La marque blanche sort des traces
La marque blanche a permis à de nombreuses agences de déployer un site marchand, dans de brefs délais et sans se ruiner. Mais gare à la banalisation. Pour éviter à l’internaute l’impression de clonage, les producteurs multiplient désormais les options de paramétrage.
Elles sont nombreuses les agences de voyages à arborer fièrement l’adresse d’un site Internet sur leurs cartes de visite ! Pour les aider à franchir le pas, les réseaux ont multiplié ces derniers mois les solutions clés en main. De Selectour à Afat Voyages, en passant par le Cediv, la technologie est à chaque fois la même, s’appuyant pour l’essentiel sur le concept de marque blanche.
La marque blanche est née aux prémices d’Internet, quand quelques producteurs ont proposé à des agences en ligne de greffer sur leurs propres sites une partie de leur production. Chacun y trouve son compte.
Au royaume de la marque blanche, Go Voyages demeure indétrônable. Au cours des dernières années, le voyagiste à la grenouille a multiplié les partenaires comme des petits pains. Résultat : près de 1 500 sites ont adopté à ce jour un ou plusieurs de ses quatre moteurs (vols, hôtels, forfaits dynamiques, location de voitures). La moitié d’entre eux appartient à des agences de voyages, le reste à des sites tiers, dont la marque forte attire spontanément les internautes et permet de générer du trafic. La marque blanche donne du ressort à Go Voyages, qui a généré près de 200 ME de chiffre d’affaires durant l’exercice 2007-2008.
L’agence peut ainsi proposer aux internautes un site complet à moindre coût. Le concept permet en effet de déployer rapidement un Web marchand, tel un puzzle, grâce à l’intégration de moteurs éprouvés. Proposés par des producteurs de voyages, mais aussi des sociétés technologiques (SS2I) voire d’autres agences en ligne, les microsites clés en main sont peu onéreux, voire gratuits. Quant aux mises à jour, elles sont automatiques, sans intervention manuelle du distributeur. Les fournisseurs s’en chargent, en plus de gérer éventuellement la relation client (au nom de l’agence).
Des créateurs peu nombreux
Ce concept de marque blanche trouve l’une de ses plus belles expressions sur Bdv.fr. Le site de la Bourse des Vols et des Voyages est bâti à partir d’un florilège de briques, fournies par des tiers. Dans le tourisme, nous sommes tous des assembleurs de vols, d’autocars, d’hôtels, de transferts. On ne fabrique rien, mais on regroupe des pièces détachées. Cette logique est encore plus poussée sur le Net, souligne Fabrice Dariot, son PDG.
Va pour la théorie, mais la pratique est souvent plus complexe ! C’est la raison pour laquelle les vrais créateurs de marques blanches sont peu nombreux. Il est nécessaire de disposer d’une bonne technologie pour mettre en place une offre satisfaisante, soutient Laurent Curutchet, directeur France d’Ebookers. En 2009, nous pourrions lancer nous mêmes une marque blanche, à partir de la plateforme Orbitz.
Il faut certes des réponses techniques, mais aussi des compétences. En France, Julien Leroy a un temps porté le flambeau pour Expedia Private Label (EPL). Depuis son départ en juillet 2007, son poste reste vacant. Les professionnels sous-estiment le travail de développement nécessaire pour la création d’une marque blanche standardisée, insiste Petra Friedmann, directrice générale d’Opodo France. L’agence en ligne s’y est attelée, en reprenant la solution mise au point en 2005 par sa filiale Vivacances. Son offre repose sur un moteur clés en main de billetterie aérienne, orientée plutôt loisirs. Mais sans surprise, Opodo préfère se concentrer sur son propre site. Nous ne sommes pas une SS2I, notre priorité reste la vente au grand public. Le BtoB suppose, en plus d’une bonne technologie, une organisation adaptée. Dans ce domaine, nous nous sommes recentrés, en travaillant avec une cinquantaine d’affiliés.
Une solution rapide
Selectour fait partie des revendeurs de l’offre d’Opodo. Le portail du réseau à l’hippocampe a aussi agrégé le moteur de forfaits de Promovacances, et la location de voitures avec trois loueurs. Ce sont des espaces marchands, gérés et pilotés par les fournisseurs, y compris le service client. Ils nous ont permis de déployer rapidement un site, sans développer une technologie propriétaire, rappelle Frédéric Vanhoutte, le monsieur Internet chez Selectour. Une bonne idée pour démarrer sur la Toile, et explorer de nouvelles pistes. Le distributeur pousse désormais la logique plus loin, en proposant à ses adhérents de décliner le site global Selectour.com en (quasi) marque blanche sur leur propre Web, pour se rapprocher de leurs clients. De nombreuses agences approuvent, mais pas toutes. Stratégiquement, c’est une erreur, estime le patron d’une agence Selectour, qui préfère rester anonyme. Il en veut pour preuve l’échec de la précédente solution de site clés en main en kit (baptisée KIA). Si nous voulons être crédibles, il faut au contraire déployer un site unique aux couleurs du réseau. Nous devrions ensuite promouvoir Selectour.com sur toutes nos vitrines. Espérons que notre nouveau directeur général fera ce choix martèle-t-il.
Montrer que nous sommes à la page
Il est vrai qu’un seul site réseau fort a l’avantage de contribuer à la notoriété de la marque, et d’être compatible avec une stratégie multicanal : le client peut choisir entre une réservation en ligne par le biais d’une centrale de réservations, ou de l’agence de son choix, mise en avant sur le Web.
C’est notamment pour ne pas froisser leurs membres (qui voient la mise en place d’un site général comme une concurrence) que les réseaux ont pris la décision de proposer des sites clés en main reposant sur des marques blanches. Les agences sont aussi de plus en plus nombreuses à vouloir disposer de leur propre Web, mais sans vouloir rivaliser avec les mastodontes du e-tourisme. Nous disposons d’une des meilleures technologies du marché, à savoir le même moteur que Voyages-sncf.com. Notre Web permet surtout de montrer, en toute modestie, que nous sommes à la page, souligne Jean-Luc Dufrenne, gérant du miniréseau Génération Voyages, à Lille.
La solution est intéressante surtout si elles peuvent y ajouter une production en propre. Ainsi, Afat Voyages propose à ses membres des sites clés en main déclinés de son Web national. 180 agences ont signé, 130 sites sont déjà déployés.
La solution qu’Afat Voyages propose à ses adhérents repose sur des marques blanches fournies par Expedia (partenaire de Voyages-sncf.com), mais aussi d’autres producteurs. Pour 250 E (plus 40 E par mois), elle permet de vendre des hôtels, des vols, des locations, référencés par Expedia. La relation client est gérée par le géant américain.
Certains observateurs estiment que du coup, le réseau a fait entrer le loup dans la bergerie. Expedia se défend toutefois d’utiliser à des fins personnelles les données clients récoltées par Afat Voyages.
Reste que, pour Laurent Briquet, directeur associé du cabinet Expertiz, mieux vaut se protéger. Les contrats de marques blanches doivent être bien bordés, assure-t-il. Si en théorie, les données clients restent la propriété des agences, il y a déjà eu des incidents.
L’uniformisation croissante
Autre point faible de la marque blanche, plus évident, celui de l’uniformisation des contenus, avec un même produit distribué sur des centaines de sites. Quelle est alors la valeur ajoutée de l’agence, qui n’a pas les moyens marketing pour faire face aux leaders du e-tourisme ? La plupart des marques blanches sont personnalisables seulement au niveau du haut et du bas des pages rappelle Laurent Briquet. Insuffisant ! Du coup, certains sites ont recours à des flux dits XML pour se démarquer et intégrer dans les règles de l’art l’offre d’un prestataire. Ceux qui s’y emploient génèrent de meilleures ventes que les autres, observe Europcar. Mais ils représentent plus l’exception que la règle.
Depuis 2001, Go Voyages offre une solution XML, qui permet de peaufiner l’ergonomie du moteur de recherche. Chaque agence qui le reprend peut par exemple supprimer toute compagnie aérienne indésirable. Mais une dizaine d’entreprises seulement l’utilisent, en y consacrant le temps et l’argent nécessaires.
Sortir des standards représente un investissement souvent rédhibitoire pour un petit distributeur. Les Web services, qui permettent de personnaliser un moteur, sont à la charge soit de développeurs en interne, soit d’une société technologique en externe, rappelle Laurent Briquet. Il faut alors compter plusieurs milliers d’euros d’investissements. Qui peut se le permettre ?
Face à une demande croissante de personnalisation, les fournisseurs proposant des marques blanches font toutefois des efforts. Il est possible d’adapter ces dernières a minima au profil d’une agence, sans passer par des Web services coûteux. Selectour.com a par exemple conservé, du moteur de forfaits proposé par Promovacances, les seuls voyagistes référencés par le réseau. Même les solutions industrielles sont paramétrables. Le produit AdPack Distribution de la société technologique Advences n’est plus figé comme à ses premières heures. L’agence peut choisir parmi 30 fournisseurs, et ne retenir qu’une sélection de produits pour chacun. Elle est même invitée à opérer un tri sélectif, en fonction de quatre critères : par thèmes, disponibilités, produits et destinations.
D’autres progrès sont à attendre, et bientôt les agences devraient pouvoir construire un site sur mesure. A l’image de ce que propose iGoogle pour les internautes lambda. Ce service gratuit permet à chacun de créer sa page d’accueil personnalisée : il suffit de supprimer, d’ajouter ou de déplacer des modules/onglets (actualités, météo, jeux…). Gageons qu’un jour apparaîtra un service iVoyage, où chaque agence pourra à volonté modifier son site Web.
Une évolution nécessaire
Dans ces conditions, la marque blanche standard a-t-elle encore un avenir ? Oui, répond Carlos Da Silva, PDG de Go Voyages, qui prêche bien évidemment pour sa paroisse. Certes, une agence ne fait pas venir le chaland grâce aux vols secs. Ce qui ne doit pas l’empêcher de proposer la solution la plus performante quand le client lui demande ce type de prestations. C’est un produit de base, qui ne nécessite pas forcément une exclusivité.
Internet ou pas, une agence doit mettre en avant sa propre sélection de produits, standards comme de niche. Et si elle possède une expertise sur un segment, elle devra la valoriser auprès des internautes. Jean-Luc Dufrenne met par exemple en avant ses départs régionaux. D’autres préfèrent pousser sur leurs sites les produits à l’intention des seniors, chez Croisitour, par exemple. <