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« Une entreprise peut mourir, pas une idée »

Contraint d’annuler cet hiver la quasi-totalité des vols du Point-Afrique vers la région sahélo-saharienne, Maurice Freund, son président-fondateur, fait le point sur la situation économique de la coopérative. Tout en martelant que seule compte la survie des populations locales.

L’Écho touristique : Que vous arrêtiez le Niger ou le nord Mali n’a étonné personne. Mais pourquoi se retirer aussi de l’Algérie ?

Maurice Freund : Le Quai d’Orsay indique que la Mauritanie est le pays le plus ciblé par Aqmi (Al Qaïda au Maghreb islamique, ndlr) après l’Algérie, donc il reconnaît lui-même que le pays le plus dangereux de la zone est bien l’Algérie. Alors pourquoi est-elle en orange et pas en rouge sur la carte ? Le choix n’est pas de savoir s’il reste un marché ou non. Le vol Lyon-Tamanrasset-Djanet du 24 octobre était archiplein, mais les conditions de sécurité ne sont plus au rendez-vous.

Concernant la Mauritanie, en revanche, vous hésitez encore…

Pour l’instant, les vols sont suspendus jusqu’au 20 décembre. Le Quai d’Orsay a peut-être raison à propos de la région de l’Adrar, mais je ne respecterai pas ses consignes sans les avoir vérifiées moi-même. Je pars donc en Mauritanie samedi (2 octobre, ndlr). Je vais rencontrer le chef de l’État, l’état-major, le gouverneur, les guides et je vais monter dans le nord voir comment se comportent les populations. Si je ne le sens pas, je reculerai. Dans le cas contraire, je maintiendrai les vols vers Atar, que ce soit en vert, en rouge ou en bleu. Après, évidemment, si je me retrouve le 19 décembre avec cinq passagers, je n’irai pas. Je ne vais pas perdre 80 000 euros supplémentaires par semaine pour rien.

Où en est le Point-Afrique, financièrement ?

Sur la saison 2009-2010, dont l’exercice s’est clos au 30 septembre, on a perdu 1,6 million d’euros. L’année précédente, on était à l’équilibre, mais en 2007-2008, on avait déjà perdu 1,2 million. Il nous reste donc aujourd’hui 4,4 millions de fonds propres. On est prêt à perdre encore de l’argent pendant un certain temps, à condition que la situation se stabilise à un moment ou à un autre. Avec les mesures prises, c’est-à-dire la réduction de 80 % de nos liaisons, on peut encore tenir deux ou trois ans.

D’où viennent vos réserves d’argent ?

Entre 2001 et 2006, on a gagné près de deux millions d’euros par an grâce aux vols ethniques. Les gouvernements malien et burkinabé avaient fait appel à nous pour lancer des liaisons charter à 2 500 francs le billet, contre 11 000 francs chez Air France, qui s’était retrouvée seule à opérer vers ces pays après l’arrêt de Swiss et de Sabena.

On vous soupçonne régulièrement de bénéficier aussi de subventions des gouvernements locaux. Est-ce vrai ?

Non, évidemment pas. En 2008, après l’assassinat de quatre Français en Mauritanie, le gouvernement mauritanien a réduit sa taxe de 35 à 30 euros. Vous appelez ça une subvention ? J’ai aussi négocié avec lui des visas à 10 euros, contre 40 normalement. Mais ces 30 euros de réduction sont intégralement répercutés sur le prix du billet.

Pourquoi ne pas vous rabattre sur d’autres destinations ?

On y a pensé. Mais lesquelles ? La Lybie ? Kadhafi peut changer d’avis en 24 heures. Nos avions ont déjà été obligés de faire demi-tour il y a deux ans. Le nord du Tchad ? Ça pourrait m’intéresser, car la configuration est identique à celle que je connais au Sahel. Mais la Jordanie ou l’Égypte, non. C’est une question de moralité : comment pourrais-je garder les deux ou trois millions que j’ai gagnés dans les pays sahéliens pour aller poursuivre la vie de l’entreprise ailleurs ? Je préfère conserver les quelques moyens financiers que nous avons et notre énergie pour être présents auprès des populations auxquelles on a donné l’espoir. Considérer que s’il n’y a plus de marché, plus de trafic, plus de touristes, on n’y va plus, ça m’est insupportable.

C’est ce qui fait de vous un tour-opérateur parfois difficile à comprendre.

Le Point-Afrique n’a pas été créé pour être un tour-opérateur, mais pour désenclaver des régions en grande difficulté économique en s’appuyant sur l’activité touristique. L’entreprise n’est qu’un outil, pas une fin en soi.

Vos confrères vous perçoivent pourtant comme un concurrent…

Ils me reprochent de faire des prix très bas et de leur piquer du marché. Mais je n’ai pas le sentiment de vivre dans une logique concurrentielle : je suis là pour créer davantage de marché et permettre que davantage de familles puissent en vivre. J’ai lancé Point-Afrique sur le marché du voyage d’aventure car 90 % des revenus que génère ce type de tourisme reste aux populations locales. Ce marché existait avant le Point-Afrique, j’en ai copié les méthodes et les produits. Mais je ne me sens pas appartenir au monde du tourisme. Le tourisme, c’est un métier de marchands.

Vous n’aimez pas cette profession ?

Non, je n’ai absolument rien contre elle, mais elle fait du business là où je fais du développement en utilisant le business. C’est bien quand les TO financent des écoles et emmènent leurs touristes sur place pour qu’ils donnent un peu d’argent, mais c’est du saupoudrage. Aujourd’hui, les TO sont de plus en plus pilotés par des groupes financiers. Même sur le marché de la randonnée et de l’aventure, ils se rachètent les uns les autres. Il y a trois ans, lorsque La Balaguère a eu des difficultés, nous avons dû acquérir une partie des capitaux pour éviter que le TO ne tombe dans l’escarcelle du groupe Voyageurs du Monde.

Le Point, au contraire, est une entreprise coopérative. Si profit il y a, ils ne peuvent être réinvestis que dans les pays dans lesquels on va, il n’y a pas d’actionnaires qui nous réclament des dividendes. Moi-même, je n’ai qu’une part dans l’entreprise sur 150. Vous savez, à 67 ans, je ne suis propriétaire ni d’une maison, ni d’une voiture, ni d’un mètre carré de terre. Je ne possède rien et ça ne m’intéresse pas.

Si le tourisme ne marche plus, pourquoi ne pas faire autre chose ?

On peut en effet essayer d’être présent dans ces pays sous d’autres formes. On peut utiliser les structures existantes pour développer d’autres activités, comme la valorisation du commerce équitable (qui représente aujourd’hui 3-4 % de notre activité), pour permettre à ces populations de continuer d’avoir une recette. On va voir.

Votre activité a-t-elle vraiment porté ses fruits pour les populations locales ?

On a permis à des centaines de familles, dans ces zones complètement fragilisées, de pouvoir vivre. Un trekkeur fait vivre pratiquement une famille pendant un an. Le transfert se fait essentiellement par la création de micro-entreprises par les locaux. On leur finance l’achat de véhicules, de pinasses, de chameaux, pour qu’ils soient propriétaires de leur outil.

Vous avez milité aussi pour la constitution d’un fonds de garantie pour maintenir les revenus de ces populations en cas de coup dur. Où en est-on ?

L’idée est partie de Mauritanie. En 2007, on amenait 660 personnes par semaine à Atar. 1 200 à 1 500 familles vivaient de près ou de loin grâce à cela. Du jour au lendemain, après les assassinats de fin 2007, on est passé à 70 personnes par semaine. On a maintenu le vol, le Point a perdu 380 000 euros. Mais on part du principe que les millions qu’on a gagnés dans le passé doivent servir pour les périodes difficiles. L’idée a donc été, ensuite, d’associer les TO à ce fonds en prélevant 40 ou 50 euros par voyageur. Mais personne n’a suivi…

Quelles sont selon vous les perspectives pour le Sahel ?

Même si le problème des sept otages actuels se résout, la région ne sera pas sécurisée pour autant. Il faut que les pays du Sahel et du Sahara arrivent à se mettre d’accord pour rétablir la sécurité, ce qui n’est pas le cas pour l’instant. Il faut être réaliste : le tourisme n’est plus aujourd’hui une arme pour la paix et le développement. Aqmi a gagné une bataille et je ne peux pas être celui qui met les avions, fait la promotion de ces régions et fournit les otages.

Le Point-Afrique peut-il mourir ?

Une entreprise peut mourir, pas une idée. Je reste attaché à ces gens que je fréquente depuis une quarantaine d’années, j’y ai des amis. Je ne les laisserai pas tomber, je ne peux pas.

« Je ne me sens pas appartenir au monde du tourisme. Le tourisme, c’est un métier de marchands »

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