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« La reprise sera très lente »

« Les prévisions sont difficiles, surtout lorsqu’elles concernent l’avenir », ironisait l’humoriste Pierre Dac. L’exercice est pourtant incontournable avant des choix d’investissements ou stratégiques. L’économiste Yves Crozet a accepté de se livrer à cet exercice.

L’Écho touristique : Comment qualifier la conjoncture économique mondiale actuelle ?

Fin 2008, la situation d’insolvabilité des banques et la crise de confiance interbancaire étaient telles qu’on est passé à deux doigts d’une thrombose générale et d’un scénario de type 1929. On a échappé de justesse au pire. Les politiques publiques ont réussi à éviter le scénario de film catastrophe, mais le problème reste de savoir comment revenir à un niveau correct d’activité économique. Les situations sont très contrastées : l’Espagne, qui avait beaucoup misé sur l’immobilier, et la Grande Bretagne, sur la finance, par exemple, ont des économies très perturbées. Les pays plus diversifiés comme la France, où l’on projette 1 % de croissance en 2010, ou l’Allemagne sont moins touchés. Mais la sortie de crise sera très lente, même pour l’Allemagne et les États-Unis. La Chine a connu un ralentissement de courte durée, grâce à la relance de sa consommation intérieure, aisée dans un pays doté d’un important excédent commercial et d’un taux d’épargne élevé des ménages.

Yves Crozet : Alors la crise n’est pas finie ?

Non parce que des secteurs moteurs gardent des niveaux d’activité très faibles. Certes, des industries comme l’automobile en France ont pu maintenir un bon niveau de commandes grâce au soutien public, mais d’autres, comme les constructeurs de poids lourds, le bâtiment ou en amont la sidérurgie, restent sinistrés. La remontée sera donc très progressive.

Mais à côté de l’industrie on peut compter sur les services ?

Certes aux États-Unis les services ont retrouvé leur niveau d’activité d’il y a trois ans. Mais ces activités à elles seules ne suffisent pas pour supporter toute la croissance, d’autant que certaines branches des services comme le fret aérien, l’armement maritime de porte-conteneurs ou les ports maritimes ont chuté lourdement.

Quels sont les scénarios de sortie de cette crise ?

Je ne me prononcerai pas pour une couleur de scénario, rose, gris ou noir, mais je penche pour un scénario à la japonaise. Dans ce pays, les bulles spéculatives immobilière et boursière ont explosé au tournant des années 1990, et le Japon n’a toujours pas retrouvé son niveau de croissance antérieur. La transposition de ce scénario au monde industrialisé conduit à une reprise lente, d’au moins deux à trois ans, voire davantage. Car la crise a provoqué des graves dégâts qui continuent de peser. Des rechutes de banques, gorgées d’actifs pourris, sont toujours à craindre et l’effondrement de grandes entreprises industrielles ou de services qui ont réussi à tenir deux ou trois ans malgré la crise est à redouter, si la reprise est insuffisante. Sans oublier une série noire potentielle qui obscurcit l’horizon avec des pays en difficultés du type de la crise de l’Islande. Des États comme les Pays baltes, la Grèce, le Portugal, voire l’Italie, trop endettés, doivent prendre des mesures draconiennes. Ces tensions entretiennent le pessimisme : les entreprises attendent pour investir et les ménages pour acheter, d’autant que, même dans un pays moins menacé comme la France, chacun a compris que demain il faudra payer plus d’impôts pour éponger les dettes !

La cause profonde de la crise a-t-elle disparu ?

Non car il faut digérer une phase d’orgies financières : c’est l’endettement qui avait alimenté la croissance euphorique des États-Unis. Mais ces excès ont conduit à des surendettements multiples qui freinent aujourd’hui la dynamique de croissance. C’est le principe de la gueule de bois : il faudra plusieurs années pour écluser les dettes avant de pouvoir réinvestir et consommer à nouveau à crédit. Pourtant, les États n’ont pas d’autre choix que de continuer à s’endetter. Souvenons-nous que Roosevelt, croyant la grande crise passée, avait diminué fortement le déficit public américain en 1938 et provoqué une rechute de l’économie avant la guerre. En 2010, le niveau d’endettement des États atteint parfois des sommets : 180 % du PIB au Japon, 75 % en France, par exemple.

Est-ce que d’autres menaces subsistent ?

Oui le prix de l’énergie par exemple : dans une économie convalescente, le baril de pétrole se situe encore aux environs de 80 $. On imagine jusqu’où il pourra monter quand l’augmentation de la consommation en Chine et en Inde va se conjuguer au peak oil* annoncé pour 2015-2020. Les variations de changes sont aussi une incertitude de plus. En particulier si certains pays laissent filer leur monnaie ou sortent de la zone euro pour dévaluer et subventionner ainsi leurs exportations, il y a un risque de réactions protectionnistes en chaîne. C’est ce comportement de chacun pour soi qui avait diffusé la crise dans les années 1930.

Pourtant les bourses occidentales, florissantes depuis six mois, anticipent une reprise ?

Elles surréagissent toujours. Elles l’ont fait à la baisse comme elles le font à la hausse parce que le pire est passé. Mais elles vont découvrir que le malade a une jambe de bois et un bras dans le plâtre.

L’économie verte peut-elle contribuer au redémarrage de l’économie ?

Nous sommes en pleine réorganisation du système productif avec l’apparition de nouvelles zones de croissance comme l’aéronautique, le nucléaire ou les industries vertes. Mais ces niches ne suffisent pas pour entraîner l’économie. Et surtout, une croissance plus verte c’est une hausse potentielle du PIB et des emplois, mais pas forcément du revenu net des ménages. On oublie en général de le rappeler.

Le pouvoir d’achat peut-il remonter et tirer la consommation ?

Il reste peu dynamique parce que la croissance est peu dynamique. Certaines catégories sociales s’en sortent mieux que d’autres. Les employés peu qualifiés sont précarisés. Les fonctionnaires, les retraités et les cadres les plus qualifiés sont moins affectés tandis qu’une frange de salariés français qui a profité de la défiscalisation des heures supplémentaires a augmenté son pouvoir d’achat. Certaines zones du territoire comme la façade ouest, la région toulousaine ou la Haute-Savoie sont attractives et se portent mieux que d’autres.

Quelles sont les conséquences de ce scénario en demi-teinte pour le tourisme ?

L’évidente redécouverte par les résidents de France du tourisme de proximité restera durable si la croissance reste faible et elle profitera au marché national. Il faut aussi compter sur les clientèles de pays en croissance, notamment celles venant de Chine, pour voir les potentialités très fortes de l’incoming. En ce qui concerne l’outgoing, les agences de voyages doivent adapter leurs cibles aux situations particulières : les États-Unis par exemple si le dollar baisse ou les pays comme le Maroc qui font d’importants efforts de promotion. De toute façon, il y a une relation directe entre la croissance économique, les menaces sur l’emploi et les voyages en avion.

* Peak oil : c’est le moment où la production de pétrole mondiale plafonnera avant de décliner du fait de l’épuisement des réserves.

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