[TRIBUNE] L’IA, nouveau levier de valorisation stratégique pour les entreprises, selon Me Tarragano
Le déploiement de l’IA n’est plus un luxe, mais un levier de création de valeur. L’entreprise de demain sera IA ou ne sera plus, selon Marie-Laure Tarragano. Dans cette tribune de l’avocate, L’Écho touristique poursuit sa série d’articles autour de l’IA, en partenariat avec DTMV Avocats.
L’IA représente en effet un tournant économique, technologique, organisationnel et juridique sans précédent. Elle modifie les rapports de force, les chaînes de valeur, les attentes des clients et des investisseurs. L’entreprise de demain sera pensée avec l’IA – ou disparaîtra progressivement des radars économiques.
Dans un contexte économique où la compétitivité se joue à la vitesse de traitement de l’information, à la capacité d’adaptation et à l’optimisation des coûts, l’intégration de l’IA dans le fonctionnement d’une entreprise n’est en effet plus un luxe, mais un levier de création de valeur et je m’en explique dans cette tribune ; c’est désormais très concret : dans les data rooms de cession, on trouve désormais des annexes sur l’IA.
Très clairement, au-delà de l’opérationnel, l’IA influe directement sur la valorisation de l’entreprise lors d’une levée de fonds, d’une cession, ou d’une évaluation financière.
La présence ou l’absence d’une stratégie IA impactera directement la valorisation de l’entreprise, sa capacité à recruter, à se financer, à se vendre, et à se maintenir sur un marché devenu ultra-concurrentiel. L’IA est aujourd’hui un actif de valorisation si elle est déployée tout en étant sécurisée juridiquement, et il ne faut pas rater le train de l’IA, sous peine d’un déclin accéléré… et inévitable !
Un risque de décote massive
L’intégration de l’IA est désormais clairement un levier de valorisation stratégique avec :
- Une optimisation opérationnelle : réduction des coûts grâce à l’automatisation des tâches répétitives, à la maintenance prédictive, et à la rationalisation des flux logistiques et financiers.
- Un accroissement de la productivité : l’IA générative est un outil d’aide à la décision qui permet de produire plus vite et mieux, avec les mêmes ressources.
- Une personnalisation de l’offre permettant une différenciation : grâce à l’analyse prédictive des données clients, à la recommandation automatique et à la segmentation intelligente.
- Une innovation continue : capacité à générer des services, produits ou expériences nouveaux, adaptés en temps réel au marché.
Nous sommes face à une mutation globale : l’IA transforme non seulement les outils technologiques mais aussi les métiers, les stratégies et les modèles économiques.
Les entreprises qui ne déploieront pas l’IA seront progressivement exclues du système économique : pertes de parts de marché, absence d’alignement technologique, désintérêt des talents et des investisseurs.
Et d’ailleurs désormais, en cas de cession/achat, l’audit IA est incontournable : tout audit sérieux inclut un diagnostic du niveau de digitalisation et de l’automatisation, le poids de la masse salariale « manuelle » et le potentiel d’efficience IA.
Par voie de conséquence, il y a un risque de décote massive : une entreprise non préparée à l’IA se voit attribuer une valeur inférieure sur les marchés en raison de sa rigidité opérationnelle et de son modèle difficilement stable.
Aujourd’hui, les entreprises déployant l’IA sont valorisées jusqu’à 20% et parfois à 50% fois plus que les entreprises analogues à taille et revenus équivalents. (Obsolescence accélérée : absence d’IA = perte d’agilité, inefficience interne, surcoût RH, incapacité à personnaliser ou innover).
L’intégration de l’IA dans le fonctionnement de l’entreprise augmente significativement la valeur de votre entreprise. Ce n’est pas un sujet technologique, c’est un sujet économique, de rentabilité, de valorisation et de compétitivité.
Valorisation d’une entreprise
Je rappelle que la valorisation, c’est la valeur de votre entreprise aux yeux d’un acheteur, d’un investisseur ou d’un repreneur.
Elle dépend des flux de trésorerie futurs attendus (DCF), des comparables sectoriels (multiples d’EBITDA, chiffre d’affaires), des risques liés à votre activité, et de vos actifs immatériels, (marque, R&D, base client, tech…). Et sur tous ces leviers, l’IA peut jouer un rôle positif décisif.
En effet, l’IA augmente la valorisation. Premièrement, elle améliore vos marges opérationnelles :
- L’IA permet d’automatiser des tâches répétitives : service client, comptabilité, reporting, analyse de données.
- Entraîne une diminution des charges fixes (salaires, erreurs humaines, pertes de temps).
- Votre EBITDA augmente → ce qui multiplie mécaniquement la valorisation (ex : 10% d’EBITDA en plus x multiple sectoriel = +20 à 30% de valeur possible).
Deuxièmement, elle accélère votre croissance qui est plus rapide et scalable :
- L’IA facilite la personnalisation de l’offre, le ciblage marketing, le développement de nouveaux produits.
- Une entreprise dotée d’IA est perçue comme plus scalable, donc plus attractive pour des investisseurs.
Troisièmement, elle réduit le risque :
- L’automatisation réduit le risque d’erreurs, de non-conformité réglementaire (si l’IA est bien implémentée).
- Meilleure résilience opérationnelle : l’entreprise est moins dépendante des ressources humaines critiques.
- Risque opérationnel et RH plus faible : taux d’actualisation plus faible dans les modèles de valorisation → hausse de la valeur actualisée nette (VAN).
Quatrièmement, elle crée des actifs immatériels valorisables. Vos bases de données structurées, vos modèles de recommandation, vos outils internes : tout cela devient un patrimoine technologique. Un acquéreur paiera toujours plus cher pour une entreprise avec un avantage technologique.
Cinquièmement, elle permet un alignement des attentes des investisseurs et acheteurs. Les investisseurs et acquéreurs, qu’ils soient institutionnels, industriels ou privés, recherchent désormais des entreprises qui sont digitalement matures et technologiquement agiles.
Votre entreprise est-elle « IA-Ready » ?
Et c’est pour cela que le profil idéal pour les investisseurs est l’entreprise “IA-Ready”. L’entreprise dite « IA-Ready » est une structure qui :
- A intégré l’IA dans ses processus clés (vente, relation client, analyse, back-office),
- Structuré et exploité ses données pour en tirer de la valeur prédictive ou stratégique,
- Formé ses équipes à l’utilisation ou à la supervision de ces outils,
- Dispose d’une architecture technique évolutive (API, CRM connecté, ERP compatible IA),
- A adopté une culture managériale ouverte à l’expérimentation technologique.
Très clairement, ces entreprises inspirent confiance aux investisseurs, car elles :
- Montrent qu’elles savent se transformer,
- Ont des coûts maîtrisés et un potentiel de croissance scalable,
- Sont plus faciles à intégrer ou revendre dans un groupe d’entreprises plus large.
En pratique, les entreprises IA-Ready obtiennent des valorisations supérieures de 20 à 50%, car elles cochent davantage de critères d’investissement : rentabilité, croissance, prévisibilité, automatisation, et différenciation.
A chiffre égal, résultat inégal
Prenons ainsi pour exemples, deux entreprises /agences à chiffre d’affaires égal :
- L’une classique, avec des processus manuels,
- L’autre qui a intégré l’IA pour automatiser, personnaliser, analyser.
Une agence de voyage sans IA :
- 8 salariés,
- Gestion manuelle des devis,
- Aucun ciblage, pas de moteur de recommandation.
Résultat : lenteur, faible fidélisation, marges fragiles.
Valorisation estimée : environ 800 000 €.
Une agence avec IA (en 5 étapes simples) :
- Mise en place d’un chatbot ouvert 7 jours sur 7, 24 heures sur 24.
- Recommandation automatique des voyages selon les préférences.
- Marketing automatisé intelligent.
- Pricing dynamique basé sur la concurrence.
- Automatisation du back-office.
Résultat : plus de productivité, plus de ventes, plus de fidélisation.
Valorisation estimée : 1,2 à 1,5 million d’euros.
Les risques d’une entreprise sans IA à moyen terme sont de manière inéluctable les suivants :
- Une obsolescence opérationnelle,
- Une perte d’attractivité pour les talents et les investisseurs,
- De très importantes difficultés à maintenir ses marges dans un environnement automatisé, et
- Un déclassement concurrentiel rapide.
Mais attention, j’attire vraiment l’attention des dirigeants et des sociétés sur le fait qu’il ne suffit pas de déployer l’IA : il faut impérativement encadrer juridiquement son déploiement, car en cas de cession ou l’acquisition, il y a désormais un audit IA portant non seulement sur son usage mais également sur sa sécurisation juridique.
Il est donc crucial d’anticiper les questions d’audit, de documenter l’usage réel de l’IA, et de sécuriser juridiquement ses implications, pour ne pas altérer la valorisation ou freiner le processus de vente et pour les dirigeants vendeurs voici les principaux points qui seront classiquement analysés dans l’audit IA avant la cession/l’achat d’une société.
Quel est le niveau réel d’intégration de l’IA au sein d’une entreprise ?
- L’acheteur veut savoir si l’IA est réellement utilisée, ou si elle est seulement déclarée pour valoriser la société.
- Il vérifie où l’IA est implantée : marketing, service client, logistique, back-office…
- Il demande les cas d’usage concret de l’IA reportés sur des rapports ou tableaux de bord relatifs à l’IA.
Examen : démonstration fonctionnelle, documentation des flux, mesure de ROI.
- Des indicateurs ou KPI mesurent l’impact réel de l’IA (gain de temps, coût, performance).
En cas de cession d’une société, le vendeur doit exposer l’origine de la solution IA :
- Est-ce une IA développée en interne ? Si oui, existe-t-il une documentation technique et une propriété intellectuelle claire ?
- Ou bien s’agit-il d’une IA achetée/licenciée (type API, SaaS) ? Dans ce cas, quelles sont les conditions contractuelles (durée, dépendance, sécurité juridique) ?
Examen : contrats de licence, clauses de dépendance fournisseur, code source si développé.
- Est-ce que les codes sources sont disponibles et documentés ?
- Est-ce que Les droits de propriété intellectuelle sont détenus par la société ?
- Existe-t-il une dépendance critique à un tiers non remplaçable n’est identifiée ?
Il sera ensuite vérifié la continuité et le transfert des outils IA post-cession :
- Les systèmes IA sont totalement opérationnels et exploités par des membres de l’équipe en interne.
- La documentation technique est à jour et transmise dans la data room.
- Les éventuels contrats SaaS sont cessibles ou portables (voir conditions contractuelles en annexe).
- L’équipe technique est prête à assurer la transition et le support post-cession pendant une période définie.
L’intégration de l’IA, un « levier stratégique de valorisation »
Je précise que toutes ces informations devront être transmises dans la data room relative à la cession/fusion de la société.
La conformité au RGPD de l’exploitation des données par l’IA sera examinée :
- Les systèmes IA exploitent uniquement des données clients internes / enrichies.
- Les traitements ont été analysés sous l’angle du RGPD.
- Les bases de données utilisées par l’IA sont sécurisées.
- Aucun traitement à risque élevé (biométrie, décision entièrement automatisée) n’a été identifié à ce jour.
Il est incontournable d’aborder l’impact de l’IA sur le droit du travail.
L’information des salariés sur l’IA a-t-elle été effectuée ? Le CSE a-t-il été consulté ?
- Existe-il des recours contentieux concernant le recours à l’IA ?
- Une vigilance particulière a-t-elle été portée à la proportionnalité des dispositifs utilisés ?
Pour conclure, il faut – selon moi – retenir que l’intégration de l’IA n’est pas seulement un choix technologique : c’est un levier stratégique de valorisation.
À coût d’entrée parfois modeste, l’IA permet :
- Une meilleure rentabilité,
- Meilleure projection de croissance,
- Meilleure perception par les investisseurs,
- Et une résilience accrue.
C’est cette combinaison — performance, potentiel, modernité et agilité — qui explique pourquoi une entreprise IA est mieux valorisée sur le marché. Si l’IA est bien intégrée, documentée, et génératrice de valeur, elle justifie une meilleure valorisation.
Dans le cas contraire (boîte noire, floue ou risquée), elle peut entraîner une décote ou un refus d’achat. Alors la question n’est plus « faut-il intégrer l’IA ? » mais la suivante : « jusqu’à quand pouvez-vous vous permettre de ne pas le faire ? ».