grandes lignes de votre production ?
Patrice Caradec : Nous avons de nouveaux produits en Croatie, en Crète, au Mexique près de Cancun. A ces nouveautés 2021 s’ajoutent celles que nous avions prévues en 2020 comme Minorque et Majorque. L’une de nos grandes nouveautés sera un hôtel-île aux Maldives, qui est une destination très prisée des Italiens. En tout, nous disposerons de 22 clubs entre le moyen et le long-courrier. Une dizaine de clubs sont 100% pour la clientèle française, les autres sont partagés par la clientèle italienne d’Alpitour. Sur l’exercice 2021, qui se jouera surtout du 1er mai au 31 octobre, nous prévoyons environ 20 millions d’euros, soit l’équivalent de 2018.
Où en sont les avoirs d’Alpitour ? Il reste des millions d’avoirs à convertir en 2021 !?
Patrice Caradec : Tout à fait. Nous avons converti 95% de notre activité groupes sur des départs en 2021. Seulement 25% des individuels ont reconfirmé une date de report. Il nous reste un important travail à accomplir. Nous rentrons dans le dur : ceux qui n’ont pas reporté à ce jour ne vont pas le faire, ou peu. L’argent n’étant pas chez moi, je ne rembourserai pas grand chose… Ce sera nettement plus laborieux pour nos agences de voyages. Les clients peinent toujours à se projeter.
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