Retrouvez l'actualité du Tourisme pour les professionnels du secteur tourisme avec l'Echo Touristique : agences de voyages, GDS, prestataires spécialisés, voyagistes

[TRIBUNE] Droit d’auteur et IA générative : pourquoi cela concerne aussi les acteurs du tourisme ?

L’Echo touristique poursuit sa série d’articles autour de l’intelligence artificielle, en partenariat avec l’avocate Marie-Laure Tarragano et DTMV Avocats. Eléonore Gaspar, avocat associé du cabinet DTMV Avocats, spécialiste en droit de la propriété intellectuelle, signe ce deuxième article.

L’intelligence artificielle générative (IAG) a révolutionné la création de contenus, quels que soient les types de contenus (textes, dessins, photographies, vidéos), dans tous les secteurs d’activité.

 Déshumanisation du processus créatif pour certains, révolution ouvrant des opportunités créatives immenses pour d’autres, il n’en demeure pas moins que l’IA générative est devenue incontournable et qu’elle offre des opportunités d’accélération de la création. Il est primordial de maitriser son environnement juridique si l’on veut pouvoir intégrer cet outil en en mesurant les implications.

Cela touche également le secteur du tourisme qui produit et utilise de nombreux contenus susceptibles d’être protégés par le droit d’auteur.

En effet, est protégeable par le droit d’auteur toute œuvre de l’esprit, quels qu’en soient le genre, la forme, le mérite ou la destination, dès lors qu’elle reflète la personnalité de son auteur. Une idée n’est certes pas protégeable par le droit d’auteur. Mais sont protégeables par exemple des articles, des textes, des logos, des photographies, des slogans, des photographies, un guide touristique ou l’interface graphique d’un site internet si l’auteur a fait des choix libres et créatifs.

Ainsi, l’idée d’un itinéraire de randonnée sur des sentiers connus ne sera pas protégeable alors que le tracé particulier d’un itinéraire sur une carte pourrait l’être du fait des choix opérés dans sa mise en forme, dans la toponymie et dans les couleurs.

Ces différents éléments sont exploités dans le secteur du tourisme. Il est dès lors essentiel de ne pas négliger les droits d’auteur qui confèrent une protection forte, sachant que ces droits naissent par la création, même inachevée, sans qu’il soit nécessaire de procéder à un enregistrement. Une fois créée, une œuvre ne peut être reproduite ou communiquée au public qu’avec l’autorisation de son auteur ou du titulaire des droits.

Comment concilier respect des droits d’auteur et utilisation de l’IA générative ?

Cette question se pose tant au niveau des données utilisées pour entraîner les modèles d’IA ou des inputs que des contenus générés par l’Intelligence artificielle.

En effet, un modèle d’IA est d’abord entrainé sur des données d’entrainement, puis, à partir d’instructions génératives (ou prompts) qui lui sont données par l’utilisateur, il génère un contenu qu’on peut appeler output/données de sortie. Ce contenu peut être affiné et amélioré par une succession d’instructions.

Les règles de droit d’auteur ont vocation à s’appliquer à toutes ces étapes. 

1. Comment protéger ses contenus propres ?

Dans le cadre des données d’entraînement

L’une des questions qui agite le plus les titulaires de droits d’auteur actuellement est celle de l’utilisation d’œuvres protégées par des droits d’auteur dans les données d’entraînement des systèmes d’IA générative, sans l’autorisation expresse et préalable des auteurs, ce qui pourrait sembler, de prime abord, contraire aux principes de base gouvernant les droits d’auteur. Les données d’entraînement peuvent être des contenus accessibles sur Internet, et notamment des œuvres protégées par le droit d’auteur.

La Directive européenne DAMUN adoptée en 2019 et le droit français autorisent la fouille de textes et de données qui s’entend d’une technique d’analyse automatisée de textes et de données sous forme numérique sans autorisation de l’auteur quelle que soit la finalité de la fouille, même lorsque la fouille est effectuée dans un but commercial. Cette disposition devrait pouvoir être appliquée aux opérations d’entraînement des modèles d’IA. Néanmoins, les auteurs ou titulaires de droits, peuvent s’opposer de manière appropriée à cette fouille lorsqu’elle est effectuée à des fins autres que la recherche scientifique. On parle alors d’opt-out.

Une telle opposition n’a pas à être motivée et peut être exprimée par tout moyen ou procédé lisible par machine, y compris des métadonnées, et par le recours à des conditions générales d’utilisation d’un site internet ou d’un service.  C’est cet opt-out qui a été mis en œuvre par de nombreux organes de presse.

En quoi cela concerne les professionnels du tourisme ?

Toutes les œuvres protégées – à savoir toute œuvre mise en forme et originale – sont potentiellement concernées par cette fouille (ou moissonnage), ce qui inclut tous les contenus publiés sur les sites internet des professionnels du tourisme, comme les articles, images, cartes, photographies, slogans, campagnes de publicité etc.

Si les acteurs du tourisme ne souhaitent pas que leurs contenus accessibles librement sur leurs sites internet soient utilisés pour entraîner des modèles d’IA, ils doivent faire connaitre leur opposition.

Il est recommandé d’indiquer cette opposition à la fois dans les conditions générales par le biais d’une clause dédiée et par le biais de protocoles et métadonnées https://www.w3.org/community/reports/tdmrep/CG-FINAL-tdmrep-20240202/.

Dans le cadre des données d’entrée insérées dans les prompts

La plupart des versions gratuites des outils d’IA utilisent les données d’entrée pour entrainer leur modèle. Ainsi, toutes les informations qui sont insérées dans les prompts peuvent être utilisées pour entraîner le système d’IA et il n’est pas impossible que ces données soient utilisées dans le cadre des réponses données à d’autres utilisateurs, ce qui peut porter atteinte à leur confidentialité.

Il est dès lors primordial de ne pas renseigner de données confidentielles (surtout en cas d’usage d’une version gratuite) ou de données personnelles dans les instructions génératives.  Il serait judicieux d’encadrer l’usage de l’IA générative en interne et de donner des instructions sur les outils qui peuvent ou non être utilisés.

2. Quelles sont les précautions à prendre avant d’utiliser un contenu qui a été généré par l’IA générative ?

De la même façon qu’il le fait pour tout type de contenu, l’utilisateur de l’IA générative doit s’assurer que le contenu généré peut être exploité librement s’il souhaite exploiter ce produit final et qu’il ne contrefait pas une œuvre préexistante de tiers.

En effet, il y a contrefaçon de droit d’auteur dès lors que les caractéristiques originales d’une œuvre sont reproduites sans l’autorisation de son auteur, y compris si l’utilisateur est de bonne foi, c’est -à-dire lorsqu’il n’a pas copié sciemment.

Le risque de contrefaçon – sans que l’utilisateur en est conscience – est donc accru lorsque le contenu final est généré par l’IA générative car l’utilisateur peut ne pas connaître l’œuvre qui est reproduite ni ce qui est compris dans les données d’entrainement et qui peut se retrouver dans l’output. Certes, un contenu peut reprendre la même idée sans être contrefaisant. Mais l’utilisateur peut ne pas savoir ce  qui a pu « inspirer » le résultat obtenu si il n’a pas lui-même intégré des éléments litigieux dans ses instructions.

Or, l’utilisateur qui diffuse le contenu généré est responsable, qu’il soit ou non de bonne foi.

Il est ainsi primordial de vérifier dans la mesure du possible que le contenu généré ne reprend pas les caractéristiques originales d’œuvres avant de l’exploiter, et une personne humaine doit exercer ce contrôle. Il est préférable aussi que le contenu ait fait l’objet de modifications par par l’homme pour limiter le risque de potentielles contrefaçons. Le risque n’est effectivement pas le même si l’IA générative n’est utilisée que pour avoir des idées ou faire des propositions ou si elle est utilisée pour générer le contenu final qui va être exploité.

Il peut y avoir aussi un risque de violation du droit moral, de concurrence déloyale ou de parasitisme.

Peut-on demander à une IA générative de produire un contenu « dans le style de » ou « à la manière de » tel auteur ? 

En principe, si aucune caractéristique originale des œuvres de cet auteur n’est reprise mais que son style est simplement imité, il n’y pas de contrefaçon. Mais, cela peut parfois constituer des actes de concurrence déloyale ou de parasitisme sanctionnés sur le terrain de la responsabilité civile délictuelle. Tel serait le cas par exemple si il y a un risque de confusion ou si il y a une exploitation injustifiée de la notoriété ou des investissements.

Par précaution, il convient d’éviter les prompts qui pourraient générer des contenus problématiques afin de minimiser les risques de contrefaçon, de concurrence déloyale et parasitaire.

Il serait judicieux d’encadrer l’usage de l’IA générative en interne et de donner des indications sur les usages qui peuvent être effectués de l’IA générative et les précautions à prendre. Il est important également d’avoir connaissance du fait qu’un outil d’IA a été ou non utilisé.

3. Le contenu généré via un outil d’intelligence artificielle est-il protégeable par le droit d’auteur ?

En droit français, pour qu’une œuvre soit protégée par le droit d’auteur elle doit être originale ce qui implique de démontrer « l’empreinte de la personnalité » de son auteur. La notion d’œuvre repose donc sur la personnalité de l’auteur, de sorte que seules les créations de l’homme peuvent bénéficier de la protection du droit d’auteur.

Dès lors, les contenus générés par des outils d’IA ne seraient pas protégeables par le droit d’auteur. En revanche des contenus créés par l’homme avec l’assistance de l’IA, utilisée comme un outil – c’est-à- dire des créations assistées par l’IA générative impliquant une intervention humaine peuvent être protégeables. Il faut que les choix libres et créatifs soient effectués par l’homme.

Aucune décision n’a été rendue en France pour le moment sur la protection par le droit d’auteur d’un contenu généré par l’IA générative. Mais si un utilisateur démontre qu’il a exercé des choix artistiques libres notamment dans l’élaboration des prompts ou en modifiant le contenu généré, il n’y a pas de raison que la protection soit écartée. A tout le moins, la protection devrait être accordée aux éléments qui résultent des choix créatifs de l’auteur.

A Single Piece of American Cheese

C’est d’ailleurs à peu près la solution qui est désormais admise aux Etats-Unis qui accepte de reconnaître une protection à la « sélection, la coordination et l’arrangement ». C’est ainsi que le 30 janvier 2025, le Copyright office a accepté l’enregistrement d’une œuvre visuelle entièrement créée grâce un système d’IA, intitulée « A Single Piece of American Cheese » considérant que la sélection, la coordination et l’arrangement du contenu généré par l’IA témoignaient d’une créativité suffisante pour justifier l’enregistrement.

Ainsi, pour que le contenu généré puisse être protégé, l’humain doit conserver son rôle central dans la création et utiliser le système d’IA comme un outil.

Les recommandations suivantes peuvent être données :

  • Rédiger des prompts suffisamment élaborés et précis
  • Que le contenu généré par l’IA soit modifié et retravaillé par l’homme
  • Que l’homme opère une sélection, une coordination et un arrangement du contenu généré par l’IA témoignant d’une créativité particulière
  • Que l’homme apporte des modifications à un contenu généré par l’IA
  • Documenter le processus de création, en conservant notamment la succession d’instructions génératives et la trace des modifications apportées pour pouvoir démontrer les choix créatifs de l’homme et que le contenu généré résulte de ces choix

Si les prompts sont trop simples et le contenu généré non retravaillé, il y a d’ailleurs également un risque qu’un autre utilisateur, voire un concurrent, obtienne un résultat très similaire à partir d’un prompt similaire.

Il est de l’intérêt des acteurs du tourisme que leurs contenus puissent être protégés par le droit d’auteur car il s’agit alors d’un actif pouvant être valorisé mais aussi car ils peuvent alors en contrôler l’exploitation en interdisant à un tiers de copier leurs contenus ou en conférant des licences.

Au vu de ces différentes considérations qui devraient permettre de concilier respect des droits d’auteur et utilisation de l’IA générative, les acteurs du tourisme peuvent utiliser les outils d’intelligence artificielle pour booster leurs créations. Si l’homme reste au cœur de la création et du contrôle du contenu, si l’intelligence humaine guide l’intelligence artificielle à toutes les étapes et si certaines précautions sont prises, il est en effet possible de contenir les risques liés à de possibles contrefaçons et de permettre d’obtenir des contenus protégeables tout en travaillant à l’aide d’un outil d’IA.

Cette utilisation peut évidemment poser d’autres questions notamment relatives aux données personnelles, aux droits de la personnalité comme le droit à l’image ou à la protection du consommateur qu’il ne faut pas non plus négliger. D’une façon générale, on ne peut que conseiller aux entreprises d’établir un guide des bonnes pratiques sur l’utilisation de l’IA générative, afin d’encadrer les usages possibles et le process à mettre en place.

A lire aussi : IA, cloud, et sécurité des usages : les bonnes pratiques pour bénéficier de la puissance de nouveaux…

Laisser votre commentaire (qui sera publié après modération)

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

Dans la même rubrique