Christian Delom : « tourisme, aux armes citoyens ! »
Nous publions une nouvelle lettre ouverte de Christian Delom, secrétaire général de A World For Travel, axée sur le rebond du secteur du voyage post Covid-19.
Dans la première lettre ouverte, nous avons donné une orientation claire à l’avenir du tourisme et des voyages, et souligné, que dans ce contexte, les acteurs n’échapperont pas à cette transformation et à cette refondation. Tout cela est plus facile à dire qu’à réaliser. Et pourtant c’est de notre responsabilité collective d’y parvenir.
Vous avez été près de 25000 à lire et 4000 à réagir à cette lettre ouverte qui a été publiée dans L’Echo touristique et dans Travel Weekly appelant à la transformation du tourisme post Covid-19.
Vos réactions très nombreuses qui rassemblent tous les secteurs de notre activité, opérateurs institutionnels ou privés, décideurs politiques ou chefs d’entreprise, salariés ou indépendants, dégagent une forme de consensus sur le diagnostic. Je constate aussi de nombreuses convergences et les esquisses d’une vision partagée : plus de sens, de responsabilité, de relocalisation, de partage, des voyages plus longs, moins souvent et moins loin, et bien sûr en toute sécurité.
Si nous nous plaçons à court terme, la question essentielle porte sur la sécurité.
Maintenant il faut construire. Mais il ne s’agit pas de partir dans cette recherche avec des solutions faciles, plus ou moins existantes, qui arrangent tels ou tels, qui s’inspirent d’un lobby ou d’un autre. Ce serait une erreur qui ne mènerait qu’à de simples ajustements.
Si nous nous plaçons à court terme, la question essentielle porte sur la sécurité.
Nous devons cohabiter avec le risque sanitaire avant qu’il ne s’estompe et, espérons, qu’il disparaisse. Et même après, souvenons-nous des conséquences du 11 septembre 2001 sur la mise en place puis la généralisation de toutes les mesures de sureté et d’intelligence que nous connaissons bien. C’est la prise de conscience de la permanence du risque terroriste qui y a conduit.
Gageons qu’il en sera de même pour le risque sanitaire. Maintenant nous savons que ce risque existe, nous allons nous organiser pour le prendre en compte qu’il soit actif ou non. Ce risque établit en quelque sorte des limites et des règles nouvelles.
Il met en lumière le fait que notre santé est fragile. Or notre santé est aussi agressée par des risques sanitaires que nous n’identifiions pas tous comme tels : les risques climatiques, les risques naturels, les risques alimentaires.
Cette gestion des risques va être au cœur du tourisme et des voyages. Et objectivement elle l’est déjà.
Les touristes vont-ils braver le risque du virus, même sous contrôle, sans avoir une bonne raison de le faire et avec l’assurance de la mise en œuvre de règles sanitaires ?
Aussi il n’est pas temps de se poser la question des destinations estivales qui seront choisies pour les vacances, maintenant nous savons que ce sera en France et dans les pays européens qui l’autoriseront. La seule question qui se pose, est « où partir ? » et comment assurer sa sécurité sanitaire tout en ayant quelque chose à faire, et dans cet ordre.
Soyons réaliste, partir en vacances sera vécu par ceux qui auront cette chance comme une « parenthèse » et non comme une page tournée.
Bien sûr les vacances dans la famille et chez des proches vont être plébiscitées. Elles répondent positivement, a priori et en même temps, aux trois questions. Et même à la dernière qui, après cette période de confinement apporte l’essentiel : la convivialité, l’amitié et l’amour ! Ces vacances vont être aussi une demande de reconnexion en ayant en tête que le virus ne sera pas vaincu et que la fête ne peut pas en célébrer la disparition.
Les autorités territoriales et les entreprises doivent collectivement et individuellement répondre à ces 3 questions : où ? comment ? et pour quoi ?
Soyons réaliste, partir en vacances sera vécu par ceux qui auront cette chance comme une « parenthèse » et non comme une page tournée.
Dès septembre, après l’expérience estivale, le sujet « Tourisme et Voyages » va retrouver les interrogations que nous avons soulevées. Entre temps, les règles, dispositions, lois qui auront été mises en place seront passées au crible de la réalité et feront l’objet d’adaptations. En même temps aussi, les mesures d’accompagnement auront été définies et appliquées.
On constate la mise sous conditions, des aides qui sont accordées à l’instar de celles que le gouvernement français demande à Air France. Il y a donc bien une double transformation à effectuer, celle de la cohabitation avec le virus et celle avec les mutations climatiques. On voit bien que cette double évolution touche à la nature de l’offre touristique.
Résumons les contraintes : règles sanitaires, décarbonisation, alimentation localisée et plus saine, santé, revenu disponible, taxes vont faire pression sur les budgets voyages.
La demande va vraisemblablement imprimer un troisième niveau de transformation, car outre l’exigence sanitaire et d’empreinte climatique plus sobre, elle va subir de nouvelles contraintes. En particulier celles qui ont trait au pouvoir d’achat et à l’épargne. Le revenu disponible pour les loisirs a toutes les raisons d’être plus limité, au moins dans un premier temps, car mis en compétition avec d’autres postes budgétaires dont celui de l’alimentation, de la santé, de l’aménagement et l’équipement des foyers.
Résumons les contraintes : règles sanitaires, décarbonisation, alimentation localisée et plus saine, santé, revenu disponible, taxes vont faire pression sur les budgets voyages.
Dans une excellente interview dans L’Echo touristique, Jean-François Rial annonce un renchérissement des prestations touristiques sous l’effet de nouvelles taxes et de nouvelles contraintes. Et il a raison.
Les prix peuvent augmenter aussi par l’effet de la relocalisation de la production, et par une plus grande pression sur la répartition de la valeur « wallet share » entre les prestations réceptives et les autres.
Ce dernier point est loin d’être négligeable, un vent de justice et d’équité a déjà amené à des revendications de cette nature dans plusieurs pays de la planète. Derrière l’idée de relocalisation, la préoccupation économique est au moins aussi forte que celle de la souveraineté. Disons même qu’elles se renforcent l’une l’autre.
Les coûts vont être mis sous pression par une dédensification des facteurs de production. A court terme c’est certain, avec des unités d’hébergement moins importantes, des surfaces privatives plus grandes, moins de sièges dans les transports, des salles de restauration ou des terrasses moins densifiées, des règles sinon de distanciation au moins de densité maîtrisée dans les rassemblements, des obligations de contrôle sanitaire et d’hygiène plus drastiques. Mais ces règles, obligatoires aujourd’hui, vont peser sur les futurs standards et attente des clients.
Des compagnies américaines proposent de libérer le siège central et d’en faire partager le coût aux passagers adjacents, si ce n’est pas une augmentation des prix, comment la nommer ?
Un effet yield peut rebattre les équilibres tarifaires.
L’effet du télétravail, la banalisation des réunions à distance, la formation digitalisée, va avoir comme conséquence de diminuer une des sources des voyages professionnels, les voyages intra-entreprises. Ce simple facteur va diminuer la part de la haute contribution, restructurer le mix tarifaire et donc va peser sur la basse contribution dans les transports et dans l’hôtellerie. Dans ces conditions, une augmentation des tarifs loisirs et touristiques est inéluctable sans transformation en profondeur de l’offre.
La contraction du marché est inévitable. Il faut s’y préparer.
En même temps, Jean-François Rial le souligne, pour faire face aux nouveaux investissements de transformation, de nouvelles taxes verront le jour ou seront réajustées en fonction de critères environnementaux. On peut rajouter que les besoins d’investissements publics peuvent faire pression sur les taxes de séjour ou les coûts de visas.
C’est donc un effet de ciseaux qui est à craindre, baisse du revenu disponible pour les loisirs et les vacances par choix ou par contraintes, augmentation des prix des prestations touristiques et de voyages.
Le scénario le plus probable est donc un effet d’élasticité tarifaire et la baisse de la demande.
La contraction du marché est inévitable. Il faut s’y préparer.
Alors oui, à ceux qui pensent que tout redeviendra comme avant, à coup de, « on ne les changera pas », « ils vont oublier » et, pourquoi pas « embrassons-nous folle ville », je dirais tout simplement que, ne rien changer, ne rien inventer, ne rien partager est tout simplement irresponsable.
Et pourtant, il va falloir être imaginatif pour permettre à tous de continuer à voyager moins souvent, plus longtemps, plus près, plus raisonnablement, mais voyager quand même, avec un modèle économique viable.
Si les fonds publics doivent être utilisés en pleine crise pour conserver un potentiel de production et de consommation, à coup de milliers de milliards d’Euros ou de Dollars, on peut imaginer que cette manne aura une fin.
Mais la transformation de l’offre va réclamer aussi des milliers de milliards d’argent dans toute la planète et sur de nombreux secteurs. Pour le tourisme, Thierry Breton parle de Plan Marshall au niveau européen et il a raison. La ligne de crête est pointue, trop dépenser dans la pérennité retarde ou empêche d’investir dans la mutation.
Nous devons aussi ne pas reconstruire une fracture touristique. En effet, le tourisme de masse n’est pas toujours un tourisme pour tous mais il l’est souvent. Lutter contre le surtourisme ne doit pas aboutir à le supprimer.
Ceux qui le peuvent vont continuer à voyager avec des budgets plus importants, qui permettront aussi de financer les investissements de transformation et ainsi maintenir leur capacité de voyager. Mais il faut que le plus grand nombre puisse avoir accès aux voyages. Qui va payer ? Qui peut payer ?
Pour le tourisme social, il y a un modèle à réinventer après les différents retraits des collectivités et des CSE. Il n’est pas forcément nécessaire de subventionner des voyages lointains ou l’implantation de compagnies low cost alors que les villages de vacances ne sont plus aux normes, que les colonies de vacances et les classes de neige sont en déshérence.
Cette révolution a deux piliers : l’innovation et l’investissement.
Gageons que la révolution du tourisme va devoir s’intéresser de très près au fameux « droit aux voyages ». Aujourd’hui, il faut être capable d’offrir des prestations de qualité en quantité suffisante pour ne pas renvoyer les « petits budgets » dans la fracture touristique ou dans le tourisme « virtuel ».
Cette révolution a deux piliers : l’innovation et l’investissement. Je ne suis pas inquiet pour la capacité de financement de la réinvention du tourisme haut de gamme. Il peut s’adapter et il trouvera une demande solvable, même si, lui non plus, n’échappe pas à une transformation en profondeur. Je suis beaucoup plus inquiet concernant le tourisme pour tous qui est la base du tourisme territorial. Car l’offre est en grande partie obsolète en regard des pressions qui pèsent sur elle, les investissements même de maintenance sont insuffisants, les opérateurs ne dégagent pas les marges suffisantes, la saisonnalité est trop forte et l’exploitation est contrainte. Des formes de renouvellement par exemple « hostels », hôtellerie de plein air, tout l’univers de l’économie du partage, disposent déjà de solutions mais au prix d’une densité à revisiter. Les autres secteurs doivent aussi se réinventer par l’innovation… et l’investissement.
En conclusion, la transformation du secteur est la clé de voute de rebond de cette crise à fragmentation multiples. Si utopie il y a, et il y a forcément une utopie dans toute mutation, elle consiste à prendre chaque problème en se posant trois questions : est-ce durable ? Est-ce utile ? Est-ce viable ? et y répondre en même temps avec la même détermination.
A World For Travel est l’occasion de porter des contributions, de les agréger, de les évaluer, de les faire connaître.
A World For Travel est le forum de la transformation lucide, progressive, inclusive. Il s’adresse à toutes les entreprises du secteur du tourisme et des secteurs qui construisent l’offre touristique ou y concourent, aux institutions, aux collectivités, aux destinations, aux associations et aux ONG, aux experts, qui sont les parties-prenantes du tourisme et des voyages car tout est lié : l’économique, l’environnemental, la sécurité, les régulations, la répartition de la valeur, le financement, le social, la cohésion, le partage et les habitants.
Posons-nous la question de l’efficacité de micro-révolutions de chaque typologie de partie-prenante chacune dans son corner, sans échanges et coordination. La production et la consommation touristiques sont fragmentées et même éparpillées. Il faut des jardiniers pour en établir l’harmonie.
Christian Delom, secrétaire général de A World For Travel
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