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Christophe Jacquet (Havas Voyages) : « Nos agents de voyages vont devenir, individuellement, des spécialistes d’une destination »

A la tête du réseau Havas Voyages, Christophe Jacquet est un homme discret. Entre les Gilets jaunes et la crise sanitaire, il gère, depuis son arrivée, une entreprise économiquement bien affectée. Mais, il aime relever les défis, et prépare les 1200 conseillers de l’entreprise à la spécialisation.

Christophe Jacquet, qui êtes-vous ?

Christophe Jacquet (DG de Havas Voyages) : C’est une magnifique question. Qui je suis ? Un homme de 45 ans, père de trois enfants, pris dans une aventure depuis deux ans dans laquelle j’enchaîne les expériences. Un père de famille lyonnais expatrié à Paris depuis près d’une bonne quinzaine d’années. Amoureux des belles choses. Entrepreneur dans l’âme. J’aime relever des défis. Quand c’est monotone, ça ne m’amuse pas. C’est peut-être la raison pour laquelle j’ai eu des aventures différentes dans plusieurs entreprises avant de rejoindre Havas Voyages. Impatient, exigeant avec du cœur, ambitieux, en recherche d’un monde parfait toujours assez inaccessible mais qui invite à se remettre en question tous les jours. Assez idéaliste.

 Idéaliste, vous venez d’un monde qui est un peu différent : la mode, le luxe… Havas c’est le voyage, c’est aussi le voyage d’affaires, l’idéalisme là-dedans ça vient faire quoi ?

Christophe Jacquet : Il y a plein de façons de le voir. Pour moi c’est d’offrir de belles choses à mes clients, de faire toujours mieux que mes concurrents. C’est idéaliser une expérience parfaite, qui est supérieure aux autres, voilà. Pour faire plaisir à nos clients, l’exercice n’est pas simple. Vous me parlez du luxe, de la mode, je suis assez abasourdi de voir qu’on a cette responsabilité aussi dans le voyage. Même s’il y a des voyages haut de gamme, il y a des voyages pas chers. Un voyage pas cher est toujours quasiment proche d’un très beau sac à main d’une marque de luxe. C’est juste un choix d’expérience qui est fait par nos clients, on n’a pas le droit de les décevoir. L’idéalisme, il est là. Il est dans le fait d’être toujours à la hauteur de la confiance qui nous est donnée par nos clients.

Vous parliez également d’un monde parfait. Comment le définissez-vous ?

Christophe Jacquet : Vu le bazar dans lequel nous sommes, ce serait déjà de revenir au monde d’avant, ce qui permettrait à beaucoup de choses de redémarrer. Revenons déjà dans ce monde qui, malgré tout, nous offrait un grand nombre de libertés dans notre quotidien. On est un peu dans le monde de la privation aujourd’hui, dans tout ce qu’on fait. Entrepreneur, on est privé dans l’idée de se développer. Retraité, on est privé de vivre pleinement sa retraite et cloisonné chez soi. Jeune, on est privé de voir ses copains. En famille, quadra comme moi, on est privé d’aller passer des moments doux et reposants avec nos proches. C’est retrouver notre liberté.

Avant de devenir DG, le connaissiez-vous ce monde du voyage et du tourisme ?

Christophe Jacquet : J’étais consommateur du voyage. Je ne le connaissais pas de l’intérieur. J’imaginais le voyage comme tout produit de consommation. Il y a de la production, de la distribution, du conseil. Dans tous ces métiers, on les retrouve. Je ne le diagnostiquais pas. Je le prenais comme il était.

D’accord. Maintenant que vous êtes à l’intérieur, quel est le diagnostic, justement ?

Christophe Jacquet : C’est un monde complexe. Le premier truc qui m’a choqué, c’est de voir le nombre de fois où le terme « compliqué » était utilisé. C’est compliqué d’accéder au produit, de discuter avec les compagnies aériennes et les autres fournisseurs, d’accéder à l’ensemble des contenus… De mon point de vue, ceux qui ont le mieux réussi sont ceux qui ont réussi à simplifier leur métier, leur produit, et qui ont pris des directions très tranchées sur « Suis-je producteur, distributeur ? » « Suis-je un simple agrégateur ? ». Il y a toutes ces très belles start-up qui ont explosé en France, comme Misterfly et Voyage Privé. Un Voyageurs du Monde est très inspirant pour moi. Il est sur une niche en termes de clients mais il y a ce sens de l’exceptionnel dans l’expérience, qui est extrêmement bien traité. Là où une transformation est en train de s’opérer, c’est dans la distribution plus traditionnelle à laquelle nous appartenons. Il est urgent qu’on prenne des virages plus tranchés. Je parle de la partie loisir qui est d’être concentrée sur des produits TO packagés. Le net est un concurrent qui est tiré par le prix, malheureusement. Ce qui me scandalise le plus, c’est de voir certains acteurs casser les prix alors qu’on gagne déjà très peu d’argent sur ce qu’on vend. C’est ça qui est en train de mettre à mal la profession. Certains TO ont été un peu à l’initiative de ça, des acteurs du web le sont aussi. Il faut qu’on arrive à réguler tout ça. Vous faisiez le parallèle avec le luxe tout à l’heure, les produits de luxe ne sont jamais bradés, ça n’existe pas. Charge à chacun de fabriquer son bon produit. Ça peut être compréhensible de ne pas réussir à faire partir quelqu’un une semaine en all inclusive à moins de 700 ou 800 euros. Quand dans certains secteurs, il y a de la création de valeur, nous, on la trouve dégradée. Il faut gagner par la qualité du conseil qu’on apporte. Quand il n’y aura plus de producteurs, on fera comment ? J’ai besoin d’avoir des producteurs qui se portent bien, qu’ils gagnent leur vie. J’ai besoin de gagner ma vie et pour qu’on élève notre service, il faut qu’on ait plus d’argent pour plus investir. C’est ça le cercle vertueux. Qu’on puisse investir plus en média. C’est un peu ça l’idéalisme, ça en fait partie.

Le GIE est une idée de génie.

Le réseau est tourné vers le voyage d’affaires et le loisir, tout en appartenant au groupe Marietton. Comment vous arrivez à travailler sur l’ensemble ?

Christophe Jacquet : Entre le loisir, le Business Travel et chacun de nos métiers ?

Voilà. Et étant, quand même, un peu associé avec Selectour dans la mesure où vous faites partie du GIE Asha…

Christophe Jacquet : Il y a plusieurs sujets. Le GIE est une idée de génie qui nous a permis à la fois de gagner du temps dans les négociations avec nos partenaires et d’optimiser nos revenus. La responsabilité qu’on a, c’est d’apporter les contreparties attendues par nos fournisseurs. Je suis très exigeant sur le fait de trouver un bon équilibre. C’est le sujet du GIE, la centrale d’achat. Ensuite dans l’exécution, Business Travel ou loisir, peu importe. Plusieurs initiatives ont été prises pour spécialiser nos métiers dans notre organisation. Ce sujet, on continue de le travailler de manière à être le plus expert possible sur chacun de nos métiers. On ne peut plus se permettre aujourd’hui chez Havas Voyages de ne pas être un pur spécialiste du voyage loisir d’un côté et un pur spécialiste de l’affaire de l’autre. On est en train d’entreprendre des manœuvres qui vont nous permettre d’avoir une marque, avec des Business Unit ou des centres opérationnels dans lesquels chacun sera spécialisé sur son métier. Sur la marque Havas Voyages, le digital est un sujet extrêmement important. On a peut-être sous-investi pendant des années… La crise du Covid nous a montré une nouvelle fois à quel point c’était essentiel d’être omnicanal. On l’était, mais pas suffisamment. On va réinvestir, quand on sortira de cette crise, très fortement. Aujourd’hui, le visage d’Havas Voyages est celui d’un site e-commerce. Demain, son visage sera le « World of Havas Voyages », le monde d’Havas Voyages, pour présenter de façon plus institutionnelle peut-être le savoir-faire et l’histoire de notre marque. C’est une marque qui date d’avant le XIXe siècle et qui a connu sa première agence en 1932. Elle a toujours été sur le devant de la scène dans son métier. Il y a aussi des verticales nouvelles comme la marque Havas Voyages Sport. On a une ambition très forte sur ce marché, et sur celui des groupes. On est en train de passer de deux petites organisations à une très grosse. Une synergie est en train de s’opérer entre Ailleurs et Havas, pour être plus puissant sur ce segment. D’autant plus qu’un océan s’est ouvert à nous. Déjà avec la faillite de Thomas Cook, il y a un marché énorme qu’il faut qu’on occupe et puis il y a un très gros tour-opérateur qui, je pense, va dans le futur nous laisser un peu plus de place parce que sa politique de prix va être révisée.

Vous parlez de TUI ?

Christophe Jacquet : Je parle de TUI, oui.

Je vous entends parler du futur, par rapport à la situation actuelle, vous le voyez comment ce futur ?

Christophe Jacquet : Je le vois lumineux pour nous quand il arrivera. Parce que d’une part, c’est lié à notre histoire. C’est-à-dire que nous avons une marque qui inspire confiance. Pour la cinquième année consécutive, le magazine Capital nous a redonné la première place en termes de qualité de service dans les réseaux de distribution. Je vois ce futur lumineux parce que cette période de crise qu’on vient de traverser nous a amenés à tous nous rapprocher. Je le vois lumineux parce qu’on a beaucoup de projets qu’on avait dans les cartons. Finalement dans chaque galère, il y a une opportunité. L’opportunité que nous offre cette crise c’est de nous remettre en question et d’achever des projets qu’on n’avait pas le temps de terminer. On a un projet très ambitieux pour la partie loisirs, qui est de renforcer le niveau de spécialisation de chacun de nos collaborateurs dans le réseau. Demain, au-delà d’être des agents de voyages, ils vont devenir individuellement des spécialistes d’une destination du monde. On va changer un peu notre paradigme. On va devenir une entreprise dans laquelle on va créer une solidarité et un travail collaboratif au niveau de nos agences de manière à pouvoir s’assurer qu’en fonction du besoin de chaque client, on puisse toujours lui apporter la meilleure expertise possible sur son projet de voyage -qui peut être dans une autre agence quand le projet est complexe. On est en train de faire évoluer nos outils interne sur le « à la carte ». Je ne peux pas encore vous en parler mais on va se doter de nouveaux outils pour faciliter ce travail pour nos collaborateurs. Sur la partie Business Travel, les sujets vous les connaissez, vous étiez au congrès Selectour dans lequel le sujet de Wonder Booking avait été évoqué. C’est un projet qui va permettre au GIE dans le futur d’être prêt face à tous ces changements NDC qui ont eu lieu et d’avoir une longueur d’avance. On va être prêts très vite. C’est un sujet central pour nous, d’être bien équipé sur cette partie-là.

La crise ? Quel enfer.

J’ai l’impression, finalement, que cette crise serait presque bénéfique pour vous, je me trompe ?

Christophe Jacquet : Je ne peux pas utiliser le terme bénéfique. Quel enfer vit-on depuis neuf mois ! Mais pour garder le cap et le mental, il faut bien penser à la suite, voilà. Moi, ce qui me fait tenir tous les matins, ce n’est pas de devoir débrayer, d’apporter de mauvaises nouvelles aux équipes quand on ferme nos agences, de devoir réajuster le temps de travail… Pour la première fois, on a une forme de poche d’air qui s’ouvre et qui nous permet de faire des choix stratégiques pour le futur. C’est se dire « quel sera le visage d’Havas Voyages qu’on a envie d’imposer sur le marché pour être différent ? »

C’est vous qui avez soulevé le problème de la distribution un peu classique. Quel regard portez-vous sur cette distribution en général ? A-t-elle besoin d’évoluer ?

Christophe Jacquet : Oui, cela a besoin d’évoluer. Il n’y a pas de sujet là-dessus. Ça me fait penser à l’époque où je suis rentré dans le monde de la parfumerie, il y a une quinzaine d’années. C’était un secteur qui était lui-même déjà en train de se consolider avec un acteur que vous connaissez -Marionnaud- qui a racheté beaucoup de parfumeries indépendantes. D’autres acteurs sont nés, d’autres marques aussi. L’un d’entre eux a émergé en un temps record, Sephora. Il est arrivé avec un positionnement de marque extrêmement clair. Les 20/80 sont toujours les mêmes, mais il offre une expérience client différente. Ce qui lui a permis de devenir le référant de cette distribution sélective. Havas Voyages, lui, a commencé sa mue il y a déjà quelques années. L’un des premiers enjeux était d’harmoniser notre réseau en termes de visages de nos agences qui sont de plus en plus homogènes. On a d’ailleurs poursuivi les travaux malgré cette crise.

Il y a deux sujets qui me semblent importants pour nous, dans le futur c’est : l’offre et notre valeur. Je ne crois pas que quelqu’un, aussi brillant soit-il, soit capable de travailler avec 300 000 produits. On a un vrai sujet de stratégie d’offres à bâtir, pour ne pas se limiter à la mise à disposition de tous les produits. Havas Voyages ne sera jamais une boîte digitale, jamais au sommet de la pyramide. Les héros de notre entreprise sont les 1200 agents de voyages de notre organisation. On ne remettra jamais ça en question. On considère justement que la taille de notre entreprise est une force pour pouvoir être présent à terme, quel que soit le moment où le client souhaite faire appel à nos services de conseils. C’est là-dessus qu’on va devoir se muscler pour que Havas Voyages devienne une référence évidente quand un client cherche un conseil sur une destination.

Cela fera deux ans à la fin de l’année que vous êtes là. Vous avez vécu crise sur crise, vous ne vous dîtes pas : « Je me suis trompé d’emplacement ? »

Christophe Jacquet : Non. Je n’ai pas eu le temps de me poser cette question depuis que je suis arrivé. Comme j’aime bien relever des défis, c’est de l’adrénaline. Heureusement, c’est le jour d’après qui nous fait tenir debout. Après les gros nuages et la flotte, le soleil finit toujours par briller. On pourra, au bout d’un an ou plus, faire le bilan et se dire que finalement cette expérience-là, on a réussi à en sortir quelque chose de bien quoi ! Même si je sais que pour mes équipes -comme pour nous tous- c’est extrêmement difficile.

Nos équipes ont fait un boulot formidable

Le premier confinement a été brutal, rapide, quand on s’est retrouvés prisonnier chez nous. Nos collaborateurs ont fait un boulot absolument remarquable en ne lâchant rien, en prenant soin de leurs clients, en rapatriant et reportant des dossiers. Maintenant il faut que ça reparte. Si vous aimez la voile et qu’il n’y a pas de vent, ou le ski et qu’il n’y a pas de pentes… Cela vous manque. Ce qui nous fait du bien, tous les jours, c’est d’être au contact de nos clients.

Vis-à-vis des mesures gouvernementales ou des prises de position des autorités, êtes-vous de ceux qui disent : « on ne lâchera rien, ce n’est pas suffisant, il en faut encore plus » ?

Christophe Jacquet : Le sujet n’est pas d’en vouloir plus pour en vouloir plus. C’est de faire des demandes justes pour préserver toute une économie. Si on n’avait pas eu cette aide d’Etat dont toute la profession bénéficie depuis des mois, peut-être que 70% de la profession aurait mis la clé sous la porte. On a le lobbying dont notre président fait partie, très actif auprès de Bercy et des personnes influentes autour de notre président Macron. Jusque-là, je crois qu’ils nous ont montré qu’ils étaient à nos côtés, qu’ils mettraient tout en œuvre pour préserver nos entreprises. Après, on ne peut pas demander à l’Etat de sauver une entreprise qui n’allait pas bien. C’est de notre responsabilité de mettre le curseur au bon endroit, d’être rationnel. Les signaux sont encourageants.

En tant qu’entrepreneur, arrivez-vous à avoir une vie un peu privée, je ne dirais pas normale, mais détendue ?

Christophe Jacquet : Détendue, non. Cette situation nous met quand même une forme d’épée de Damoclès au-dessus de la tête… Tous les matins, je me réveille en me disant « quand est-ce que ça va se terminer ? ». C’est cette réponse dont j’ai besoin. Les décisions qu’on a prises au niveau du groupe ont été rapides, elles ont sauvé notre entreprise. Maintenant j’aimerais revenir dans un monde où je fais ce que j’aime. Être de nouveau dans l’action. Faire que les projets dont je vous parlais se réalisent, qu’on en tire les profits. Que nos 1200 collaborateurs retrouvent leurs agences et du plaisir. Cette pression du Covid n’est pas la même que celle d’une entreprise qui se porte mal dans un monde normal.

On va finir sur une note un petit peu d’humour, ce n’est pas trop difficile de travailler avec le président Abitbol ?

Christophe Jacquet : [Rires] Non ! C’est un président exigeant, il n’y a pas de sujet là-dessus, mais qui a du cœur. Finalement il y a une jolie balance !

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