L’écotourisme, un avenir pour l’Afrique
Avec 4 % des échanges mondiaux, l’Afrique est le parent pauvre du tourisme international. Ce sombre constat cache d’énormes disparités entre les 48 pays d’un continent largement sinistré par les conflits. Pourtant, les raisons d’espérer existent…
Cet été, Claire et Denis n’ont pas choisi de partir en Croatie ou en République dominicaine. Avec leurs deux enfants, ils ont préféré mettre le cap sur une destination bien plus exotique : le Niger. Une exception, ou presque. Car l’Afrique reste le parent pauvre du tourisme international. Le deuxième continent du monde en taille, fort de 760 millions d’habitants, n’accueille que trente millions de touristes internationaux, dont onze millions d’Africains. A peine plus de 4 % des échanges mondiaux ! Côté recettes, c’est encore pire : 2,5 % des flux internationaux. Un indice de pauvreté supplémentaire pour un continent qui est passé à côté du boum touristique de la fin du xxe siècle.
Ces chiffres globaux sont désolants, même s’il faut évidemment les nuancer. Le comité africain de l’Organisation mondiale du tourisme (OMT) compte 48 pays membres (l’Egypte et la Libye sont rattachées au Proche-Orient). Mais leurs situations sont très différentes, tant d’un point de vue géopolitique qu’en termes d’attractivité touristique. L’Afrique du Sud est, de loin, la première destination du continent, suivie par la Tunisie et le Maroc. A eux trois, ces pays concentrent 55 % des arrivées (80 % des touristes au Maroc et en Tunisie viennent d’Europe, mais en Afrique du Sud, 70 % sont des régionaux). Les autres poids lourds sont le Botswana, la Tanzanie et le Kenya, et aussi l’île Maurice, même si elle est plus facilement associée à l’océan Indien qu’à l’Afrique dans l’esprit des voyageurs. Mais rares sont ceux qui dépassent au final le million de touristes par an !
Les gros tour-opérateurs se désengagent
Plus inquiétant, les leaders sont loin de jouer les locomotives nécessaires au continent et connaissent quelques sueurs froides, à l’exception notable de l’Afrique du Sud. Ainsi le Sénégal est l’un des rares pays d’Afrique à attirer les Occidentaux par centaines de milliers (2/3 de Français), surtout en hôtels-clubs. Les emplois directs et indirects liés au tourisme sont estimés à 100 000. Mais ce soleil d’hiver est désormais soumis à forte concurrence, la clientèle s’érode. Un audit récent de l’OMT pointe les faiblesses du tourisme sénégalais, sans vraiment proposer de solutions concrètes. Henry-Guy Broc, patron du TO Secrets d’Afrique en est presque désabusé. Le tourisme de masse est fatigué, les gros TO se désengagent parfois. Les clientèles alternatives sont quasi-inexistantes, l’image n’est plus très bonne, les problèmes aériens récurrents. La faillite d’Air Afrique est là pour le rappeler, tout comme l’annulation des vols de Look Voyages vers Cap Skirring et Saint-Louis, mais il en a vu d’autres : L’Afrique, c’est pas toujours facile… Un euphémisme !
Le Kenya, que les opérateurs disent en toute petite forme, est une autre destination mature à devoir reconstruire son image, galvaudée par l’industrie du safari, les séjours bradés et les attentats. La vaste campagne de communication en cours initiée par l’office du tourisme (240 000 E investis en France d’octobre 2003 à décembre 2004) suffira-t-elle à inverser la tendance ? Les premiers résultats seraient satisfaisants.
Sylvie Pons, directrice de Makila Voyages, préfère raconter une autre Afrique. Son territoire, c’est l’Afrique australe et de l’Est, version chic, l’Afrique des safaris, la préférée des TO haut de gamme. Cet été, outre le manque de capacité habituel dans les (trop) rares lodges ultrachics de Namibie et du Botswana, elle a dû gérer un surbooking en Tanzanie, où deux lodges n’ont pas rouvert à temps, provoquant la pagaille. L’anecdote donne une idée de la taille du marché ! En haute saison, les capacités sont insuffisantes et les solutions alternatives aussi ! regrette-t-elle. Le Zimbabwe ? Fini. La Zambie ? Une rolls du safari, mais anglophone, les Français l’ignorent. Le Mozambique ? Les îles oui, mais les parcs ne sont pas déminés. A l’exception de l’Afrique du Sud, l’Afrique des grands espaces n’est décidément pas faite pour le tourisme de masse !
Quelques espoirs du côté de l’Ethiopie et la Tanzanie
De beaux dossiers, mais des volumes modestes, confirme Jean-François Rial, PDG de Voyageurs du Monde. A travers les marques Voyageurs, Comptoir et Terres d’Aven-ture, l’Afrique séduit tout de même 20 % des clients du groupe. Cette année, c’est la Tanzanie (avec Zanzibar) qui a la cote. Et l’Ethiopie enregistre un bon succès, avec… 150 clients dans l’année ! A peine un charter vers Majorque. Mais un potentiel inversement proportionnel ?
Une carte de l’Afrique touristique très inégale
En dehors de cette poignée de pays leaders soumis parfois à rude épreuve, la sécheresse des chiffres dessine une Afrique touristique inégale. Dans beaucoup de pays vierges de touristes, c’est la guerre, l’après-guerre ou l’avant-guerre qui explique ces contre-performances. Une Afrique dévastée, mais qui n’explique pas tout. Parfois, on est surpris par les performances faiblardes de destinations. Le Cameroun, par exemple, immense, pacifique et, dit-on, magnifique. Le développement du tourisme est aussi une question de volonté politique, répond un réceptif franco-camerounais. De là découlent la construction d’infrastructures, la formation des hommes, la mise en place de dessertes aériennes et de campagnes de promotion. Résultat : le Cameroun, qui manque un peu de tout mais d’abord de bonnes liaisons aériennes, est boudé…
Les membres du comité africain de l’OMT ont tenu au printemps 2003 en Angola leur 39e sommet, pour lancer une nouvelle publication régulière sur le tourisme africain. Le premier numéro, un audit en forme de bilan sur la période 1996-2003, dit à peu près la même chose que ce réceptif camerounais, en plus long et en plus détaillé bien sûr. Recettes connues, peu appliquées…
L’actualité récente fournit pourtant au moins trois bonnes raisons de se réjouir pour le tourisme africain, ce n’est pas si fréquent ! La première est statistique : en 2003, la fréquentation a légèrement progressé (tirée il est vrai par l’Afrique du Sud), dans un environnement international sinistré. Et la tendance est plutôt bonne pour cette année. La deuxième est plus glamour mais aussi économique : c’est l’Afrique du Sud (décidément très en vedette) qui a été retenue pour accueillir la Coupe du monde de football en 2010 ; le continent accueillera alors sa première grande manifestation internationale. La construction d’infrastructures est une garantie pour l’avenir touristique du pays.
La micro-économie, une chance pour le continent
Enfin, la dernière est la plus utopique. L’OMT a récemment rappelé que le tourisme mondial doit jouer un rôle essentiel dans la lutte pour la paix et contre la pauvreté, et annoncé des mesures en faveur du microcrédit. Il y a sûrement des villageois africains qui rêvent d’une coopérative, d’un campement touristique. Pourquoi pas ? Les expériences menées ici ou là ont démontré l’efficacité du système ; en Afrique, où les crédits tout courts se perdent souvent dans la nature, il pourrait même faire des miracles…
Quelques belles niches pleines de promesses
Car, même pleine de bruits et de fureur, l’Afrique porte en elle les promesses de tous les matins du monde et suscite de belles vocations, le plus souvent artisanales, menées en marge de l’industrie. Cette dernière concentre ses efforts sur deux axes : le tourisme de vision, orienté sur la découverte des animaux, en Afrique australe et de l’Est (infrastructures de bon niveau et prix afférents) et le tourisme balnéaire au Sénégal, sur la côte kenyane, aux Seychelles, à Zanzibar ou Madagascar… Ailleurs, ce sont les niches qui animent le marché : randonnée, chasse, pêche, photo animalière, circuits érudits… Autant de marchés minuscules, défrichés par une poignée de petits TO français, qui envoient au mieux quelques centaines de Français chaque année sur le continent. Le trek au Sahara est par exemple devenu une valeur sûre, qui se balade toutefois d’un désert à l’autre au gré des aléas géopolitiques. C’est surtout un gros succès de ces dernières années, notamment grâce à la Mauritanie.
Le tourisme solidaire est pour sa part une valeur montante, peut-être la véritable voie de l’avenir. Séjours authentiques dans villages autogérés et autres structures associatives ou liées à des Organisations non gouvernementales (ONG) se multiplient en Afrique subsaharienne. Plutôt en Afrique noire de l’Ouest, mais aussi en Afrique du Sud. Le développement durable est à la mode et l’Afrique, pour une fois, peut surfer sur la vague !
Désenclaver des régions
Exemple le plus frappant : celui des Dogons. Le peuple du Mali fascine. La saison dernière, plus de 10 000 touristes (70 % de Français) ont été accueillis dans leurs petits villages. Mais attention, gare aux dérapages ! A travers des associations, comme celle des Guides de la Falaise, et souvent en liaison avec les TO, les Dogons tentent désormais de mettre en place des règles de gestion dignes et équitables de la manne touristique. Dans la même veine, Tourismes et Développement solidaires propose des séjours dans des communautés villageoises au Burkina Faso, et depuis cet été, au Bénin. Cette ONG est devenue aussi agence de voyages en 2003. C’est un micro-opérateur dont l’activité se situe à la frontière de l’ONG et de l’entre- prise de loisirs.
Au Mali comme au Burkina Faso, l’arrivée des vols bon marché affrétés par la coopérative de voyageurs Point Afrique a contribué à développer le marché. De petits TO peuvent acheter des places sur les vols, preuve que le développement d’une destination passe par une amélioration de la desserte aérienne. Maurice Freund, fondateur du Point Afrique, revendique une démarche politique : utiliser le tourisme pour désenclaver des régions oubliées d’Afrique. La Mauritanie est un parfait exemple : 10 800 touristes à Atar l’hiver dernier, contre… zéro en 1996, avant les vols de Point Afrique. Cet hiver, l’affréteur mise (mais il n’est pas le seul) sur la relance d’Agadez (au Niger), et sur celle du Sud algérien. La coopérative privilégie toutefois de plus en plus la dimension ethnique, avec des avions remplis pour l’essentiel par des Africains expatriés en France : c’est ce qui explique le succès des vols vers Bamako, Nia