Plan social chez TUI France : 61 anciens cadres en quête de justice
Le dossier de 61 anciens cadres de TUI France, qui contestent leur licenciement en 2020, a été examiné ce mardi 20 mai par le Conseil de prud’hommes de Nanterre.
La salle d’audience n’était pas trop grande pour accueillir les anciens salariés de TUI France. Managers, responsables d’agence ou chefs de produit, ils se battent tous pour obtenir réparation après leur mise à l’écart en juin 2020, qu’ils jugent profondément injuste et mal gérée. Le tout, dans un contexte de pandémie mondiale, et souvent après plus de vingt ou trente ans de service.
Pour Maître Xavier Van Geit, qui défend une partie d’entre eux, « ce n’est pas seulement une indemnisation financière que mes clients attendent, c’est aussi une réparation morale ».
Des conditions de licenciement vécues comme humiliantes
Au cœur de cette procédure, les conditions de licenciement. Elles ont été annoncées sous la forme d’une visioconférence. Une humiliation pour un certain nombre de salariés. « Cet épisode a laissé un traumatisme durable. Pour certains, il ne sera jamais totalement digéré tant qu’aucune décision ne sera rendue pour le condamner » poursuit l’avocat.
Petit rappel des faits. Début 2020, le monde entier est plongé dans l’incertitude de la pandémie. Pour beaucoup d’entreprises, le choc est immédiat. Face à la fermeture des frontières et à l’annulation massive des vols, TUI France se trouve dans une situation périlleuse. Des hôtels ferment, des agences de voyages sont contraintes de suspendre leurs activités.
Ancien secrétaire général du Comité Social et Économique (CSE) de TUI France et porte-parole des salariés concernés, Lazare Razkallah se souvient encore des propos rassurants du gouvernement à l’époque : « Ne vous inquiétez pas, il y a le chômage partiel pour aider les entreprises en difficulté », leur disait-on. Mais cette promesse de soutien public se transforme rapidement en une annonce inattendue. En juin 2020, TUI France annonce un plan social portant sur 583 postes. Un choc pour les employés, d’autant plus que le processus a été orchestré à distance lors d’une réunion en visioconférence.
Absence de reclassement
Les conditions de ce plan social et la manière dont il a été mis en œuvre suscitent en effet une vive indignation chez les salariés concernés. « On a vu des gens licenciés, sans même une proposition de reclassement interne ou externe. Il y a eu des fermetures d’agences et de marques rentables, comme Passion des Îles, tout cela au nom de la crise sanitaire », s’indigne Lazare Razkallah qui a consacré 36 ans de sa carrière à TUI.
L’une des principales revendications des anciens de TUI France concerne en effet l’absence de reclassement. Aucun accompagnement réel, selon eux, n’a été mis en place pour les aider à rebondir. Ce que dément fermement la défense. « Oui, des reclassements de postes ont été proposés » assure Maître Virginie Devos, leur avocate (voir ci-dessous). Une déclaration qui provoque aussitôt des soupirs et des gestes de désapprobation dans la salle. « C’est trop dur, cela ravive des souvenirs trop difficiles », glisse une plaignante à sa voisine. Si certains ont retrouvé un emploi, d’autres restent sur la touche. À l’image d’Éric Bouladou, toujours inscrit à Pôle Emploi (lire son témoignage).
Autre point de tension, les différences de traitement entre les salariés de TUI France et ceux de la société Transat, rachetée en 2016. Parmi les sujets sensibles, la question du treizième mois : versé aux uns, refusé aux autres. Une disparité qui continue d’alimenter le ressentiment. La défense s’efforce de démontrer la légalité des procédures. Les juges, eux, écoutent, sans interrompre les plaidoiries.
La crise Covid, « un effet d’aubaine »
« L’Etat français a pris ses responsabilités. Mais en retour, une entreprise comme TUI s’est délestée de près de 40% de ses effectifs en France, en invoquant des difficultés financières », constate Maître Van Geit. Pour lui, il s’agit clairement d’un « effet d’aubaine ». La crise du Covid aurait servi de prétexte à une restructuration massive, au détriment de salariés fidèles durant plusieurs décennies.
Au-delà de la procédure en elle-même, l’avocat alerte sur une tendance plus large. « L’obsession de l’Ebitda et du chiffre d’affaires ne peut pas être le seul moteur de décision. Sinon, on enterre toute idée de contrat social, de solidarité », résume-t-il. « On ne peut pas vendre du rêve et du voyage à n’importe quel prix ».
Verdict le 23 septembre
Les anciens cadres espèrent que la justice leur donnera raison. La décision du conseil de prud’hommes de Nanterre est attendue pour le 23 septembre prochain.
Le point de vue de l’avocate de TUI
Contactée par nos soins, Maître Virginie Devos (Cabinet August Debouzy), en charge de la défense de TUI France, a fermement écarté l’idée que les licenciements seraient uniquement liés au Covid-19. « La situation économique de TUI France était déjà critique bien avant la pandémie », la société « accumulant des pertes depuis des années, et ne survivant que grâce au soutien financier du groupe », explique-t-elle.
Selon ses propos, la crise sanitaire n’a fait qu’accélérer une décision devenue inévitable. Celle de mettre en œuvre « une réorganisation visant à rendre la filiale française autonome et viable ».
« Le groupe a enregistré une perte de 3,4 milliards d’euros en pleine crise. Il ne pouvait plus continuer à soutenir indéfiniment sa filiale française. Sans la restructuration présentée par le management français, la société allait droit vers le redressement judiciaire », précise Maître Devos.
S’agissant de l’obligation de reclassement, les salariés dénoncent un manque de propositions concrètes. Maître Devos réfute cette accusation. « Un processus individualisé a été mis en place. Il ne s’agissait pas d’un simple affichage de postes. Mais d’un accompagnement personnalisé en fonction des qualifications et compétences de chacun ».
Concernant spécifiquement le personnel des agences, elle précise que « 19 propositions temporaires ont été faites aux salariés concernés, leur permettant de rester dans l’effectif pendant la période de fermeture progressive des agences ». Si ces postes n’étaient pas pérennes, Maître Devos rappelle que la jurisprudence impose d’envisager aussi des missions temporaires ou des CDD dans le cadre du reclassement.