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Emmanuel Foiry (Kuoni) : « Nous préfèrerions vivre avec notre chiffre d’affaires plutôt qu’avec les aides »

Crise, reprise, restructuration du siège et du réseau d’agences : dans une interview exclusive, le patron de Kuoni/Travel Lab nous a répondu sur tous ces sujets qui font l’actualité du voyagiste.

L’Echo touristique : La reprise, c’est pour maintenant ?

Emmanuel Foiry, président de Travel Lab : Je ne fais plus ce genre de prévisions. La crise que nous traversons depuis plus d’un an nous a prouvé à quel point la vérité d’aujourd’hui n’est pas celle de demain. Alors, comme tout le monde, on suit l’évolution de la situation sanitaire, en France et ailleurs, et on respecte les consignes. Evidemment, quand on pilote une entreprise, on se doit d’anticiper la sortie d’une telle crise. Mais nous sommes prêts, et nous n’aurons pas besoin de beaucoup de temps pour remettre la machine en route. Les premiers départs pourront intervenir quelques jours après que le gouvernement français aura ré-autorisé les voyages à l’étranger.

On peut raisonnablement penser que les voyages en Europe seront autorisés cet été.

Kuoni a élargi son portefeuille de destinations, notamment en Europe du Sud : Portugal, Espagne, Croatie. La reprise passera par l’Europe ?

Emmanuel Foiry : Lorsqu’on observe l’évolution de la situation sanitaire, et l’accélération des campagnes de vaccination, on peut raisonnablement penser que les voyages en Europe seront autorisés cet été. Ça paraît logique, pour plusieurs raisons. Des raisons administratives et de formalités, d’abord, et de proximité, ensuite. Pour l’industrie, c’est également plus simple de remettre sur le marché les produits en Europe. Pour nous, vendre l’Europe, c’est avant tout technologique : pour un week-end en Italie avec Donatello, ou un séjour avec location de voiture en Espagne, il faut surtout disposer d’un bon assemblage technologique. A l’heure actuelle, les réservations sont très peu nombreuses, mais dès que les Français auront plus de visibilité, je suis persuadé que les courts-séjours et autres autotours en Europe auront beaucoup de succès. Ce sont des produits qui peuvent se vendre très vite, presque à la dernière minute, ce qui correspond bien aux comportements actuels des clients.

De nombreux voyagistes se sont d’ailleurs ouverts à l’Europe. La concurrence ne risque-t-elle pas de devenir trop forte ?

Emmanuel Foiry : C’est normal, chacun essaie de se rabattre sur les seules destinations qui sont opérables, même quand elles paraissent loin de ce qu’on a l’habitude de vendre. Ça n’est pas facile de changer son ADN. Certains y arriveront mieux que d’autres. Chez Travel Lab, l’Europe, on connaît déjà, via nos différentes marques (Donatello, Celtictours, Scanditours, …). Depuis trois ans, nous avons aussi un catalogue spécial sur la Grèce, qui sera sans doute l’une des destinations à succès de l’été 2021. Cela nous donne peut-être un avantage sur le marché. Même si nous dépendrons avant tout des compagnies aériennes. L’Europe accueille de nombreuses compagnies low cost, et ce sont sûrement celles qui redémarreront en premier, mais elles décideront, via leur plan de vol, de la façon dont va se comporter le marché. Si le marché rebondit très fort, ce que j’ai tendance à croire de plus en plus, nous devrons peut-être faire face à des problèmes de capacités, qui pourraient avoir une incidence sur les prix.

La tension sera aussi forte lorsque le long-courrier reprendra ?

Emmanuel Foiry : Pour le long-courrier, il va falloir encore patienter. En étant raisonnable, je pense qu’on ne peut pas envisager avoir une activité notable avant, au mieux, le dernier trimestre de l’année 2021. Là encore, nous serons dépendants des prestataires. Des compagnies aériennes, avant tout, mais aussi des hôteliers, des réceptifs, des transporteurs… Tout le monde ne va pas reprendre en même temps, et dans les mêmes conditions. Nous nous attendons à vendre plus facilement des produits balnéaires dans un premier temps. A la fin du deuxième confinement, en décembre, nous avons vu les ventes exploser vers la République Dominicaine ou les Maldives, deux destinations qui étaient ouvertes et qui ne nécessitent pas un assemblage trop technique et fastidieux. Ce genre de long-courrier sera plus facile à vendre que des dossiers sur-mesure en Asie ou ailleurs, ou même des croisières pointues, qui se réservent parfois deux ans à l’avance.

La crise impacte largement le moral de nos équipes, et l’image de nos métiers, qui était déjà vieillissante avant le début de la crise.

La destination France a aussi été investie par plusieurs tour-opérateurs, habituellement spécialistes des destinations lointaines. Qu’en est-il de Kuoni ?

Emmanuel Foiry : La France nous a permis de réaliser quelques gros dossiers, avec des clients et des partenaires très fidèles. C’est le cas, par exemple, de la chaîne hôtelière Cheval Blanc, avec laquelle nous travaillons habituellement sur les Maldives. Ils possèdent également deux beaux hôtels à Saint-Tropez et à Courchevel, et quelques-uns de nos clients les plus importants nous ont suivis. Mais nous n’avons pas vocation à nous lancer de façon industrielle sur la destination France. Je ne suis pas sûr qu’il y ait une place pour des tour-opérateurs comme le nôtre sur ce marché. Quelle est notre valeur ajoutée sur des produits traditionnels ? Je me pose la question. Les voyagistes spécialisés, par exemple liés à des pratiques comme l’équitation ou au kite-surf, ont un créneau à prendre. Mais pas nous.

Nous avions 13 agences, nous n’en conservons désormais que 5. Mais nous aurons toujours des agences physiques.

Démarrer, fermer, redémarrer, refermer… La lassitude ne s’installe pas ?

Emmanuel Foiry : Maintenir l’attractivité de notre secteur est l’un des défis que nous devrons relever au moment de la reprise. La crise impacte largement le moral de nos équipes, et l’image de nos métiers, qui était déjà vieillissante avant le début de la crise. C’est bien connu, le tourisme n’est pas un secteur qui paye bien. C’est une industrie de passionnés, qui est désormais à l’arrêt depuis plus d’un an, et qui est l’une des plus touchées par la crise. Au bout d’un an de chômage partiel et de télétravail, il faut réussir à maintenir le lien entre nos collaborateurs, notamment pour ne pas les voir partir vers d’autres secteurs. C’est une problématique qui concerne particulièrement les fonctions supports : informatique, administratif, comptabilité. Des métiers qui sont transposables à d’autres industries.

A ce propos, les équipes de Travel Lab sont toujours en activité partielle ?

Emmanuel Foiry : Nous aimerions que cela ne soit pas le cas. Cela voudrait dire que nous avons repris le travail normalement. Et nous préfèrerions vivre avec notre chiffre d’affaires plutôt qu’avec les aides de l’Etat, qui auront été très précieuses pendant cette crise. Actuellement, si nous devions faire une moyenne, nous serions entre 60 et 70% de temps d’inactivité. Certains services, notamment administratifs, sont mobilisés à 100%, pendant que d’autres sont à 100% au chômage partiel. C’est le cas de nos commerciaux B2B, par exemple, étant donné que la très large majorité des agences de voyages demeurent fermées. Nos agences, elles, sont fermées à 90%. Nous avons vraiment hâte que tout le monde reprenne le travail. D’autant plus que l’envie de consommer et de voyager est très forte, toutes les enquêtes d’opinion le prouvent. Les Français ont épargné, et ils voyageront dès que le gouvernement saura leur inspirer la confiance nécessaire. J’en suis de plus en plus convaincu.

Un mot, pour finir, sur le plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) qui a touché Travel Lab…

Emmanuel Foiry : Malheureusement, c’était indispensable pour notre entreprise. Je ne sais pas si on peut dire qu’il y a de bons ou de mauvais PSE. Mais nous avons fais en sorte que tout se passe de la façon la plus humaine possible. Nous avons puisé dans nos ressources pour permettre un accompagnement à la hauteur, ce qui nous a permis d’avoir 40 départs volontaires, sur les 60 que comprenait le PSE. Malheureusement, nous devions dimensionner l’effectif au chiffre d’affaires que nous allons peut-être réaliser cette année, c’est-à-dire moins de 30 millions d’euros, contre 160 millions en 2019… Ce sont des mathématiques toutes simples, et nous n’avions pas d’autres choix. Par ailleurs, la pandémie a également accéléré notre réorganisation sur le volet « distribution », déjà entamée auparavant. L’agence demeure un point d’attraction essentiel, mais le développement du commerce en ligne réduit nos besoins physiques. Actuellement, 50% du chiffre d’affaires de l’une de nos agences provient du web, d’un client qui ne mettra jamais les pieds dans le point de vente. Nous avions 13 agences, et cela nous a longtemps réussi, mais nous n’en conservons désormais que 5 : trois à Paris, une à Boulogne-Billancourt, et une à Vincennes. Mais nous aurons toujours des agences physiques.

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