Le terrain miné des comités d’entreprise
Le constat : Tous les acteurs du tourisme se focalisent sur ce relatif îlot de stabilité du marché, qui a pourtant tendance à se contracter et à se transformer. L’analyse : Une bonne partie de l’activité groupes de ce créneau reste tenue par des groupistes, mais l’activité individuels intéresse tout le monde.Les frictions : Le sujet reste un problème explosif de définition de frontières entre production et distribution, laquelle voit lui éc
En explorant les nombreux portails Internet spécialisés sur les comités d’entreprise (CE), on découvre pêle-mêle, l’offre de tour-opérateurs de toutes tailles, nationaux ou régionaux, généralistes ou spécialistes, groupistes long-courrier ou court séjour, autocaristes, agences, réceptifs, transporteurs tous modes, prestataires locatifs et parcs de loisirs… Un inventaire à la Prévert qui reflète le maelström de ce microcosme : « tout le monde s’y précipite avec tous les arguments de séduction », observe un voyagiste. « Les CE sont vraiment très sollicités et courtisés », résume Jean-Louis Lopez directeur de JLL Travel, grossiste groupes représentant de réceptifs européens. D’après lui, « c’est un monde souterrain, peu transparent ni même avouable où tous les coups sont utilisés ». Car le jeu en vaut la chandelle. Il existe en France entre 30 000 et 33 000 comités d’entreprise et comités d’établissement, générant un chiffre d’affaires de 11 ME (1 % de la masse salariale brute des entreprises de plus de 50 salariés), dont 15 % sont réalisés en achats de voyages, selon les chiffres de Jacques Lambert, de Salons CE (Comexposium), organisateur de 31 salons régionaux spécialisés. « Les études ont montré que ce marché est difficile à quantifier », nuance-t-il.
UNE DEMANDE QUI ÉVOLUE
Pourtant le gâteau se contracte. En effet, défaillances d’entreprises et réductions d’effectifs amènent les CE à faire davantage attention aux prix, à négocier sans vouloir toucher à la qualité des produits. En outre, « ils ont réorienté leurs budgets au bénéfice des oeuvres sociales », note Philippe Saint-Victor, directeur général du réseau AS Voyages. La conséquence est « une compétition accentuée », ajoute Ohran Serdaroglu, responsable de Cosmovel, filiale spécialiste des CE de STI Voyages. Les fournisseurs ont dû s’adapter aux évolutions de la consommation : « la demande en long-courrier s’est réduite au profit du moyen-courrier et de la croisière », explique Sylvain Lament, patron de Syltour et vice-président du conseil exécutif producteurs au Syndicat national des agents de voyages. Pour Jacques Lambert, « la tendance est au moins loin, moins cher. Le long circuit en groupe est remplacé par la semaine de bord de mer en France ou le parc d’attractions en individuel. Il y a une explosion de la demande sur les campings, parcs d’attractions, locations et courts séjours ».
DES RÉDUCTIONS ET DES SUBVENTIONS
Autre évolution de fond, le glissement vers l’individuel : des voyagistes référencés par les CE accordent aux salariés des réductions de 10 % à 12 %, auxquelles s’ajoute une subvention. « Ces deux segments de marché, groupes et individuels, sont très différents », souligne Jacky Morali, gérant d’Amerasia. Les acteurs les plus installés sur ce créneau sont une poignée de 10 à 15 groupistes spécialisés dont Capitales Tours, Syltours, Consult Tours avec Traces, Transunivers, Amerasia, Altis Voyages, Time Tours, Vision du Globe, produisant principalement des groupes constitués en moyen et long-courrier, affrétant eux-mêmes leurs avions. Leur modèle économique repose sur des ventes en direct exclusives ou des commissions réduites à un petit réseau d’agences. En général, ils dégagent des marges nettes plus confortables que les voyagistes classiques (entre 1,5 % et 3 %, voire bien davantage selon Sylvain Lament) parce qu’ils bénéficient d’atouts spécifiques sur un marché quasi captif : beaucoup de ventes sans intermédiaire, pas de paiements à 30 ou 40 jours, une visibilité longue, une confiance des élus reposant sur des commerciaux dédiés qui comprennent les finesses politiques et syndicales. « Ils sont plutôt parisiens, bénéficient d’une antériorité et d’une expertise », ajoute Daniel Fechting, ancien responsable de tour-opérateur et fondateur du cabinet DF Tourism Conculting. Leur assise n’a pas empêché les voyagistes traditionnels d’entrer dans la danse. Ces derniers sont plutôt positionnés sur l’individuel mais aussi les groupes, avec un service dédié, une agence intégrée ou une entité interposée (Cosmovel chez STI, Partir chez Visiteurs, Brokair chez Vacances Transat, Adora chez Top of Travel). « Ils sont d’ailleurs souvent imbriqués entre eux ou avec les groupistes, chacun sous-traitant auprès d’un autre, selon sa force sur telle ou telle destination », précise Corrine Le Cam, directrice générale de Visit Europe. Beaucoup de producteurs affirment ne pas travailler le marché des comités d’entreprise, mais tous le font plus ou moins ouvertement. Avec moins de scrupules pour y aller en direct. Plusieurs raisons les y poussent. La première : « C’est stratégique. Ce marché permet de consolider les trafics sur les chaînes charters et le remplissage des hôtels en étalant les départs sur l’année », explique René-Marc Chikli. Le président de l’Association des tour-opérateurs-Ceto ajoute une seconde raison : « La vente en direct augmente les marges. » Grâce aux CE, les voyagistes disposent d’une clientèle nombreuse sans être obligés de redoubler d’efforts pour atteindre des particuliers. Les CE sont assez fidèles et leurs bénéficiaires finaux sont captifs, car ce canal d’achat est avantageux pour eux. Enfin, « un grand TO a besoin d’être présent partout, s’il n’y est pas, ses concurrents prendront sa place », lâche un patron. « Pour nous, ce n’est qu’un marché de complément. Mais nous devons être présents sur l’ensemble des canaux, même les petits », confirme Corrine Le Cam. La dernière famille d’acteurs est celle des agences (surtout celles qui ont un département groupes) et autocaristes qui tiennent souvent les marchés des CE régionaux, en visant plutôt les groupes de taille moyenne. « Les parcs à thèmes vendent des journées en direct, mais c’est souvent l’autocariste qui fait le business dès qu’il faut y ajouter bus et nuit d’hôtel », explique Philippe Saint-Victor. Ces agences et autocaristes achètent à des groupistes ou à des voyagistes lorsque la puissance d’achat est nécessaire. « Parfois ils produisent eux-mêmes, ce qui est devenu plus simple », constate Daniel Fechting.
LES LIGNES NE SONT PLUS ÉTANCHES
De fait les lignes entre production et distribution ne sont plus aussi étanches, puisque beaucoup d’agences deviennent productrices. Le sujet reste conflictuel : les tour-opérateurs reprochent aux agences de leur coûter trop cher, lesquelles accusent les voyagistes de leur piquer leur marché. « On tente de vivre en harmonie, gagnant gagnant avec la distribution, et de faire ponctuellement un geste vis-à-vis d’une agence. Nous avons intérêt à ne pas tout casser », indique prudemment un grand tour-opérateur. « Notre politique est claire : on ne refuse pas une cotation, mais quand nous sommes en compétition avec un TO qui sous-traite chez nous ou une agence qui nous distribue, nous nous retirons, indique Corrine Le Cam chez Visit Europe, car un TO tenté par une grosse marge facile en contournant ponctuellement une agence réalise un one shot en court terme où il reste de perdre une agence ». AS Voyages dit avoir réduit cette cause de frictions incessantes dans le cadre du référencement Top 14. « Un accord plus satisfaisant a été conçu dans un esprit de complémentarité : si une agence ou un TO se trouvent face à un même client, le TO laisse la place à l’agence. Il s’y retrouve en volume d’activité au départ de la région et économise des frais de commerciaux spécialisés, indique Philippe Saint-Victor. Un TO résiste à sa tentation de vente en direct selon sa vision de la pérennité de la relation commerciale avec les agences. Il n’y a pas de guerre concurrentielle sur les prix et les marges pour les groupes, mais notre enjeu au quotidien reste celui des individuels. » Pour lui, les forces commerciales de proximité des agences de voyages ont une vraie place sur le marché des groupes et ont démontré leur efficacité : leurs clients CE choisissent en priorité les voyagistes référencés chez elles.
LES AGENCES EN LIGNE AUSSI
En marge des spécialistes, des tour-opérateurs classiques et des agences traditionnelles sont aussi apparus des acteurs spécifiques sur l’Internet, drainant les CE pour les disperser sur une multitude d’acteurs : canalce.com, comiteoloisirs.com, reflexece.com, salonsce.com, fournisseursce.com… Tous les voyagistes qui s’intéressent au marché y sont exposés… y compris ceux qui disent ne pas y toucher ou ne le faire que de façon anecdotique. De grandes agences en ligne sont aussi entrées en scène comme Promovacances. Un acteur particulier se distingue : l’agence Meyclub, rachetée en 2009 par le fournisseur de technologies ProwebCE. Elle a ouvert un nouveau site début 2010, accessible aux salariés des entreprises dont le CE a adhéré chez elle. L’agence a négocié avec 90 voyagistes des remises de 5 % à 50 %. C’est la seule agence en ligne subventionnable, puisque les salariés sont reconnus sur le compte de leur entreprise affichant les subventions qui leur seront consenties en plus de la remise. Ainsi, 5 000 comités d’entreprise représentant 4 millions de bénéficiaires potentiels ont déjà adhéré à l’agence. Meyclub est aussi active sur les voyages de groupes constitués, puisqu’elle compte 20 salariés qui y travaillent. Enfin, une des inquiétudes des tour-opérateurs et agences de voyages est l’importance prise par les plus importants CE. Certains produisent eux-mêmes leur catalogue électronique ou papier, à partir de produits sélectionnés et de prix négociés chez plusieurs tour-opérateurs. Ils se professionnalisent et veulent devenir maîtres de leur propre activité. « Le CE de Total, par exemple, a un catalogue de voyages digne d’un grand voyagiste, offrant des réductions de 8 % à 10 % », indique Ohran Serdaroglu, de Cosmovel.
PAS COUVERTS POUR CERTAINS RISQUES
Sans être hors la loi, « ces CE se sont transformés en revendeurs avec des chiffres d’affaires qui feraient pâlir beaucoup d’agences de voyages », remarque Sylvain Lament, de Syltour. Les remises que leur accordent les voyagistes coûtent moins que les commissions tout compris laissées aux agences. Pour Philippe Saint-Victor, « ils sont devenus organisateurs de séjours, et sont donc soumis aux mêmes responsabilités qu’une agence en cas de défaillance d’un TO. Or ils n’ont pas de couverture pour assumer ce risque. »
Entre 30 000 et 33 000 co