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#FBT22 – Fabrice Bonnifet (Bouygues) : « Il va falloir faire le deuil d’un certain mode de vie »

« Le développement durable on y vient par opportunité et on y reste par conviction » explique Fabrice Bonnifet. C’est donc avec passion que le directeur développement durable du groupe Bouygues nous alerte sur l’urgence à agir.

Le Future of Business Travel du 21 avril à Paris, a été l’occasion de rencontrer Fabrice Bonnifet, le directeur développement durable, qualité et sécurité du groupe Bouygues et président du collège des Directeurs Développement Durable et RSE. Durant cet événement organisé par Eventiz Media Group avec le soutien d’American Express GBT, HCorpo, TripActions, le dirigeant n’a pas mâché ses mots. Un discours rafraîchissant.

Quand il s’agit de RSE, le discours des entreprises est de dire la main sur le cœur  : « Ca y est, nous avons compris. » Vous y croyez ?

Il est vrai que depuis quelques mois, quelques années même, le discours est en train de changer. De là à dire qu’on en fait assez par rapport à ce que préconisent les scientifiques, clairement non. Mais nous sommes passés, concernant l’environnement, de rien à anecdotique, à la plus importante des choses secondaires, à un sujet qui est désormais mis à l’ordre du jour des comité de direction générale. Le niveau de maturité a donc notablement évolué.

Mais par rapport au temps qu’il nous reste, par rapport aux enjeux, il est clair que les entreprises n’en font pas assez. De même que les Etats, de même que les individus. Il faut en avoir conscience. Dans le dernier rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) qui est sorti il y a quelques jours, il est expliqué qu’il reste 400 gigatonnes de CO2 à émettre pour l’ensemble de l’humanité jusqu’à 2100. Actuellement on est à 59 gigatonnes par an. Cela veut dire que dans moins de 7 ans on aura mangé le budget prévu pour 2100.

Le problème alors, ce ne sera pas le réchauffement en soi, mais tous les problèmes associés au dérèglement (les méga feux, les sécheresses, les gels tardifs etc.)  Et si on veut éviter tout cela, pour nous mais surtout nos enfants, il faut que l’on réduise nos émissions de 6% par an, pendant 70 ans. Pour donner une idée, 6%, c’est la baisse que l’on a eue en 2020, quand tout s’est arrêté à cause du Covid. 

Si cela ne concerne pas que la France, mais tous les pays du monde, en réalité, seuls 10% des pays les plus riches émettent plus de 50% des émissions. Cela nous concerne surtout nous, les pays dits « développés ». C’est donc à nous de reconfigurer nos modes de vies et nos modèles économiques.

Vous êtes désormais, en quelque sorte, le porte parole du Giec auprès de Bouygues ?

Je suis payé pour ça effectivement. Vous savez, il y a trois types de collaborateurs pour moi dans les entreprises aujourd’hui.

Dans la première catégorie, on trouve ceux qui n’ont pas encore compris le lien entre économie et énergie et entre énergie et CO2. Ceux qui n’ont pas compris cela sont justes incompétents. Qui veut garder un incompétent dans une boîte ? 

La deuxième catégorie est celle des gens qui savent très bien que tout cela est mal engagé mais qui continuent comme avant. C’est la fameuse citation d’Upton Sinclair qui dit : « C’est normal pour un cadre de ne pas comprendre quelque chose lorsque son salaire dépend du fait qu’il ne comprenne pas cette chose. » Ceux-là, ce sont les lâches. 

Puis vient la troisième catégorie. C’est le collaborateur de 58 ans, qui a des enfants déjà élevés, plus de prêt en cours et donc plus rien à perdre. Ceux qui appartiennent à cette catégorie se disent « J’ai fait 35 ans de travers, je vais essayer de faire les quelques années qui me restent dans le droit chemin ». Ils disent enfin la vérité.

Il n’y a même pas besoin d’exagérer, il suffit de lire le rapport, c’est presque pire qu’un film d’horreur. Et c’est la science qui le dit.

Le groupe Bouygues se serait-il doté d’un directeur du développement durable décroissant ?

Il faut rappeler que cela fait 40 ans que les scientifiques disent la même chose, mais tout le monde s’en fiche. Malheureusement, avant ça ne se voyait pas. Ce qui n’est plus le cas aujourd’hui, car on arrive à ces fameux seuils d’irréversibilité. Concernant la décroissance, je pense que dans cette histoire de transition, il y aura des gagnants et des perdants. Il faut revoir les indicateurs de performances. Est-ce que l’on va gagner autant d’argent dans un monde sobre en carbone ? Je ne pense pas.

Une fois que l’on a posé le constat, il faut savoir comment on agit. Et la bonne nouvelle, c’est que l’on a toutes les solutions. Si on n’y arrive pas, ce ne sera pas un problème d’absence de solutions, ce sera à cause d’une absence de décisions au niveau des politiques et des décideurs d’entreprises. 

Il va falloir le deuil de ce que l’on a connu, d’un certain mode de vie dont a tous profité. Nos enfants ne vont pas vivre comme nous, sur l’utilisation des transports notamment. Pour notre génération, ce sera plus dur car il y a aura un phénomène de renoncement. Mais nos petits enfants ne seront pas frustrés car ils n’auront pas connu autre chose. 

Pour que ce nouveau mode de vie soit attractif et non pas punitif, il faut inventer un nouveau modèle du vivre ensemble basé sur beaucoup plus de sobriété. Et faire rimer sobriété avec bien-être et santé. Sur un art de vivre qui sera basé sur travailler peut-être un peu moins, peut-être un peu mieux.

Par chance, chez Bouygues, sur beaucoup d’activités, nous avons de solutions. Nous avons, malheureusement, su faire des épaves thermiques. Nous saurons les isoler. Donc on ne va pas parler de décroissance mais d’ultra croissance pour des secteurs nécessaires. Par contre il y a d’autres activités, il va falloir réfléchir à faire autrement.  

Quelles solutions mettez-vous en place chez Bouygues ?

Au niveau du business d’affaires, chez Bouygues, nous allons beaucoup moins voyager. Nous nous sommes mis sur Teams, Zoom et tous ces outils que l’on ne connaissait pas il y a trois ans. Il manque encore des choses par rapport aux réunions en physique mais nous allons aller vers des outils de télé présence comme l’hologramme etc. Certes cela consomme, mais toujours moins que les déplacements.  

Nous commençons par exemple dès ce lundi des réunions dans le métavers. Elles nous permettent de retrouver les atouts du présentiel (un son spatialisé, le langage corporel etc). Cela va entraîner moins de fatigue et moins de temps perdu. Je pense que le déplacement physique existera toujours, mais beaucoup moins.  

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