Les compagnies de croisières signent une nouvelle charte pour la décarbonation
En marge de la récente conférence de l’ONU sur l’Océan à Nice, la France et Monaco ont signé une nouvelle charte pour une croisière durable en Méditerranée.
La Côte d’Azur était en ébullition ces derniers jours, avec la tenue de la troisième conférence des Nations Unies sur l’Océan à Nice, du 9 au 13 juin. Le gouvernement a profité de cette effervescence pour entériner un projet ambitieux pour le secteur du tourisme maritime. Le 7 juin, en parallèle du sommet sur les villes côtières, le ministre des Transports Philippe Tabarot et Céline Caron-Dagioni, ministre de l’Équipement, de l’Environnement et de l’Urbanisme de Monaco, ont signé la dernière version renforcée de la Charte croisière durable Méditerranée 2025.
La veille, plusieurs armateurs européens se sont retrouvés à Marseille pour ratifier ce document. Parmi eux : Ponant, Orient Express Sailing Yachts, Norwegian Cruise Line, et MSC Croisières, leader du marché français. D’autres géants du secteur comme Costa ou Royal Caribbean, propriétaire des mastodontes Harmony of the Seas et Symphony of the Seas, devraient signer prochainement.
« Nous sommes ravis d’avoir soutenu cette charte signée au niveau de l’État, cela permettra de faciliter l’harmonisation dans tous les ports du littoral français en Méditerranée », s’enthousiasme Patrick Pourbaix, directeur général de MSC France.
Avec cette première adhésion de la principauté monégasque, le gouvernement espère convaincre d’autres États de les rejoindre. « La charte croisière a été signée avec Monaco et mon souhait est désormais d’engager l’Italie et l’Espagne », confiait le ministre des Transports à Nice Matin, le 10 juin.
Une charte plus stricte, mais toujours sans limite de taille
La nouvelle version 2025 introduit vingt engagements nouveaux ou renforcés, applicables dès le 1ᵉʳ janvier 2026. Elle pousse plus loin les exigences en matière de pollution à quai : raccordement électrique des navires, moteurs conformes aux normes anti-pollution, surveillance des émissions atmosphériques durant les escales, interdiction de rejet d’eaux usées non traitées, réduction du bruit et de la lumière, planification des escales pour limiter le surtourisme…
« Nous voulons une croisière durable, c’est-à-dire qui soit compatible avec les objectifs climatiques européens, mais aussi une croisière qui respecte les ports et les populations locales », confie un proche du ministre. La majorité des nouveaux navires sont aujourd’hui au gaz naturel liquéfié (GNL), considéré comme un carburant de transition. Mais, « il ne faut pas oublier que le GNL reste une énergie fossile. Il émet certes moins de CO₂, mais relâche aussi du méthane, dont l’impact climatique est encore plus fort », souligne Fanny Pointet du bureau France de Transport et Environnement.
MSC en a bien conscience. « Le GNL permet une réduction d’au moins 20% de l’intensité carbone, c’est déjà très bien, mais ce n’est pas encore suffisant. Pour la question du méthane, nous en avons pleinement conscience de la nécessité de trouver des solutions adéquates. Nos ingénieurs y travaillent », explique Patrick Pourbaix. Le groupe souhaite utiliser davantage de bio-GNL, ou d’autres caruburants bio-sourcés mais l’offre reste aujourd’hui marginale. « Nous poussons le gouvernement français à développer ces filières. Cela ferait baisser les prix, et nous pourrions ainsi en utiliser plus massivement ».
L’Europe en tête de la régulation
La charte française pour la durabilité des croisières s’inscrit dans un mouvement plus large, impulsé à l’échelle européenne. Depuis le 1ᵉʳ janvier 2024, le système ETS (Emission Trading System) impose aux compagnies maritimes d’acheter progressivement des quotas carbone pour leurs émissions. Concrètement, cela engage les compagnies maritimes à payer en 2025 40% des émissions de 2024, en 2026, 70% de celles de 2025, puis 100% à partir de 2027. La réglementation vise les émissions de CO₂, mais aussi de méthane et d’oxyde nitreux.
« C’est un levier extrêmement fort pour faire évoluer le modèle économique de la croisière », souligne un collaborateur du ministre. Les recettes de l’ETS permettront en partie de financer la transition écologique. « La France a choisi de réorienter une partie de ces fonds vers la production d’hydrogène vert », ajoute Fanny Pointet.
Vers des croisières zéro émission ?
Dans la trajectoire d’atteindre zéro émission de carbone en 2050 et – 40% d’ici à 2030, MSC Croisières affirme avoir d’ores et déjà réduit de 38% les émissions de carbone de ses navires depuis 2008. « On y arrive en jouant sur de multiples leviers. Par exemple, une peinture spéciale, développée par nos ingénieurs, permet de réduire la résistance à l’eau et d’éviter que les coquillages s’y accrochent. Rien que cela, c’est 10% de carburant économisé », avance Patrick Pourbaix.
La compagnie investit aussi dans des technologies de rupture. Sa marque premium Explora Journeys a commandé six navires. Les deux premiers seront classiques, les deux suivants au GNL, et les derniers – Explora 5 et 6, attendus pour 2027 et 2028 – fonctionneront en mode hybride. « Ils seront équipés de GNL et de piles à combustible à hydrogène, capables de produire 6 mégawatts. Cela couvrira tous les besoins électriques à l’arrêt, pour assurer une escale zéro émission dans n’importe quel port du monde ».
Mais cette transition a un prix. Patrick Pourbaix ne le cache pas : « La contribution aussi par le client est inéluctable. Il n’y a pas de discussion là-dessus. On doit assurer une transition environnementale ». Une augmentation des tarifs qui s’accompagne depuis quelques années d’une « premiumisation » de la compagnie.
Sarah Younan