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Face aux 4 vols de Jancovici, Jean-François Rial défend un ambitieux projet mondial

Le président du Shift Project Jean-Marc Jancovici a récemment proposé une mesure choc, 4 vols dans toute sa vie. Jean-François Rial, le PDG de Voyageurs du Monde, donne son avis, et surtout partage sa vision pour décarboner toutes les activités humaines.

Que pensez-vous de la proposition de Jean-Marc Jancovici : un quota de 4 vols par personne dans toute sa vie ?

Jean-François Rial : Jean-Marc Jancovici déclare qu’il n’existe pas de solution à l’échelle pour décarboner l’aérien dans les délais fixés par l’Accord de Paris, et il a raison : nous produisons 100 millions de litres de carburant de synthèse par an – la seule solution d’ampleur – sur un besoin de 450 milliards de litres… Mais il omet d’ajouter qu’il n’existe pas non plus de solution à l’échelle pour l’électricité verte, laquelle permettra de décarboner les autres activités comme les voitures ou le numérique. D’ici 2030 et 2050, la décarbonation est impossible pour tous les secteurs d’activité, pas seulement pour l’aérien.

J’ai beaucoup d’estime pour Janco, que je connais depuis 15 ans. Lors de notre premier échange, il était déjà contre l’avion. Je lui avais alors évoqué l’utilité sociale du secteur : 10% d’emplois dans le monde, notamment dans des pays défavorisés, le rapprochement des peuples… Même si certains voyages – y compris chez Voyageurs du Monde – ont une utilité sociale très relative, fait remarquer à raison Jean-Marc Jancovici. Là où je ne suis pas d’accord avec lui, c’est sur le principe des quotas de vols. Je préfère encore ceux qui militent pour la suppression pure et simple de l’avion. 4 vols par personne et par vie, c’est inapplicable. Nous ne parviendrions jamais à une règle commune à 180 pays. Ce serait par ailleurs injuste, incontrôlable, et donnerait lieu à des passe-droits. Et puis, nous n’avons pas envie d’un système totalitaire à la chinoise.

Soit on réduit notre niveau de vie, soit on absorbe en masse. Il n’y a pas d’autre solution. 

Jean-Marc Jancovici évoque aussi le problème de l’épuisement des ressources pétrole et gaz, qui va de facto contraindre les industriels…

Jean-François Rial : Ce n’est pas le cœur du problème. Si nous consommions toutes les ressources déjà trouvées, nous ne pourrions pas gérer le réchauffement climatique. Il ne faut pas les utiliser. Nous arriverons à décarboner, mais pas dans les délais à ce stade. Tout simplement parce que nous avons trop tardivement écouté les scientifiques.

Comment passer en France de 11 tonnes de CO2 par an à 2 tonnes, pour être carbone neutre ?

Jean-François Rial : C’est même plutôt 13 tonnes de CO2 par Français. Le seul outil de décarbonation à grande échelle pour toutes les activités, c’est l’électricité. Or pour renoncer aux hydrocarbures, qui représentent 75% des émissions de CO2, il faudrait multiplier par 12 la production d’électricité décarbonée dans le monde. Impossible dans un délai raisonnable. D’où ma proposition : nous devons réduire les émissions de CO2, et massivement planter des arbres pour absorber du carbone. C’est ainsi que nous gagnerons du temps sur le délai de la décarbonation.

J’insiste sur un point fondamental : si nous ne réduisons pas, cela ne sert à rien de planter des arbres ! La diminution de notre empreinte carbone passe dans l’aérien par le renouvellement de la flotte, le roulage au sol électrique, l’éco-pilotage, l’usage du train quand c’est possible, etc. Je crois beaucoup, également, à une taxe carbone aux frontières sur l’aviation pour pénaliser, par exemple, les compagnies ne respectant pas le recours obligatoire à 5% de carburants de synthèse en Europe en 2030. Bien sûr, nous devons pousser la filière des carburants de synthèse, pourquoi pas par des crédits d’impôts. Il faut d’ailleurs les rendre obligatoires pour les jets privés. Les Etats-Unis, eux, ont décidé de les imposer sur tous leurs vols intérieurs à partir de 2050. C’est un signal très fort.

Pour décarboner drastiquement nos activités, il y aurait une autre solution, une seule : diviser par trois notre niveau de vie dans tous les domaines. Mais aucun citoyen n’accepterait.

La plantation d’arbres est critiquée. N’existe-t-il pas une autre solution ?

Jean-François Rial : Pour décarboner drastiquement nos activités, il y aurait une autre solution, une seule : diviser par trois notre niveau de vie dans tous les domaines. Mais aucun citoyen – pas même les écologistes les plus militants – n’accepterait. J’ajoute que certains critiquent l’absorption du carbone parce qu’elle n’agit pas immédiatement. C’est inexact. L’effet maximal des gaz à effet de serre intervient au bout de 10 ans… Ce qui laisse aux arbres le temps de pousser ! L’absorption, il faut la faire avec sérieux, sans faire de monoculture, en se rapprochant des forêts primaires de Pologne ou de Biélorussie. Avec des essences locales adaptées à leur localisation. La climatologue Valérie Masson-Delmotte explique bien les limites des plantations d’arbres. Mais pour cette grande scientifique, cela fonctionne quand les conditions sont réunies, ce qu’elle explique dans un thread.

Je suis aussi prêt à adopter une autre solution d’absorption de carbone que les arbres. Mais laquelle ? Dans les sols, cela paraît très complexe : il faudrait changer toute l’agriculture mondiale, nous en avons fait l’expérience avec mon fils Tom dans notre ferme bio du Perche. Les océans, nous ne savons pas faire pour l’instant, sauf peut-être avec les algues demain. La captation industrielle, on ne sait pas faire à l’échelle comme le dit si bien Janco.

Dans votre vision, à quelle échelle faudrait-il planter « massivement » ces arbres ?

Jean-François Rial : Selon une étude de l’institut polytechnique de Zurich, nous pourrions planter 900 milliards d’arbres dans le monde*, sans toucher aux activités agricoles. Cette étude est parfois discutée, je fais d’ailleurs plancher des scientifiques sur ses conclusions pour les affiner. Mais je pense que nous pouvons raisonnablement nous contenter d’un tiers de ces 900 milliards d’arbres, de 2022 à 2030. Ce qui ramène l’objectif à 38 milliards d’arbres par an, sur une période de 8 ans, au niveau mondial. J’ajoute que l’homme détruit aussi 15 milliards d’arbres par an, en net. Il faudrait commencer par limiter cette destruction.

Et au niveau de la France, quel serait l’objectif ?

Jean-François Rial : Pour la France, il faudrait étudier l’hypothèse de 100 à 500 millions d’arbres par an. C’est tout à fait envisageable. Le groupe Voyageurs du Monde en plante bien, à lui seul, trois millions par an pour absorber les émissions de CO2. Nous plantons des mangroves en Inde et en Indonésie, ce qui stimule d’ailleurs de la biodiversité, et crée même des emplois pour les pêcheurs.

Je veux monter cette coalition mondiale (…). C’est mon nouveau projet, pour les 20 prochaines années (…). Je serais alors une toute petite pierre de cette ambition.

En plantant ces 38 milliards d’arbres par an, pourrions-nous selon vous limiter le réchauffement climatique à 1,5 degré ? Ou l’objectif du +1,5 degré est-il totalement mort ?

Jean-François Rial : Il est mort selon de nombreux scientifiques. Il n’est effectivement pas tenable, sauf si nous procédons rapidement à l’absorption massive des émissions de CO2 avec ce plan.

D’après le Giec, nous devons réduire de 45% nos émissions de CO2 en 2030, par rapport à 2010, pour tenir cet objectif de +1,5 degrés. En partant du niveau de 2022, on doit réaliser -53%. Il faudrait donc une réduction de 5% par an, au minimum. Nous pouvons probablement parvenir à réduire de 2% par an. Pour les 3% restant, c’est là que les arbres peuvent nous aider. Je pense qu’il faut monter une coalition mondiale privée pour l’exécution de ce plan à 38 milliards d’arbres, et embarquer les Etats comme partenaires. Emmanuel Macron pourrait être un allié formidable, et la France avoir le leadership là-dessus. Il a déjà promis la plantation d’un milliard d’arbres d’ici à 2032.

C’est donc votre nouveau grand projet ?

Jean-François Rial : Je suis écologiste et voyagiste, j’aime l’idée de concilier les deux de manière crédible. Oui, je veux monter cette coalition mondiale, avec des écologistes qui iront chercher des financements et des Etats qui nous aideront sur le foncier. C’est mon nouveau projet, pour les 20 prochaines années. Je souhaite le mettre au point avec les meilleurs scientifiques et toutes les personnes engagées sur le sujet. Je serais alors une toute petite pierre de cette ambition. Le financement viendrait des crédits carbones, des entreprises, des ONG, des donations…

En avril 2022, les voyagistes ont proposé la création d’un fonds sous l’égide du Syndicat des entreprises du tour-operating (Seto). Où en est ce projet ?

Jean-François Rial : En année 1, le Seto va collecter environ un million d’euros. C’est un bon exemple de la mobilisation de la profession contre le réchauffement climatique.

*Ces 900 milliards d’arbres permettraient de stocker deux tiers des émissions de carbone créées par l’activité humaine depuis la fin du 19ème siècle avec le début de l’ère industrielle. 

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5 commentaires
  1. Lionel Terrail dit

    Le tourisme est avant tout un marché d’offre. Si les parties prenantes du secteur se mettent d’accord pour limiter les produits à fort impact carbone dans leur catalogue au profit de produits véritablement durables (écologiquement, socialement, et économiquement), la mutation a de bonnes chances d’aboutir, en accompagnant les personnes et entreprises qui subiront le plus fort impact. Elle pourrait être pérenne si elle se déroule dans un contexte de transition globale de nos modes de vie (rapport au temps, à la vitesse, aux « besoins » vs « envies »). Mais laisser penser que nous pouvons poursuivre le Business as usual en plantant des arbres – ce que beaucoup vont malheureusement retenir de cet article – est une utopie dangereuse…

  2. Feanor dit

    Passer de l’un des pires en termes d’émissions au meilleur, c’est assez probablement utopique comme espoir. De plus si on considère de tels avancées, celles ci profiteront nécessairement aux autres moyens de transports qui sont pour certains bien plus importants voir vitaux.

  3. Feanor dit

    Il oublie malheureusement que le problème est un problème global. Planter des arbres prend de l’espace, développer l’électrique également (plus ou moins selon les solutions retenues), la nécessité d’arrêter l’utilisation des énergies fossiles (ou leur raréfaction peu importe) a une incidence sur les rendements agricoles et donc sur la surface nécessaire – mais on peut en compenser une partie par des changements dans le système agricole lui même. Vouloir de l’énergie, de la nourriture et des forêts captatrices sont des activités en concurrences les unes avec les autres.
    De fait on ne s’en débrouillera pas sans baisser les émissions, mais qu’est ce que baisser les émissions sinon baisser le niveau de vie des gens ? Que se passera t il d’après lui lorsque le niveau va baisser ? A mon humble avis, leur priorité ne sera pas de prendre l’avion.

  4. JEAN CLAUDE FABRE dit

    Avec les matériaux et futurs carburants de synthèse, l’avion sera le seul moyen de transport en neutralité carbone

  5. Christophe Sentuc dit

    Dans leurs recommandations et calculs, Jean-Marc et Jean-François n’oublient-ils pas de considérer la forte augmentation de consommation aérienne de populations issues de nouveaux pays développés qui ont bien droit à leur tour d’en profiter ?

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