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Navi Radjou : Monsieur Frugal

Il a beau avoir fait Centrale, sa science de l'ingéniosité, Navi Radjou ne l'a pas apprise à l'école. Mais à Pondichéry, là où il a grandi, « parce qu'en Inde, c'est par nécessité qu'on pratique l'innovation frugale. » Depuis, le sujet ne l'a pas lâché. Conférencier international, Navi Radjou expl

L'Écho touristique : En quoi consiste l'innovation frugale ? À première vue, les deux termes semblent contradictoires…

Navi Radjou : L'innovation frugale est un concept qui permet aux entreprises de créer plus de valeur – économique et aussi sociale – à moindre coût, et en utilisant moins de ressources. Les deux termes peuvent sembler contradictoires parce que l'on associe souvent l'innovation avec un grand centre de recherche et un énorme budget R et D. Dans les pays émergents, les gens très pauvres innovent de façon frugale. Ils sont obligés de faire marcher le système D car ils ont très peu de moyens et cela crée des solutions tout à fait ingénieuses ! Ce modèle doit être adapté à l'Occident. La crise économique, qui conduit les consommateurs à dépenser différemment, et la raréfaction des ressources naturelles imposent de savoir faire plus avec moins.

Vous montrez dans votre livre que toutes les entreprises peuvent s'y mettre. C'est déjà le cas de certains poids lourds du tourisme…

Absolument. C'est le cas de la SNCF notamment, qui est amenée à innover pour faire face à deux types de disruption : la disruption digitale et l'émergence de l'économie du partage. La SNCF a donc mis en place TGV Lab, une cellule d'innovation interne. Son objectif est de prototyper et de valider de nouvelles solutions en six mois. Et l'innovation frugale, c'est justement minimiser les ressources financières, mais aussi le temps, parce que le temps est la ressource la plus rare. Réduire les délais, c'est gagner en agilité.

Comme vous le soulignez dans votre livre, son rôle est aussi de faire les erreurs que la SNCF n'aura pas à faire…

Exactement. C'est ce que l'on appelle le fail fast, fail early, fail cheap : échouer plus tôt, plus vite, à moindre coût. C'est la culture des start-up de la Silicon Valley. (…) Cela veut dire prendre des risques calculés, et les gérer savamment. Comme les ressources sont limitées, les risques le sont aussi, puisque ces projets ne sont pas menés avec de gros budgets. Ce que fait la SNCF avec TGVLAB est aussi un bel exemple de la façon dont on peut introduire progressivement une culture de l'innovation dans l'entreprise, en instaurant de nouvelles références en termes de mentalité et d'agilité.

Le groupe Accor, lui, a pris le parti d'innover en s'appuyant sur l'externe…

Pour rivaliser avec ses nouveaux concurrents, et notamment Airbnb, Accor a effectivement décidé d'aller chercher les solutions en dehors du groupe. Un senior vice-président a été nommé, Yves Lacheret, en charge de l'innovation ouverte. Son rôle est d'aller chercher des entreprises partenaires, souvent des PME ou des ETI (entreprises de taille intermédiaire) qui ont déjà une certaine maturité, mais qui n'ont pas accès à tous les marchés. Accor se positionne comme un grand frère de ces entreprises. Concrètement, le responsable de dix ou vingt hôtels peut se faire le champion d'une initiative en créant un partenariat avec une entreprise. De cette façon, il peut rapidement piloter un projet, le valider. Accor peut ensuite décider de l'appliquer à plus grande échelle.

En quoi est-ce frugal ?

C'est d'abord frugal en termes de recherche d'idées et de solutions. Au lieu d'investir soi-même et de réinventer la roue, ce qui se pratique souvent dans le monde de l'innovation, on noue des partenariats. De cette façon, on « dérisque » l'échec. C'est enfin frugal dans le sens où certains de ces partenariats peuvent être passés avec des entreprises qui ont une vocation sociale. La démarche d'Accor, c'est de trouver des partenaires qui vont lui permettre d'atteindre des objectifs en termes de durabilité, de confort des clients, et d'augmentation de la productivité. Il n'y a rien à investir, en revanche l'innovation doit être beaucoup plus managériale : faire évoluer la culture, créer une nouvelle position en équilibre, alléger les procédures juridiques pour que les contrats de partenariats soient plus simples…

Il y a effectivement un choc culturel entre ancienne et nouvelle économie, qui soulève aussi des problèmes juridiques. Le cas d'Uber et d'Uber Pop en est un exemple. Comment voyez-vous les choses évoluer ?

Je vois les choses plutôt du point de vue du consommateur. Qu'on le veuille ou non, les consommateurs sont en train de devenir frugaux. Par exemple, de plus en plus de gens ne sont plus intéressés par le fait de posséder une voiture. Ils veulent simplement avoir accès à un véhicule, quand ils en ont besoin. Nous sommes vraiment dans une idée de fonctionnalité. Ils ne sont plus dans une quête de valeur au singulier, mais de valeurs au pluriel. Parce que nous voulons simplifier notre vie, avoir une meilleure expérience sociale, avec le covoiturage par exemple, et c'est ça qui va faire la bascule. Tout l'objet de mon livre, c'est de dire que l'innovation frugale est une nécessité de l'entreprise pour répondre au phénomène majeur qu'est la consommation frugale. Les entreprises qui réduisent cela à une disruption technologique se trompent. Ce n'est pas ça la disruption. La disruption, c'est une mutation en profondeur des valeurs, au singulier et au pluriel, des consommateurs. (…)

Un touriste peut-il lui aussi devenir frugal ?

Je pense que c'est possible, l'arrivée d'Airbnb le prouve. Pour moi le tourisme frugal, c'est avoir accès à des produits, des services, des expériences, qui sont abordables, simples, durables – ce point va devenir de plus en plus important – et de qualité. La qualité ne signifie pas le luxe, c'est l'expérience, c'est subjectif. Ca peut être quelque chose de pas cher, mais d'unique. (…) Une autre innovation majeure à apporter, c'est le concept de clients partagés. Il faut prendre conscience que le consommateur recherche de moins en moins un service de marque, ce qu'il veut, c'est une expérience intégrée, end to end. Il est pour cela dans l'intérêt des marques de s'associer entre elles pour proposer une solution complète répondant aux nouveaux besoins. L'idée ce n'est plus de défendre sa part du gâteau, c'est de cocréer un plus gros gâteau. C'est une révolution de mentalités à opérer.

Comment s'y prendre ?

Le salut va notamment venir de l'Open Data. Cette idée de client partagé va également conduire les entreprises à partager leurs données, c'est le premier niveau, et le deuxième niveau, le plus excitant, c'est le partage BtoB, le partage d'actifs entre entreprises. (…) Les entreprises du secteur du tourisme ont un peu un complexe d'infériorité, c'est un athlète sumo qui rivalise avec un judoka, qui est très agile, mais en réalité le sumo, en actifs, ce n'est pas mal ! Parce que les actifs, on peut les valoriser en les partageant. On peut tout partager : les données, les actifs, les clients, même les employés ! Ce n'est pas « prêter » ses employés à une autre entreprise, mais donner la possibilité à ses collaborateurs de s'exposer à d'autres secteurs, d'autres façons de penser. Cela se pratique déjà dans certaines industries, comme l'automobile.

En somme, il est toujours possible de se réinventer…

Effectivement. Je ne crois pas à la disruption, je crois davantage aux secondes chances et à la possibilité de se réinventer. Je préfère parler de transformation. Il est vrai que les start-up disruptent mais dans mon livre, la moyenne d'âge des entreprises que je profile est de 68 ans. Collectivement, ces entreprises ont une expérience de vie de 5 000 ou 6 000 ans. Ce que je veux montrer à travers cela, c'est que même les éléphants peuvent danser ! Les David numériques, comme je les appelle dans mon livre, sont en effet en train de rivaliser avec les Goliath de l'économie traditionnelle. Mais il y a des choses que seules ces entreprises sont capables de faire. Un savoir-faire tout à fait unique dans l'hôtellerie par exemple. Si vous parvenez à amplifier ce savoir-faire grâce aux outils digitaux, c'est fabuleux ! C'est déjà en train de se passer. Il ne s'agit pas de transformer les entreprises de l'hôtellerie en entreprises digitales, c'est de la foutaise. Au contraire, restez des hôteliers, restez des experts du tourisme, gardez ce qui vous rend unique. Simplement, enrichissez votre boîte à outils. (…)

Finalement, l'économie du partage est aussi une bonne source d'inspiration…

On la voit comme une rivale, mais pourquoi ne pas l'adopter en BtoB ? Toutes les tendances en BtoC entrent dans le BtoB dans les cinq ans. Ce qu'il faut se demander, c'est ce qu'on peut adopter du monde BtoC dès maintenant. Ça donne un avantage concurrentiel énorme. (…) Toute ma recherche actuelle, c'est analyser ce qui se passe quand la demande in

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