« Ce n’est pas du tout insultant d’aller passer un week-end en camping » – Sébastien Manceau (Homair)
Innovation, diversification des services, stratégie de conquête de nouvelles clientèles, politique de marques…, Sébastien Manceau, président d’European Camping Group (ECG), évoque les enjeux d’une industrie en pleine transformation.
L’Écho touristique : Où en est European Camping Group aujourd’hui ?
Sébastien Manceau : ECG regroupe plus de 450 destinations à travers l’Europe, avec 107 campings en propre, exploités sous les marques Marvilla Parks et Tohapi, et un réseau de près de 350 campings partenaires commercialisés sous la marque Homair, notre marque historique. Nous accueillons chaque année trois millions de vacanciers, dont 44% de Français, 20% de Britanniques, 20% de Néerlandais et 12% d’Allemands. Le groupe a doublé de taille en 2023, notamment grâce à l’acquisition de Vacanceselect.
Depuis la période Covid, nous avons triplé notre rentabilité, pour atteindre un chiffre d’affaires global d’environ 700 millions d’euros. En 2025, nous sommes déjà au-dessus des niveaux de 2024, mais nous ne communiquons pas nos chiffres. Pour vivre heureux, vivons cachés. C’est une vraie culture d’entreprise.
Au total, nous disposons de 44 000 hébergements (mobil-homes, chalets, lodges, tipis, cabanes perchées…) et de 56 000 emplacements nus, à la mer, la montagne, à campagne, et même en ville.
Le camping capte 50% de la croissance de ces quinze dernières années.
Vous dites que le camping prend des parts de marché sur d’autres segments touristiques ?
Sébastien Manceau : Oui, très clairement. Le camping représente aujourd’hui 30% des nuitées en France, mais il capte 50% de la croissance de ces quinze dernières années. Nous attirons désormais des vacanciers issus d’autres segments comme l’hôtellerie ou les villages vacances. Le camping s’impose comme une alternative moderne, flexible et attractive, adaptée aux nouvelles attentes.
Comment expliquez-vous cette évolution du secteur ?
Sébastien Manceau : Le secteur du camping est un véritable pionnier. Il innove en permanence, que ce soit dans les infrastructures, la digitalisation de l’expérience client ou la diversification des services. Cette capacité d’innovation mérite davantage de reconnaissance dans l’industrie touristique.
Il y a aujourd’hui un véritable enjeu de désirabilité autour du camping. Ce n’est pas du tout insultant d’aller passer un week-end en camping. On ne parle pas encore assez de ce secteur dans les médias, même si les choses évoluent. C’est un univers qui mérite clairement une autre forme de regard, car il est à la fois moderne, accessible et profondément innovant — qu’il s’agisse d’acteurs indépendants ou de grandes marques.
La période post-Covid nous a clairement servi. Beaucoup de gens qui ne pouvaient pas partir à l’étranger en 2020-2021 ont découvert le camping. Et une fois qu’on y a goûté, on y revient. Cela ne veut pas dire que nos clients sont exclusifs du camping, au contraire. Ils vont aussi à l’hôtel, consomment du Airbnb, testent des parcs d’attractions… Le camping devient un format parmi d’autres, mais auquel on revient volontiers.
Notre grand défi, c’est désormais d’aller chercher une nouvelle clientèle, plus jeune comme celle de la génération Z, plus internationale ou habituée à d’autres formats, sans perdre notre clientèle historique, très fidèle.
Je préfère parler de montée en confort plutôt que de montée en gamme.
Vous parlez souvent de montée en gamme. Que mettez-vous derrière ce terme ?
Sébastien Manceau : Je préfère parler de montée en confort plutôt que de montée en gamme. Les attentes évoluent : les clients recherchent aujourd’hui un niveau de confort supérieur, sans pour autant renier l’ADN du camping. Nous travaillons sur tous les éléments du mobil-home : la qualité de la literie, les espaces intérieurs, la salle d’eau, les cuisines. Le confort passe aussi par des éléments comme les terrasses, de plus en plus soignées, ou encore l’ajout de cuisines extérieures. Nous avons passé beaucoup de temps à améliorer nos matelas, qui se rapprochent désormais du niveau de l’hôtellerie.
Le mobil-home a évolué : il est aujourd’hui mieux isolé, plus spacieux, plus fini, plus confortable. On commence même à les habiller, à les décorer avec des tableaux, à thématiser les ambiances. À Port-Grimaud dans l’Hérault, par exemple, nous testons une cuisine extérieure, une grande parcelle végétalisée, ou encore une console de jeux dans un tipi. Le camping n’est plus fonctionnel. Il est expérientiel.

À qui s’adresse aujourd’hui l’offre d’European Camping Group ?
Sébastien Manceau : Nos clients, ce sont d’abord les familles. Elles représentent 70% de notre clientèle. C’est notre cœur historique, et nous continuons de les servir avec beaucoup d’attention.
Mais nous avons aussi besoin d’élargir notre audience et d’aller chercher d’autres typologies de clientèles. Il y a la clientèle de demain – plus jeune, plus connectée – que nous séduisons avec des offres thématisées, des services digitaux, des expériences immersives.
Il y a aussi les seniors et les retraités, une cible qui demeure importante. On leur offre du confort dans les mobil-homes, des périodes hors saison – juin, septembre – qui leur permettent de profiter pleinement de l’expérience dans un cadre paisible.
Sur la partie séminaire, nous faisons déjà +35 % de chiffre d’affaires par rapport à l’an dernier.
Vous développez aussi une offre pour des clientèles non loisirs, dites-nous-en plus ?
Sébastien Manceau : Oui, au-delà du tourisme familial ou classique, nous nous adressons de plus en plus aux professionnels, aux groupes ou aux organisateurs d’événements. C’est pourquoi nous avons lancé récemment Homair Events, une marque dédiée à cette activité. L’idée est d’avoir un point d’entrée unique, avec des équipes organisées autour de cette offre.
On peut accueillir des séminaires d’entreprise – de 20 à 300 personnes – mais aussi des cousinades, des événements familiaux, ou encore des stages de clubs sportifs. En basse saison, nos infrastructures sont disponibles et parfaitement adaptées.
C’est un axe stratégique important pour nous. D’ailleurs, sur la partie séminaire, nous faisons déjà +35 % de chiffre d’affaires par rapport à l’an dernier.
Quels sont les autres axes de votre stratégie ?
Sébastien Manceau : Nous voulons consolider nos positions en France et à l’international, améliorer l’expérience client grâce au digital, et continuer à innover dans l’offre de services : thématisation, restauration, digitalisation du séjour… Notre objectif est de faire du camping un réflexe de vacances pour tous. Nos clients, même en pleine nature, attendent d’être connectés. Cela suppose du Wifi de qualité, des applications pour le check-in en ligne, la consultation du programme, du plan du camping… On doit s’inspirer de tout ce qui se passe dans la vie quotidienne pour faire évoluer notre produit. C’est à nous d’être force de proposition.
L’arrivée d’un nouvel actionnaire est un bon signal pour le tourisme et le camping.
Un fonds souverain d’Abu Dhabi s’apprête à entrer au capital. Pourquoi ?
Sébastien Manceau : Le fonds a signé, mais ce n’est pas encore closé. Je pense que cela sera officiel mi-mai. Il s’agit d’une participation minoritaire, mais importante. Le principal investisseur demeure PAI Partners. Dans l’histoire d’ECG, il y a toujours eu des minoritaires. Un majoritaire qui fait entrer un minoritaire, c’est la troisième fois que cela nous arrive. L’arrivée d’un nouvel actionnaire est un bon signal pour le tourisme et le camping. Voir un fonds aussi important, très sollicité à l’échelle mondiale, s’intéresser à notre secteur, c’est très encourageant pour l’industrie et pour la France. Cela nous aide aussi à continuer notre développement.
Nous voulons continuer à consolider le marché de l’hôtellerie de plein air en Europe.
Cette arrivée va-t-elle soutenir vos ambitions de croissance externe ?
Sébastien Manceau : Oui, clairement. Nous voulons continuer à consolider le marché de l’hôtellerie de plein air en Europe. Notre cible ne se limite pas à la France. Nous avons déjà acquis sept campings indépendants cette année, et nous regardons de plus en plus l’Espagne et l’Italie. Nous réalisons entre cinq et dix acquisitions par an, que ce soit des campings indépendants ou de petites plateformes. Le secteur est encore très fragmenté. En France, il y a environ 7 500 campings. Les groupes intégrés comme Sandaya, Capfun ou nous-mêmes n’en représentent qu’environ 800, soit 11%. Même en ajoutant les franchisés, on reste loin d’un marché concentré. Il y a donc encore beaucoup de place pour la consolidation, et nous voulons être un acteur moteur dans ce mouvement.
Et dans les autres pays européens ?
Sébastien Manceau : Prenez l’Espagne : on y recense environ 1 300 campings. Les groupes n’en possèdent souvent pas plus de 100. Il y a donc un potentiel énorme. Nous sommes résolument européens. La langue du groupe est l’anglais, même si notre siège reste à Aix-en-Provence. L’objectif est de construire un leader européen structuré, capable d’accompagner cette mutation du camping vers plus de confort, plus d’expérience, et plus de services.

On est encore loin de la notoriété d’un Belambra, ou d’un Pierre & Vacances / Center Parcs.
Vous préparez une réduction du nombre de marques d’ECG. Pourquoi ce choix ?
Sébastien Manceau : La notoriété des marques dans le camping reste encore faible, même pour les leaders. Au lieu de huit, nous allons concentrer nos forces sur trois ou quatre marques puissantes à l’échelle européenne. Parmi elles, Homair, notre marque historique, créée il y a 35 ans, et qui bénéficie d’une forte reconnaissance en France. Cette stratégie permettra de renforcer la visibilité, la clarté de l’offre et l’efficacité marketing, tout en gardant un positionnement clair sur chaque marché. Ce chantier va s’accélérer dès l’année prochaine.
Il y a un vrai enjeu, dans notre secteur, à faire émerger des marques qui soient connues dans le camping… mais aussi au-delà du camping. Si vous interrogez les gens dans la rue, la marque la plus connue sera peut-être citée par 4 ou 5% des personnes. On est encore loin de la notoriété d’un Belambra, ou d’un Pierre & Vacances / Center Parcs.
C’est tout l’enjeu de la consolidation de nos marques : créer des références fortes, capables de parler à un public plus large, européen, et de gagner en visibilité sur un marché encore trop fragmenté.
Comment le groupe aborde-t-il les enjeux RSE et environnementaux ?
Sébastien Manceau : Notre engagement est « natif » : nous sommes dans la nature, donc très attentifs à l’impact environnemental. Nous visons 100 % de campings labellisés Clé Verte sous trois ans, et avons des objectifs de réduction de la consommation d’eau. L’IA est également intégrée pour optimiser nos opérations et améliorer l’expérience client. Nous investissons massivement dans nos campings, avec des efforts importants, même si nous ne communiquons pas nos chiffres. C’est très significatif.
Le camping devient un segment phare du tourisme européen, moderne, expérientiel et accessible. Le secteur va continuer à se segmenter, pour répondre avec précision aux différents besoins des clients. Il y a encore beaucoup de choses à inventer dans ce secteur. L’arrivée de nouveaux investisseurs confirme cette dynamique, et nous allons continuer à croître, en France comme à l’international.