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Retrait du ratio de liquidité : histoire d’une réussite inattendue

Annoncé fin octobre par Iata et mis en application en janvier, le ratio de liquidité comme critère d'accréditation a été retiré sur avis du commissaire aux agences de l'association internationale du transport aérien. Le Syndicat national des agents de voyages obtient une belle victoire juridique et prépare l'après. Récit du retrait d'un ratio…

Dans un restaurant chic parisien, Georges Colson, président du Syndicat national des agents de voyages (Snav), arrive essoufflé, en ce 1er avril. Sourire en coin et regard pétillant, il esquive les questions sur ce qui agite la profession depuis le mois de novembre : le durcissement des critères Iata, et plus particulièrement la mise en place du ratio de liquidité depuis le 1er janvier, qui empoisonne les agences et leurs relations avec les compagnies aériennes. « Nous ne sommes pas arrivés au bout de cette histoire, mais rien n'est encore fait pour Iata », glisse-t-il. Dans deux heures, le syndicat va annoncer officiellement le retrait de ce critère par Iata, l'organisation internationale du transport aérien, toute puissante dans son domaine et qui n'a pas l'habitude de renoncer aux décisions prises par ses membres. « C'est totalement inédit, personne ne s'y attendait », confesse d'ailleurs Jérôme Bonnin, directeur de Iata France, et qui, avec un art consommé de la diplomatie, présente cette reculade comme une nouvelle étape dans les relations entre les distributeurs et les transporteurs : « Il est possible que cette décision fasse jurisprudence », glisse-t-il. Personne n'y croyait vraiment, pas même Jean-Pierre Mas, président de la commission Air du syndicat, le principal opposant à cette réforme voulue par les compagnies pour garantir leur sécurité financière.

 

« UN COUP DES COMPAGNIES »

 

Avec la pugnacité des aficionados du rugby, sport qu'il adore, pratique un peu et sponsorise encore pour quelque temps via le réseau Afat qu'il préside, il est entré dans la mêlée dès l'annonce du vote des nouveaux critères lors de la PaConf (Passengers Agency Conference, réunissant les membres Iata), d'octobre 2009. Le 20 de ce mois-là, il envoie à Iata une missive en forme de missile : l'introduction du ratio de liquidité (actif circulant/dettes à court terme) en remplacement de celui du fonds de roulement positif est « un coup de force des compagnies aériennes », écrit Jean-Pierre Mas. Il dénonce : « La rigidité des compagnies aériennes membres de l' Agency Program Joint Council (APJC, réunissant agences et compagnies, ndlr) qui multiplierait par 2,3 le nombre d'agences soumises à la garantie bancaire : 749 sur 1 422 agréments Iata, contre 319 actuellement. Cette couverture de 80 % du BSP mensuel moyen serait insolemment disproportionnée par rapport au risque réel. » Pour le président de la commission Air du Snav, ce ratio de liquidité « déstabiliserait une part importante des agences Iata en raison des difficultés qu'auraient nombre de ces agences à obtenir des garanties complémentaires auprès de leurs banques, dans un contexte économique défavorable ». Il dépose aussitôt un recours auprès du commissaire aux agences Iata, via Afat Tourisme Affaires, une agence Iata : « Le Snav n'avait pas le droit de le faire, n'étant pas agréé », raconte Jean-Pierre Mas. J'étais très sceptique, mais il fallait le faire. » Le Snav se tourne alors vers l'Ectaa (le regroupement des Snav européen) et ils instruisent ensemble un dossier afin de présenter un argumentaire béton devant la commissaire suédoise en charge de l'affaire. Le Snav choisit comme angle d'attaque le vice de procédure : « la procédure n'a pas été respectée, puisque l'APJC n'a pas émis d'avis concernant cette révision des critères d'accréditation des agences française », explique Jean-Pierre Mas. Le dossier est instruit et puis… plus rien. Le temps passe, sans que Iata n'accorde une écoute aux doléances des distributeurs. Quitte à s'éloigner de son pack, le président de la commission Air veut remuer l'opinion et désigne celui qui est, à ses yeux, le responsable de ces changements : Air France.

 

L'IDÉE DU RECOURS FAIT SON CHEMIN

 

Un mois après le vote des compagnies en PaConf, Jean-Pierre Mas se sert de la tribune du premier congrès d'AS Voyages, à Séville, en novembre 2009, pour mettre la compagnie au pilori : « Les nouveaux critères Iata sont scandaleux, et inacceptables et les aménagements proposés par Air France, nous les refusons car nous ne voulons pas d'aumône », lance-t-il, en faisant référence à la proposition de Iata de soustraire les agences à la garantie bancaire si elles acceptent le passage au BSP hebdomadaire. « Nous n'avons pas de leçon de vertu économique à recevoir de la part d'un secteur qui va dégager 11 MdsE de perte cette année. C'est comme si on demande à un détenu des Baumettes de rédiger le Code pénal ». Il emporte l'adhésion de la salle, mais la responsable d'Air France présente, Agnès Gascoin, irritée, prend la porte aussitôt après cette "sortie". Le 1er janvier arrive, les nouveaux critères Iata entrent en rigueur avec application au 15 février, dans une ambiance fataliste, palpable lors de la Convention du Snav, le 3 février. Alors que des ateliers font dans la pédagogie, Jean-Pierre Mas, encore lui, évoque l'idée d'un recours contre Iata auprès de l'autorité de concurrence pour abus de position dominante. Cette piste s'avère très vite une impasse. « C'était voué à l'échec, dans la mesure où les agences ne sont pas contraintes d'être agréées Iata », soulignait un représentant d'une compagnie. Heureusement, le recours au sein de Iata, avance enfin. Quelques jours après la Convention du syndicat, les protagonistes se rencontrent dans une salle du Quai d'Orsay, louée par Iata. Autour de la commissaire, cinq représentants de l'association et cinq des agences de voyages. L'ambiance est « sérieuse », dira un participant, mais dure en longueur, les avocats exigeant de nombreuses interruptions de séances pour avis des parties. Au bout de cinq heures de discussion, Les représentants du Snav sortent de la salle, « comme des gens qui avaient raison mais avec le sentiment de ne pouvoir gagner qu'en fonction du degré d'indépendance de la commissaire vis-à-vis de Iata », se remémore Jean-Pierre Mas. Après plusieurs contacts avec les deux parties, pour compléments d'information, la commissaire rend son verdict le 27 mars : il est favorable au plaignant, l'agence Afat Tourisme Affaires.

 

DE NOUVELLES NÉGOCIATIONS

 

Surprise chez Iata, champagne au Snav – mais en privé. Pas question de verser dans le triomphalisme, car il faut maintenant obtenir que cet arrêt soit extensible à toutes les agences françaises. Les jours suivants, pendant lesquels la finesse d'analyse de Jérôme Bonnin va faire merveille, vont être décisifs. « Nous pouvions, bien sûr, instaurer deux régimes en France, les agences sous ratio et les autres, mais la situation aurait été ingérable », explique le directeur de Iata France. Les deux camps négocient. Le retrait est acté, sans recours des membres de Iata et étendu à toutes les agences. Mais pas question de revenir au statu quo ante. « On ne pourra pas le supprimer totalement », prévient Iata qui demande une nouvelle réunion dès ce mois-ci : « Nous avons la volonté d'aboutir et de mettre en place quelque chose de nouveau pour la prochaine PaConf en octobre 2010 », poursuit Jérôme Bonnin. Le Snav en est conscient, mais reste en position de force et présente alors un argument de poids : le droit d'évaluation. « Le ratio est retiré, pas réformé », appuie Jean-Pierre Mas. « Notre objectif est maintenant d'examiner le taux d'impayé. Les critères actuels doivent être plus rigoureux sur les impayés, quitte à introduire ensuite un ratio de liquidité progressif avec, à chaque étape, une mesure d'impact sur les comptes et les impayés des agences. Si ce ratio dégrade la comptabilité ou si le taux d'impayé ne baisse pas, il aura montré son inefficacité et devra être retiré ». De nouvelles négociations s'ouvrent donc, avec pour le Snav le sentiment d'avoir remporté une belle bataille juridique… annoncée comme perdue d'avance.

 

« C'est totalement inédit, personne ne s'y attendait », confesse Jérôme Bonnin, directeur de Iata France

« Le ratio est retiré, pas réformé », appuie Jean-Pierre Mas, président de la commission Air du Snav

 

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