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Mairie de Paris : « Il faut étudier la possibilité d’interdire Airbnb dans certains arrondissements »

Voilà cinq ans qu’il est aux manettes du tourisme parisien. Cinq années au cours desquelles le secteur a été bouleversé par la montée en puissance de nouveaux acteurs, l’évolution des comportements. Par des crises profondes, aussi, à commencer par les attentats de 2015. Adjoint à la mairie de Paris en charge du Tourisme, du Sport et des jeux Olympiques, Jean-François Martins fait le point sur certains des grands enjeux du tourisme parisien, à quelques mois des municipales.

L’Echo touristique : Après un très bon cru 2018, 2019 a débuté de façon plus laborieuse en termes de fréquentation touristique. Quelles sont les perspectives pour la fin d’année ?

Jean-François Martins : « Nous devrions être sur une année flat en 2019, même s’il faut attendre de voir comment se passe la fin d’année, dans un climat international compliqué sur deux marchés clés pour Paris, les Etats-Unis et la Chine. (…) Mais à ce stade, si la tendance post gilets jaunes se maintient, avec une reprise suffisamment rapide pour compenser les pertes du début d’année, nous devrions faire une année 2019 comparable à 2018, qui était une année record.

On parle beaucoup de la fréquentation pour évaluer l’attractivité d’une destination. Mais n’est-il pas temps de faire évoluer ces critères ? 

En réalité, des chiffres nous en avons beaucoup. Nous avons le visitorat, évidemment, mais aussi la durée de séjour – qui sera sans doute notre enjeu désormais, beaucoup plus que le nombre de visiteurs -, les pays d’origine, le mode de voyage, individuel ou groupe… Ce sont des indicateurs que nous regardons de façon plus fine qu’auparavant.

Le RevPar aussi ? Parce qu’effectivement, après les attentats, les touristes sont revenus, mais les prix des chambres d’hôtels étaient assez bas…

Nous avons particulièrement suivi, après les attentats, le fait que la reprise du visitorat s’accompagne d’une remontée du prix moyen et du RevPar. Ce qui a été le cas un peu en décalé. 2018 a été l’année charnière, où les volumes et les prix sont redevenus bons. C’est essentiel, car quand le RevPar est plus important, c’est plus d’argent injecté dans l’économie parisienne. Maintenir des niveaux de prix plus conformes au marché, c’est aussi donner aux hôteliers les moyens de continuer à investir dans leurs établissements. (…) A la condition bien sûr – et pour moi c’est un des sujets clefs de l’avenir – que tout ou partie de cette économie ne parte pas ailleurs, sur des plates-formes étrangères, et non fiscalisées.

Vous faites allusion à Booking, notamment…

Absolument. Quand aujourd’hui Booking prend grosso modo 17% du prix de la chambre, ça veut dire que 17% du revenu hôtelier à Paris est capté par une entreprise étrangère qui ne paie quasiment pas d’impôts en France, par une entreprise sans actif et presque sans salariés, sans salariés exploitants en tout cas. C’est un problème, car si ces 17% étaient réinjectés dans l’économie parisienne, je puis vous assurer qu’en matière d’emploi et d’investissement, on verrait la différence.

Que faire contre ça ?

Ce n’est pas à moi de répondre à cette question, mais au secteur hôtelier. Mais je pense que le secteur hôtelier aurait raison, à un moment ou à un autre, de s’organiser. Surtout dans une ville comme Paris, où le désir de la destination est tel qu’elle n’est pas strictement dépendante des plates-formes pour faire venir les visiteurs. L’hôtelier prend un risque quand même. Il prend des murs, parfois il s’endette, investit, embauche, forme… Booking, à la fin, sans prendre aucun de ces risques, empoche 17%.

En juin, vous annonciez que de nouvelles mesures pourraient être prises concernant Airbnb. Les choses ont-elles évolué depuis ?

Je fais partie des gens qui étaient très ouverts d’esprit à l’égard d’Airbnb au départ, pensant que ça pouvait être un complément de revenus pour les Parisiens, ou un complément d’offre dans le parc hôtelier qui avait besoin de chambres et qui ne répondait peut-être pas aux besoins de certaines clientèles. J’étais plutôt de nature à vouloir essayer de trouver un moyen pour que cette activité puisse se faire dans de bonnes conditions. J’ai rencontré les gens d’Airbnb. Force est de constater que tous les engagements qu’ils ont pris auprès de nous n’ont jamais été respectés. Aucun. Donc, évidemment, il fallait durcir la norme. On aurait aimé que l’Etat, et notamment le législateur, nous donne les moyens d’aller plus loin, parce que c’est aujourd’hui notre grand drame, en réalité : le fait que la loi soit la même pour Saint-Jean-de-Luz ou Paris, qui n’ont pas du tout les mêmes problématiques. (…) A Saint-Jean-de-Luz, c’est un enjeu touristique, à Paris un enjeu de logement. On ne peut pas admettre que dans le centre de Paris, 26000 logements aient quitté le marché résidentiel.

Quelles sont à vos yeux les solutions ?

D’abord, il faut redonner le pouvoir aux maires (le Sénat a adopté un amendement à ce sujet, vote intervenu après cette interview, NDLR). Ensuite, il faut réduire le nombre de jours au-delà duquel il n’est pas possible de louer sur une année, pour revenir à quelque chose de très simple : on ne devrait pouvoir mettre son appartement sur un site de location de courte durée seulement si c’est l’appartement où l’on vit vraiment, quand on part en week-end ou en vacances. Troisièmement, la maire de Paris l’a évoqué récemment, je pense qu’il faut commencer à regarder les modalités selon lesquelles on interdirait Airbnb dans certains arrondissements, notamment ceux du centre de Paris. Je pense qu’il faut se pencher sur cette idée, politiquement, juridiquement. Il faut la creuser. Les municipales permettront sans doute d’éclaircir ce point du débat public.

Revenons à la stratégie de promotion de la destination. Quelles sont les nouveautés à attendre ?

Ce qui va changer la donne fondamentalement, et je suis heureux qu’Anne Hidalgo m’ait donné les moyens d’y parvenir, c’est de sortir des logiques de chapelles institutionnelles. Pour la première fois, parce que nous avons mis de l’huile dans les rouages, parce que nous sommes sortis des guerres de clocher, nous avons un plan de promotion commun ville et région, office de tourisme et CRT pour l’année prochaine. Nous sommes plus efficaces ensemble pour la destination et ça, c’est une bonne nouvelle pour l’industrie. Les professionnels étaient les premiers à se plaindre du maelström institutionnel qui n’était pas clair.

Et en termes d’offres, ou d’équipement ?

Pour ce qui concerne les équipements structurants de la destination, j’attends beaucoup évidemment de la cité de la gastronomie, à Paris-Rungis. Elle arrivera en 2024, en même temps que le réseau du Grand Paris Express. Je pense qu’on ne mesure pas aujourd’hui encore que les nouvelles lignes de métro vont être un virage majeur pour la destination. La Cité de la Gastronomie de Paris Rungis sera sur la ligne 14, à 15 minutes Châtelet. Le territoire et l’imaginaire vont changer, parce que tout sera plus près. (…) Il y aura demain, grâce à ces lignes, un territoire avec beaucoup plus de richesses culturelles accessibles pour les visiteurs. Je pense que c’est ça, le vrai grand chemin de nos destinations. Cela va nous permettre de desserrer la pression dans l’hypercentre, et d’enrichir notre destination en termes d’offre.

Et donc d’allonger la durée de séjour ?

Ce sera sans doute notre enjeu, dans la décennie qui vient. Ce ne sera pas d’augmenter de manière inconsidérée le nombre de visiteurs, parce que d’un point de vue de l’empreinte carbone, ça serait fou. L’objectif sera plutôt de faire en sorte que ceux qui ont dépensé l’empreinte carbone pour venir restent plus longtemps. Je pense qu’en 5 ans, il faut gagner un jour de durée moyenne de séjour. Aujourd’hui elle est à 2,6 il faudrait être à 3,6. Plus on arrive à faire durer le séjour, plus on retrouve du temps pour la rencontre avec les habitants, et pour une relation apaisée avec la ville qu’ils visitent.

> Retrouvez également des extraits inédits de cette interview dans le prochain numéro de L’Echo touristique.

 

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