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Responsabilité de plein droit : Alain Capestan annonce un recours au Conseil d’Etat

 » En réponse notamment à la réaction de Bruno Le Maire, ministre de l'Economie, Alain Capestan dresse un réquisitoire contre les abus et effets pervers induits par la responsabilité de plein droit. L'Echo touristique publie 

 

 

 

"Responsabilité de plein droit : Bruno Le Maire condamne de fait  les agents de voyages !" Par Alain Capestan, directeur général du groupe Voyageurs du Monde.

Les agents de voyages sont soumis à une règlementation très stricte. Dans l’immense majorité des pays européens, ils sont soumis à une responsabilité pour faute sauf en France et au Danemark, où les gouvernements ont transposé l’ancienne directive sur les voyages à forfait de 1992 en instaurant une "responsabilité de plein droit". Voilà une drôle de bestiole comme aiment en inventer les juristes. Concrètement, cela signifie qu’il est inutile de démontrer une faute, l’agent de voyages est systématiquement considéré responsable, pas nécessairement coupable, mais responsable, quoi qu’il arrive. En clair, il doit indemniser quelle que soit l’origine du problème. Cette situation a conduit à d’importantes dérives consuméristes dont la profession se fait l’écho depuis des années. Avec la nouvelle directive on pouvait  attendre une évolution positive sur ce sujet, on avait une belle occasion d’arrêter le jeu de massacre, pourvu que l’on trouva quelqu’un avec un peu de courage !

Aux voyagistes qui demandaient l’abandon de la responsabilité de plein droit comme le prévoit la nouvelle directive européenne, Bruno Le Maire a répondu :

"Nous avons fait le choix de la protection du consommateur". "On vous a promis une chambre magnifique, vue sur mer et vous vous retrouvez dans un cagibi vue sur le parking, la responsabilité du voyagiste est engagée de plein droit" et d’ajouter "nous ne risquons aucune contradiction avec le droit européen" et "nous ne risquons aucune distorsion de concurrence non plus". (1)

Monsieur Le Maire a tort ! Tort sur la forme comme sur le fond ! Tort sur la protection du consommateur comme en droit et en équité !

Il a tort sur la forme tout d’abord, en faisant  une présentation tronquée de la responsabilité de plein droit et en l’illustrant par un exemple trivial, réducteur et caricatural,  en l’espèce "le cagibi avec vue sur parking". Cela fait bien 15 ans qu’on ne nous l’avait pas sortie, celle-là. Cela introduit un élément inutilement polémique et populiste dans le débat, mais cela  fait mouche pour sauver les apparences.  

Le ministre a tort également sur le fond. Le problème posé par la responsabilité de plein droit ne concerne pas les prestations elles-mêmes mais des problématiques tout autres. Le cas d’accidents corporels tout d’abord, pour lesquels  les juges utilisent la responsabilité de plein droit pour condamner l’agent de voyage malgré l’absence manifeste et évidente de responsabilité. Par exemple lorsque que le client ivre d’un hôtel  plonge dans le petit bain de la piscine ; ou encore lorsqu’un client, lors d'un cours de ski, se blesse en heurtant un arbre ou se foule la cheville en ratant la marche de l’escalier de l’hôtel. On en a même vu obtenir une indemnisation parce que leur enfant qui sautait sur le lit devant eux s’est cassé le bras en retombant sur le sol, les ressorts du matelas étaient sûrement un peu trop vifs ! Les agents de voyages sont régulièrement condamnés par les tribunaux pour les faits dont ils ne sont concrètement pas responsables au seul motif de l’existence de cette responsabilité de plein droit.

La conséquence est double. D’une part cette situation incite certains consommateurs indélicats à intenter des actions judiciaires sans cause réelle mais avec malgré tout, de bonnes chances d’aboutir et d’autre part, cela rend de plus en plus complexe la possibilité pour les agents de voyage de s’assurer, et en toute hypothèse à des prix prohibitifs. D’autre part, la responsabilité de plein droit conduit les juges à ne jamais appliquer dans la pratique les cas traditionnellement exonératoires de responsabilité, comme la  force majeure, par exemple. Aucune activité économique n’est tenue pour responsable en cas de force majeure sauf celle des agents de voyages, le cas du volcan islandais entré en éruption  reste dans toutes les mémoires. L’agent de voyage assiste son client, il l’aide, change les réservations, trouve d’autres hébergements, d’autres moyens de transports, pourquoi devrait il être responsable des conséquences d’une catastrophe naturelle qui lui échappe totalement ? La réponse est simple : c’est en raison de l’existence de la responsabilité de plein droit !

Monsieur Le Maire a tort sur le terrain de la protection du consommateur. Car on ne protège pas les consommateurs en permettant des abus à certains d’entre eux et en en faisant supporter le coût aux autres. On ne protège pas non plus le consommateur en le rendant irresponsable de ses actes, pas plus qu’on ne le protège en faisant fuir les assureurs de ce métier. Et enfin, on ne protège pas le consommateur en l’incitant pour des questions de coût à acheter moins cher, en direct localement et, de ce fait,  sans aucune protection du tout.

Monsieur le ministre a tort en droit et en équité car cette directive est européenne et elle s’impose à tous les états membres et donc à la France aussi. La directive ne prévoit pas de responsabilité de plein droit car elle a déjà renforcé considérablement la protection du consommateur sur de nombreux autres sujets. Maintenir cette responsabilité de plein droit déséquilibrerait le texte et bien sûr créerait une distorsion de concurrence importante.  Enfin, le texte même de la directive prévoit très explicitement dans son article 4 que "les états membres s’abstiendront de maintenir ou d’introduire des dispositions s‘écartant de celles fixées par la directive notamment des dispositions plus strictes".

Monsieur Le Maire a tort aussi sur le terrain économique. La responsabilité de plein droit est un parpaing accroché aux pieds des agents de voyages français. Elle crée une distorsion importante de concurrence en augmentant le coût de production des voyages conçus par les opérateurs français, favorisant ainsi la désintermédiation, c’est-à-dire l’achat des prestations directement auprès d’opérateurs locaux hors UE et donc sans aucune protection du consommateur. La surprotection du consommateur, en raison de son coût économique va, paradoxalement, à l’inverse du but qu’elle recherche.

Les errements consuméristes visant à déresponsabiliser les consommateurs sont globalement néfastes pour la société toute entière. Ils créent des mirages contribuant à infantiliser le client en l’entretenant dans l’illusion d’une protection bienveillante des institutions. C’est un principe dangereux car il se heurte immanquablement aux réalités économiques, en créant autant de frustration pour les institutions elles-mêmes, que pour les entreprises qui évoluent sur le secteur d’activité concerné et pour le consommateur, qui finalement se détourne.  

Pour toutes ces raisons, le groupe Voyageurs du Monde accompagné des instances représentatives de la profession (Seto et EDV)  introduit un recours au Conseil d’Etat contre la transposition et, si cela ne suffit pas, un contentieux devant la justice Européenne.

(1) Extrait du Compte-rendu de la 1ere séance de l’assemblée nationale du 25/10/2017.

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