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Cyril Aouizerate (Mob Hotel) : « Pour moi, c’est la fin du tourisme, peut-être le début du voyage »

Il porte un regard bien particulier sur son métier. Fondateur de Mob Hotel et de Mob House, Cyril Aouizerate a fait de ses hôtels de véritables laboratoires d’expérimentation pour réinventer l’hospitalité. Rencontre à l’occasion de la sortie de son livre, cosigné avec la philosophe Gabrielle Halpern.

L’hôtellerie, c’est un peu comme la philo : une histoire de concepts. Et des concepts qui ont poussé le secteur à faire son introspection, Cyril Aouizerate en a quelques-uns à son actif. Aux côtés des Trigano et de Philippe Starck, il a fait partie de l’aventure Mama Shelter. A l’époque, imposer cet ovni dans le paysage hôtelier n’a rien d’une évidence : plus d’une porte ont été claquées au nez des « Papa Shelter ». On connaît la suite. L’engouement pour ces hôtels pas comme les autres, qui ont rapidement fait des émules. 

En 2014, Cyril Aouizerate vend ses parts et commence à réfléchir au « projet de sa vie » : Mob Hotel. Un concept qu’il définit alors à mi-chemin « entre l’hôtel urbain et le monastère laïc ». Le projet a des allures de manifeste pour ce philosophe de formation qui dans les murs d’une première adresse à Saint-Ouen veut aussi incarner des convictions.

Une approche « humaniste » désormais consignée dans un livre, « Penser l’hospitalité », fruit d’un dialogue avec la philosophe Gabrielle Halpern, dont le travail porte sur la notion d’hybridation. « Compte tenu de l’époque que nous vivons, le sujet de l’hospitalité au sens large va s’imposer à nous, pense Cyril Aouizerate. Qu’on le veuille ou non, cette question va frapper à la porte de l’Histoire et il est temps qu’on y réfléchisse. Sans naïveté, sans morale, mais il faut y réfléchir. » « Et si un hôtel était plus qu’un hôtel ? », interroge en effet le livre. S’il avait un rôle à jouer pour repenser la ville, faire revivre les territoires ruraux, créer du lien… L’hybridation, Cyril Aouizerate en a aussi fait un fil conducteur. Ses hôtels poussent dans des territoires en mutation, les portes sont ouvertes aux habitants du quartier. Des associations, des écoles ou des entreprises peuvent y être hébergées, les lieux vivent au fil de nombreux événements réunissant hôtes et curieux de tous horizons.

Penser l’hospitalité, Cyril Aouizerate et Gabrielle Halpern, éditions de l’Aube, collection Hybridations, 160 pages, 17,50 euros.

Un projet d’hôtel indépendant en énergie 

Réinventer une certaine philosophie du tourisme, Cyril Aouizerate veut donc s’y employer. Pas toujours simple pour autant de faire cohabiter ses convictions avec les contraintes d’un chef d’entreprise. Surtout après avoir essuyé pareille crise. L’engagement d’une restauration 100% bio – les trois hôtels Mob sont les seuls hôtels en Europe à être certifiés en agriculture biologique – a bien failli être emporté par le Covid. Pour gagner en marge après une si longue crise, l’idée lui a en tout cas été soufflée à l’oreille. « Cette position a tenu cinq secondes, raconte Cyril Aouizerate. On ne va pas lâcher ce qui est pour nous une des bases fondamentales de ce que l’on veut défendre. »

L’objectif est au contraire d’aller plus loin. Au Mob House, qui a ouvert ses portes début 2022, les matériaux des chambres ont été biosourcés. « Maintenant, nous étudions la question de l’indépendance énergétique », explique Cyril Aouizerate. Un projet d’hôtel 100% indépendant au niveau énergétique doit même voir le jour aux Etats-Unis, sur Governors Island, petite île au sud de Manhattan et de Brooklyn. L’hôtel d’une soixantaine de chambres produira toute l’énergie dont il a besoin grâce au photovoltaïque et à l’hydraulique. « Nous sommes au début d’un tournant, analyse Cyril Aouizerate, un tournant compliqué à prendre parce qu’on ne voit pas ce qu’il y a de l’autre côté. Mais il faut y aller et se lancer. Faire comme s’il ne se passait rien dans le monde et continuer à créer des hôtels comme dans les années 70, je ne crois pas que ce soit la matrice qu’il faille développer face aux enjeux que nous aurons à affronter dans notre métier. »

A ses yeux, la donne du tourisme mondial va radicalement changer. « Pour moi c’est la fin du tourisme et peut-être le début du voyage, lance-t-il. Je le résume par une phrase un peu lapidaire mais j’y crois vraiment. » La fin de l’avion, aussi ? Avec seulement quatre vols autorisés dans une vie, pour reprendre la proposition choc de Jean-Marc Jancovici ? « S’il dit ça pour susciter un débat, c’est intéressant. Mais si c’est fait de façon inquisitoire, c’est différent », tranche Cyril Aouizerate, se refusant à tout « catéchisme écologique ». Depuis la crise sanitaire, il a tout de même décidé de limiter les trajets en avion, optant quand c’est possible pour le train. Pour aller suivre un projet en cours de développement à Cannes, par exemple. « Je passe cinq heures dans le train, je travaille… Après, ça reste la SNCF », lâche-t-il, fustigeant les insuffisances des transports, qu’ils soient ferroviaires ou urbains. Demander aux gens de moins prendre l’avion ou la voiture, d’accord. Mais encore faut-il leur proposer des alternatives sérieuses si on ne veut pas être uniquement dans la punition.

« Dans les années qui viennent, il va y avoir un rééquilibrage des coûts de transport, de voyage, prédit Cyril Aouizerate. L’avion va redevenir un mode de transport pour l’élite, comme c’était le cas au début de son histoire et le reste de la population, y compris occidentale, voyagera moins loin. Les Européens voyageront surtout en Europe. Mais comme je le dis souvent, si à la fin de votre vie vous avez vu la Norvège, la Suède, jusqu’à la pointe de la Turquie, en passant par l’Italie, l’Espagne, c’est déjà pas mal comme voyage ! Les gens s’accorderont peut-être une ou deux fois dans leur vie un voyage lointain, mais dans ce cas ils resteront alors un mois ou plus. L’idée du voyage à Punta Cana pour aller boire des cocktails, je n’y crois plus. »

Un nouveau concept de franchise

D’ailleurs, il développe un nouveau concept aux antipodes des vacances les pieds dans le sable.  On y aura plutôt les mains dans la terre. Un futur « Terre Mob » doit s’implanter dans le parc naturel de la Haute Vallée de Chevreuse, dans les Yvelines. « On sera dans de l’hôtellerie rurale, presque de l’hôtellerie paysanne, avec cette idée d’immersion totale dans des prairies, avec de l’élevage, du maraîchage… » « C’est un projet compliqué parce qu’il faut obtenir beaucoup de validations, de la préfecture, du parc naturel, de la mairie. Mais finalement, c’est assez rassurant que ce soit compliqué. Parce que ça veut dire que les autorités ont compris qu’on ne pouvait pas faire n’importe quoi. »

De nouveaux Mob doivent aussi voir le jour, avec à Cannes un projet très culturel engagé autour de la question du film documentaire. Un autre hôtel ouvrira à Bordeaux, pas très loin du quartier Darwin, lieu alternatif de la rive droite.

Et Cyril Aouizerate mûrit toujours son projet de coopérative hôtelière, qui devrait se concrétiser quand le groupe comptera suffisamment d’établissements. « Nous avons l’idée de créer un mix entre une franchise éthique et une coopérative », détaille Cyril Aouizerate. « Notre volonté est de repenser la question de la franchise qui ne soit pas une vache à lait pour le franchiseur. Mais pour cela, il faut qu’on ait plusieurs hôtels Mob pour qu’on puisse entraîner des désirs, même si déjà beaucoup de gens nous appellent parce qu’ils veulent une franchise Mob. Pour le moment, nous refusons. » Le projet pourrait aboutir à l’horizon 2024. Et donner le coup d’envoi d’un changement d’échelle pour Mob.

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1 commentaire
  1. Violier dit

    Article intéressant mais est-il utile de réveiller la vieille dichotomie (voyageur/touriste) déjà sérieusement mise à mal par JD Urbain dans l’idiot du voyage…

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