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Sophie Cluzel : « Dans le tourisme, le handicap doit être vu comme une opportunité économique »

Tourisme et handicap : deux mondes qui se parlent encore peu ? Insuffisamment, en tout cas, au regard du nombre de personnes concernées : dans le monde, 15% de la population vit avec un handicap, permanent ou temporaire. Alors en France, où en est l’offre touristique pour les personnes en situation de handicap, comment développer une politique RH inclusive, quelles sont les aides et l’accompagnement dont les entreprises du tourisme peuvent bénéficier ? Sophie Cluzel, secrétaire d’Etat auprès du Premier ministre en charge des personnes handicapées a répondu aux questions de L’Echo touristique.

L’Echo touristique : Même si des initiatives existent, peu d’opérateurs privés s’emparent encore réellement de la question du tourisme accessible en développant une offre dédiée. Comment l’expliquez-vous ? 

Sophie Cluzel : Ce qu’il faut, c’est voir l’accessibilité non pas comme une charge, mais comme un investissement. Je vois émerger des initiatives qui fonctionnent. Je pense par exemple à Accor, qui a travaillé sur la « Smart Room », une chambre pour personnes à mobilité réduite, un dispositif réclamé depuis longtemps par tout le secteur handicap. Le groupe en a fait une chambre d’innovation technologique et de design qui la rendent très agréable et très opérationnelle. Pas seulement pour des personnes en situation de handicap, mais aussi pour des personnes vieillissantes, par exemple, ou quiconque pouvant avoir des problèmes spécifiques de perte d’autonomie, permanent ou temporaire. Quand on pense handicap, on pense bien commun car de toute façon les bénéfices sont pour l’ensemble de la société, quels que soient vos besoins. L’Union européenne, c’est 80 millions de personnes handicapées, 16% de la population. A l’échelle mondiale, 15% de la population est en situation de handicap. C’est un facteur d’attractivité et ça doit être vu comme une opportunité économique, un facteur d’investissement commercial pour une clientèle qui a envie de voyager et qui a des besoins spécifiques.

Un élément important, aussi, pour la destination France…

Sophie Cluzel : Le développement du tourisme pour tous est effectivement un objectif gouvernemental. La France se prépare à accueillir de grands événements sportifs – la Coupe du monde de Rugby en 2023 et les jeux Olympiques et Paralympiques de 2024 notamment – il y a donc pour nous un vrai intérêt à travailler avec les acteurs du tourisme pour en faire une force. Nous avons plusieurs labels (…). Il y a d’abord Tourisme et Handicap, qui est une marque d’État. Elle est attribuée aux professionnels du tourisme qui s’engagent vraiment dans une démarche de qualité ciblée sur l’accessibilité aux loisirs et aux vacances pour tous. Environ 4200 établissements sont labellisés. Et puis nous avons un autre label, Destination pour tous, qui est très intéressant parce qu’il valorise l’accessibilité globale d’un territoire. 

A travers le plan France Relance, nous avons une enveloppe de 85 millions dédiée aux aides directes à l’emploi, avec une prime de 4000 euros pour tout recrutement

De façon surprenante, les villes qui ont décroché ce label Destinations pour tous ne sont pas forcément les plus touristiques…

Sophie Cluzel : Parce que ces villes en ont aussi fait quelque chose de remarquable pour leurs propres citoyens, donc la démarche reste intéressante, et elle est vraiment très globale. Mais il faut encore plus la booster, c’est indéniable. Pour l’instant, nous avons sept territoires qui ont la labellisation globale. Il faut accélérer parce que les territoires qui ont été labellisés ont bien perçu, aussi, l’intérêt économique pour eux. Pour accompagner les collectivités, et notamment les acteurs du tourisme, j’ai lancé le dispositif des « Ambassadeurs de l’accessibilité » en service civique.

Quel est le rôle de ces ambassadeurs ?

Sophie Cluzel : Ces jeunes en service civique vont pouvoir accompagner les Établissements Recevant du Public (parmi lesquels les hôtels, les restaurants, les musées… Ndlr) pour travailler sur l’accessibilité du quotidien. Ils seront aussi équipés d’une tablette leur permettant de renseigner sur le site gouvernemental « Accès libre » ce qui est déjà accessible. Ce site permet vraiment de recenser tout ce qui est déjà fait, et c’est important quand un commerçant, une station balnéaire ou une station de montagne se sont mobilisés pour avancer sur l’accessibilité, de pouvoir l’afficher, de le valoriser. Il faut que les jeunes en service civique puissent être embauchés pour pouvoir enrichir ce site internet de toutes les possibilités existantes en France. Je le dis haut et fort : échangez avec ces ambassadeurs ! L’indemnité des volontaires est directement financée par l’État à hauteur de 80%, ça ne coûte même pas 100 euros à l’organisme d’accueil.

Le plan France Relance prévoit des aides pour l’embauche et le maintien dans l’emploi des personnes en situation de handicap, y compris dans le tourisme. En quoi consiste ce dispositif ?

Sophie Cluzel : D’abord, j’aimerais souligner que toute la mobilisation gouvernementale depuis le début de la crise sanitaire a permis de stabiliser l’emploi des personnes handicapées et même de faire reculer le taux de chômage. Tout ce que nous avons pu mettre en place, avec par exemple les grandes entreprises, que nous avons mobilisées autour du « Manifeste Inclusion », l’engagement que nous avons pris en intégrant le handicap dans le dialogue social, la désignation d’un référent handicap dans les entreprises de plus de 250 personnes et les CFA… Nos mesures portent leurs fruits. Parallèlement, à travers le plan France Relance, nous avons une enveloppe de 85 millions dédiée aux aides directes à l’emploi, avec une prime de 4000 euros pour tout recrutement en CDI ou en CDD de plus de trois mois d’un salarié handicapé, sans limite d’âge pour les personnes handicapées, à la différence de la mesure jeune où il y avait un âge limite.

Il ne faut pas oublier que 80% des handicaps s’acquièrent au cours de la vie. L’apprentissage peut alors permettre une reconversion professionnelle.

Jusqu’à quand ce dispositif est-il en vigueur ? 

Sophie Cluzel : Il a été prolongé jusqu’au 31 décembre 2021, et cette prime peut être cumulée avec les aides au recrutement de l’Agefiph, l’instance qui accompagne l’emploi des personnes en situation de handicap dans le secteur privé. Il s’agit d’une incitation forte au recrutement en limitant le coût du travail. Et ça marche, puisque depuis janvier 2021 plus de 18000 contrats ont été signés, dont 64% en CDI. 83% d’entre eux ont été signés dans des PME.

Et du côté de l’apprentissage ?

Sophie Cluzel : Sur l’apprentissage, ce sont près de deux milliards d’euros, tout confondu, qui sont mobilisés (pour les personnes en situation de handicap ou non, Ndlr). Là, nous avons également une subvention de 5000 euros pour les mineurs et 8000 euros pour les majeurs, pour tout contrat d’apprentissage. Ce dispositif-là a été prorogé jusqu’au 30 juin 2022, l’annonce a été faite récemment par le Premier ministre. Et c’est aussi sans limite d’âge. Ce qui est intéressant à double titre. L’apprentissage peut permettre à un jeune en situation de handicap de rentrer dans l’entreprise, mais il ne faut pas oublier que 80% des handicaps s’acquièrent au cours de la vie. L’apprentissage peut alors permettre une reconversion professionnelle.

L’intégration de personnes en situation de handicap a toujours été un sujet complexe pour les entreprises. Au-delà des incitations financières, comment convaincre les employeurs de sauter le pas ?

Sophie Cluzel : Effectivement, c’est parfois perçu comme complexe. Pour accompagner ceux qui veulent se lancer dans une politique RH inclusive, avec Elisabeth Borne, nous avons demandé à  l’Agefiph de prendre contact avec toutes les entreprises. Il y a des délégués régionaux, il faut qu’ils aillent frapper à la porte des entreprises pour les aider à bâtir une politique handicap. Ça ne doit pas être un one shot pour l’employeur, « j’embauche et c’est tout », non. Ce qu’il faut, c’est vraiment se poser des questions. Comment est-ce que je vais accueillir cette personne handicapée, comment je vais sensibiliser les collaborateurs, comment est-ce que je me lance dans une RH inclusive. (…) Pour cette raison, les employeurs peuvent aussi avoir recours au job coaching, à l’emploi accompagné. Quinze millions d’euros y sont consacrés dans le plan de relance.

Quel est l’objectif de cet accompagnement ?

Sophie Cluzel : Le manager n’est pas forcément spécialiste des troubles que le collaborateur en situation de handicap peut avoir. Je pense par exemple au handicap psychique, aux troubles des fonctions cognitives, aux troubles de l’apprentissage… Il est normal que le manager se sente parfois un peu désemparé. Dans ce cas, il peut faire appel à un expert, c’est gratuit pour l’entreprise, qui va l’aider à préparer l’arrivée de la personne handicapée, adapter éventuellement son poste de travail ou l’emploi du temps, effectuer des aménagements sensoriels pour les personnes avec autisme… Le chef d’entreprise n’est pas seul, il est accompagné par des experts et c’est pérenne. Avec une personne handicapée psychique par exemple, il peut parfois y avoir une variabilité dans les interactions qu’elle a avec ses collègues, ou bien quelque chose qui bloque et qui n’est pas compris. Dans ce cas,  l’entreprise peut rappeler cet expert du job coaching autant que de besoin. C’est un soutien pour rentrer dans l’emploi mais aussi y être maintenu. Aujourd’hui, plus de 1300 employeurs sont accompagnés.

Faisons un focus sur le secteur du tourisme. Avez-vous le sentiment que les entreprises ont une démarche volontariste pour l’emploi des personnes en situation de handicap ? 

Sophie Cluzel : C’est très varié. Dans le secteur du tourisme, je pense que les Offices de Tourisme par exemple sont très sensibilisés parce qu’ils ont bien vu que tourisme et handicap, ça pouvait aussi, d’une certaine façon, être une marque d’apport. Pour l’emploi même des personnes handicapées, ils sont extrêmement sensibilisés dans les collectivités locales puisque beaucoup de collectivités sont, je dirais, plus volontaires que dans le secteur privé. L’hôtellerie, la restauration recrutent aussi des personnes handicapées, notamment des personnes porteuses de déficiences légères intellectuelles, psychiques. Et là, c’est pareil, l’emploi accompagné peut vraiment changer la donne.

Il faut qu’on passe d’une vision de coût à une réflexion d’investissement et de transformation économique.

De nouvelles initiatives ont vu le jour ces dernières années, notamment avec des restaurants qui forment et emploient des personnes en situation de handicap mental ou cognitif…

Sophie Cluzel : Bien sûr, on l’a vu avec le Café du Reflet, les Cafés Joyeux, les établissements d’employeurs humanistes. C’est la responsabilité sociale et sociétale des entreprises qui se met en œuvre et je tiens vraiment à saluer cela. (…) C’est aussi le regard qu’on porte sur l’employabilité des personnes en situation de handicap qui est en train de changer.

Le handicap est l’une des priorités du quinquennat, sur le volet spécifique tourisme et handicap, quel est le principal dossier que vous voulez porter ces prochains mois ? 

Sophie Cluzel : Je pense que c’est vraiment dans le changement de regard que doivent avoir tous les acteurs du tourisme sur ce que peut représenter le handicap. Il faut qu’on passe d’une vision de coût à une réflexion d’investissement et de transformation économique. L’embauche d’une personne handicapée est une valeur ajoutée, car au-delà d’un supplément d’âme, c’est une vraie performance sociale, qui entraîne une performance économique. C’est ce message qu’il faut faire passer. Il faut en parler dans les salons professionnels, aider avec des démarches clés en mains, des solutions. C’est ça notre enjeu aujourd’hui.


Faire bouger les lignes

Le 18 novembre prochain aura lieu la nouvelle édition de l’opération DuoDay, qui se tiendra pendant la Semaine Européenne de l’Emploi des Personnes Handicapées. Le principe ? Une entreprise, une collectivité ou une association accueille une personne en situation de handicap, en duo avec un professionnel volontaire. Un tremplin vers l’emploi pour certains, et l’occasion de changer de regard. Pour s’inscrire, c’est ici.

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2 commentaires
  1. Subarroque dit

    c’est également le principe des flâneuses de la start up toulousaine E-hé, lauréate du Sitem (salon international des musées)

  2. Thiévenaz Gérard dit

    A l’image de la démarche transversale menée en Savoie ( https://www.savoie.fr/web/sw_67115/demarche-et-guide-du-confort-d-usage ) qui par là même accompagne aussi x territoires touristiques (stations…) sur le Handi-tourisme et face aux enjeux en présence, quid d’un positionnement très ouvert de l’accessibilité (non centrée sur le seul handicap) : effets à mesurer ?
    Exemple avec les « Promenades confort », un réseau de balades adaptées à la très grande diversité des publics à besoins spécifiques : https://pro.savoie-mont-blanc.com/Autres-acteurs/Agence-Alpine-des-Territoires/Accompagnement-de-projets/Confort-d-usage/Promenades-confort/Promenade-Confort-infos-pratiques.
    Bien cordialement

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