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Environnement : quand l’aviation tente (maladroitement) de se défendre

Tous les ans, l’aviation civile émet près de 3% des émissions mondiales de CO2. Mais cela va changer promettent les professionnels du secteur. Qui demandent temps et dérogations.

Le Shift Project est une association française créée en 2010 qui se définit comme « un laboratoire d’idées qui s’est donné pour objectif l’atténuation du changement climatique et la réduction de la dépendance de l’économie aux énergies fossiles, particulièrement au pétrole ». Très régulièrement, elle rend des rapports sur différentes thématiques. En avril 2022, elle s’est intéressée aux transports – notamment l’avion – et au tourisme.

Un rapport qui, comme tous les précédents, garde toujours pour objectif de respecter les Accords de Paris. C’est-à-dire de baisser les émissions de gaz à effet de serre sur un rythme annuel de 5% par an.

« Pour sa mobilité de longue distance, un résident français parcourt en moyenne plus de 7 600 km cumulés par an, indique le rapport. Les vacances, les loisirs, les visites à des proches ou le travail justifient ses voyages. La France métropolitaine est la destination de 86% des voyages. Côté modes de transport, la voiture, le train et l’avion assurent l’essentiel des déplacements ».

Le constat de l’étude est implacable : « Nous proposons de limiter progressivement la mobilité long-courrier en avion, tout en développant des modalités de voyage alternatives. Ces mesures sont très efficaces en termes de décarbonation et de résilience face à la contraction de l’approvisionnement en énergies liquides. Nous proposons de développer de nouvelles offres de voyage intercontinentaux qui passent (le plus possible) par le train, des offres de séjours attractifs sur plusieurs mois (qui permettent de voyager moins souvent mais en restant plus longtemps sur place), ou encore des offres touristiques en Europe qui soient attractives pour les populations concernées par les vols intercontinentaux, et qui passent par le train. La limitation progressive des vols intercontinentaux tiendra compte des enjeux spécifiques aux départements et régions d’Outre-mer. »

Pourquoi la France et pas les autres ?

Forcément, ces conclusions ont entrainé une réaction des professionnels de l’aérien, qui, par la voix de la Fédération Nationale de l’Aviation et de ses Métiers et de l’Union des aéroports français (UAF), ont donné leur vision des choses.

Après avoir regretté de « n’avoir pas été consulté lors de la réalisation de l’étude du Shift Project alors que plus de quarante personnalités ont été sollicitées », ils avancent un argument qu’on entend très régulièrement désormais : « Une politique environnementale de réduction des émissions de CO2 ne saurait s’envisager uniquement d’un point de vue national. […] La réduction contrainte de l’activité de transport aérien en France, telle que préconisée par cette étude, non seulement n’induira qu’une réduction très faible des émissions du transport aérien mais conduira à une distorsion de concurrence qui détournera le trafic vers des acteurs moins vertueux et donc, in fine, un effet contraire à celui recherché. »

Un raisonnement qui peut s’entendre mais qui sert plutôt l’immobilisme. Attendre que les voisins fassent pour faire, c’est bien souvent s’assurer que rien ne bouge. Fabrice Bonnifet, le président du collège des Directeurs Développement Durable et RSE indiquait d’ailleurs, il y a peu, dans nos colonnes : « Si cela ne concerne pas que la France, mais tous les pays du monde, en réalité, seuls 10% des pays les plus riches émettent plus de 50% des émissions. Cela nous concerne surtout nous, les pays dits « développés ». C’est donc à nous de reconfigurer nos modes de vies et nos modèles économiques. »

La croissance encore et toujours ?

Autre reproche que portent la Fnam et l’UAF à l’égard du rapport. Le fait que, selon eux, celui-ci ignore sciemment que « les propositions technologiques (hydrogénéification de l’aérien, biocarburants pour remplacer le jet A, efficacité énergétique des flottes d’avion, électrification des voitures) » au nom « d’une augmentation supposée des risques de ne plus pouvoir voyager dans les décennies à venir » « prive la France de retombées économiques positives potentielles importantes. »

Toujours selon la Fnam cela « réduit les opportunités pour la filière d’excellence technologique française d’apporter des innovations majeures à la problématique de la décarbonation du secteur permettant à cette filière de rester leader mondial. » Ou encore cela « ignore le fait que le rythme du progrès technologique n’est pas linéaire et peut s’accélérer sous la pression du besoin. »

Pourtant dans son rapport, le Shift Project est très clair sur ses quatre piliers de base. L’un d’eux indique « qu’il faut faire des propositions pragmatiques, opérables dès à présent, de façon à ouvrir un chemin de décarbonation réaliste et cohérent dès aujourd’hui. »

Un autre pilier explique qu’il ne faut pas « reposer sur le pari de la croissance économique (ce qui semble particulièrement adapté à la période), ni sur des évolutions technologiques supposées advenir mais encore non éprouvées. » Ainsi donc la croissance économique, qui a très souvent de bouclier, ne peut plus servir d’argument pour contourner les règles sur la décarbonation. Tout comme le fait que des innovations technologiques devraient arriver. Rappelons qu’Eurocontrol a prévu en avril 2022 que que le nombre de vols augmentera de 44 % d’ici 2050, ce qui le portera à 16 millions par an, contre 11 millions en 2019…

Faut-il privilégier l’aérien ?

Enfin la Fnam estime qu’elle devrait avoir des dérogations par rapport à d’autres secteurs. La Fédération ainsi que l’UAF demandent non seulement plus de temps pour répondre aux attentes des Accords de Paris, mais aussi d’y répondre un peu moins que les autres : « Compte tenu des complexités techniques et des investissements nécessaires à la mise au point d’un avion plus sobre énergétiquement ou de nouvelles énergies décarbonées, il apparait comme naturel de différencier, y compris dans le temps, les objectifs de décarbonation entre secteurs. L’efficacité commande de s’attaquer aux secteurs où la décarbonation est la moins coûteuse, ce qui conduit par ailleurs mécaniquement à laisser augmenter la part relative des secteurs où c’est plus difficile, comme l’aviation. »

Rappelons tout de même que le GIEC, dans son dernier rapport (très bien résumé ici) a indiqué qu’ il faut « réussir à inverser la courbe des émissions de gaz à effet de serre d’ici 2025 si l’humanité veut espérer garder une planète ‘vivable' ».

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