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Pascal de Izaguirre (Corsair) : « Être heureux, ce n’est jamais la béatitude complète »

Je l’appelle le Basque bondissant. Pascal de Izaguirre, PDG de Corsair, aura du beaucoup rebondir dans sa vie, mais il croit encore et toujours à un optimisme volontaire. Il s’est livré au jeu des Yeux dans les yeux, en toute transparence… sauf pour dévoiler son âge.

L’Echo touristique : Pascal de Izaguirre, qui êtes-vous ?

Pascal de Izaguirre : Le PDG de Corsair ! (rire). Je pense être quelqu’un d’enthousiaste, résistant, résiliant, passionné sur le plan professionnel. Les situations difficiles ne me rebutent pas. J’ai une certaine aptitude à gérer les situations de crise aussi. Je reste toujours positif dans la vie professionnelle ou privée.

Vous avez étudié à l’ENA. Est-ce un choix, une tradition familiale ?

Pascal de Izaguirre : Ce n’était pas une tradition familiale, mais un choix, c’est certain. On ne se présente pas à l’ENA par hasard. Comme j’aime les compétitions et les choses qui me poussent à essayer de donner le meilleur de moi-même, présenter le concours de l’ENA était extrêmement motivant. Je suis aussi un peu formaté : le service de l’Etat était quelque chose qui me plaisait, j’ai un grand respect pour la fonction publique. Même si j’ai quitté la fonction publique, je considère que j’œuvre aussi pour le pays. En dirigeant une compagnie aérienne française, je pense que je défends également et je fais la promotion des intérêts français. Il me faut un petit peu plus qu’une activité purement marchande. J’aime avoir des ambitions un peu plus vastes. 

Une certaine envie de pouvoir ?

Pascal de Izaguirre : Je pense qu’il y a une part d’autorité en moi, j’aime diriger, animer des équipes. Est une volonté de pouvoir ? Les gens ont des ressorts particuliers, ça peut être l’argent, moi manifestement ce n’est pas l’argent . Ce qui me plait, ce n’est pas le pouvoir pour avoir un pouvoir sur des équipes ou des collaborateurs. Mais plutôt la capacité à avoir de de l’impact sur les choses, sur le cours des évènements. J’adore prendre des décisions, je pense trancher assez rapidement. Je n’aime pas l’hésitation, les tergiversations, la procrastination. Je suis dans l’action, quelqu’un de très rationaliste, pondéré, je ne me laisse pas emporter par mes passions.

Quand on a des décisions difficiles à prendre, comment vous réagissez, comment les analysez-vous ? Est-ce uniquement le rationnel qui l’emporte ?

Pascal de Izaguirre : Ça serait très prétentieux et non pertinent de dire qu’on juge simplement à travers le prisme de la rationalité ou de l’affectivité. On prend tout en compte. L’expérience m’aide beaucoup. Je m’aperçois que j’ai de moins en moins de difficultés à analyser les situations et à prendre des décisions. Ma définition de l’intelligence est la capacité d’apprentissage, c’est-à-dire la capacité à progresser en permanence en tenant compte des erreurs passées, en intégrant le fruit de l’expérience. On ne résonne jamais de façon purement rationnelle sinon on est un très mauvais manager et on commet des erreurs colossales. Toutes les décisions que l’on prend, il faut les faire passer. J’estime qu’il y a un rôle de communication quand on est un leader, je n’en ai jamais eu peur, j’aime ça. Il faut faire de la pédagogie, c’est compliqué, parfois décevant… Plus on descend dans la hiérarchie, plus l’information est parcellaire. Il faut la rendre accessible. J’essaie toujours de me mettre à la place de l’autre, ce qui change fondamentalement les choses. Si vous avez une négociation à mener et si vous resté campé sur votre position de façon dogmatique, borné, vous n’arrivez à rien. Je me dis à chaque fois : « que pense mon interlocuteur ? Quel est son objectif ? Quelles sont ses préoccupations ? Quelle est sa manière de penser ? » Cela débloque énormément de situations.

Là où je me suis senti peut-être le plus mal à l’aise est quand je dirigeais TUI… C’est là où j’avais le moins de convergences avec l’actionnaire.

Pascal de Izaguirrre. DR

Vous est-il arrivé de prendre des décisions auxquelles vous ne croyiez pas ? Parce qu’on vous forçait ?

Pascal de Izaguirre : Honnêtement non, rien de significatif. Je ne me suis jamais senti en contradiction ou en opposition, je ne les aurais pas prises. Je suis quelqu’un de convictions et assez solide, j’ai du caractère. Je pense être quelqu’un d’assez convaincant et quand je n’étais pas d’accord avec quelque chose, j’ai su convaincre en expliquant pourquoi il ne fallait pas prendre cette décision. Je ne peux pas dire qu’on m’ait imposé des décisions contre mon gré. Là où je me suis senti peut-être le plus mal à l’aise, c’est quand je dirigeais TUI… C’est là où j’avais le moins de convergences avec l’actionnaire, ce qui m’a conduit à faire un choix radical, faire le choix de Corsair, je n’y ai pas été poussé. Diriger deux sociétés en difficulté n’est pas très sérieux, respectueux des équipes des deux sociétés. Être à 200% ne veut rien dire, il y a 24h dans une journée, 7 jours dans une semaine comme pour tout le monde, donc forcément vous partagez votre temps. C’est vrai que je considérais que la politique suivie par le groupe menait un peu TUI France dans une impasse, il y avait de plus en plus d’interférences dans ma gestion. Il me faut pas mal de latitude. Si je considère que je n’ai plus assez d’autonomie ça entraine une frustration.

Après la fonction publique, l’aérien était un choix ? Une opportunité ?

Pascal de Izaguirre : L’aérien m’a toujours passionné. Et surtout, paradoxalement je ne voulais pas faire une longue carrière dans l’administration. Je suis un homme d’entreprise. J’ai besoin de diriger, d’animer les équipes, d’avoir des plans d’action, de lancer les projets. Je ne suis pas fondamentalement fait pour être dans une administration, avec les lourdeurs de la bureaucratie, les interférences du politique.

J’ai trouvé ça assez petit, mesquin et médiocre.

En voulez-vous à Pierre-Henri Gourgeon de vous avoir poussé vers la sortie chez Air France, alors que vous étiez dans les premiers dirigeants ?

Pascal de Izaguirre : Je suis du genre rancunier. Je suis scorpion… J’ai trouvé ça assez petit, mesquin et médiocre. Je considère surtout que ça a été profondément injuste. Pas mal de personnes au sein de la compagnie Air France ont eu l’amitié de me dire que c’était immérité, vu mon engagement. Maintenant c’est la vie, plus on est haut dans les sphères du pouvoir, plus c’est difficile… Et pourtant je suis très croyant. Mais la politique judéo-chrétienne du pardon à la première offense, ce n’est pas trop mon style. 

Je ne me plains jamais, je pars du principe que toute médaille a son revers. Vous ne pouvez pas avoir le beurre, l’argent du beurre et la crémière avec. Il faut prendre le job dans sa totalité, avec ses bons côtés, parfois ses mauvais. C’est presque Bbuddhiste, une certaine acceptation de ce qu’est le monde, ça ne sert à rien de se révolter. J’ai pris la décision un jour dans ma vie de ne plus avoir aucun regret. Depuis, je ne regrette jamais rien. La vie est la vie, c’est comme ça. Finalement, je m’estime plutôt bien traité par la vie, pas que pour l’aspect professionnel.

Etes-vous êtes heureux chez Corsair ?

Pascal de Izaguirre : Très heureux !  Mais attention, il y a des hauts et des bas. Être heureux, ce n’est jamais la béatitude complète. Quand on est chef d’entreprise, on ne connaît pas la béatitude, et je dirais que dans l’environnement actuel c’est parfois compliqué ! Mais oui, je suis heureux : Corsair est une compagnie à taille humaine, avec des équipes très engagées. Il est vrai que je connais la compagnie, les équipes… Mais il y a beaucoup de choses à faire et moi, ce qui me passionne, même si les temps sont adverses, c’est d’aller plus loin, d’avoir des projets, lancer de nouvelles lignes, commander de nouveaux avions. C’est passionnant, c’est ce qui m’anime. J’ai besoin de combustible. Je pense que dans la vie, il faut être en mouvement. Vous savez, c’est comme lorsque l’on achète une maison : on a des projets, des travaux à faire. Ma philosophie, c’est d’avoir des projets.

Le paysage aérien français est moribond.

Dans le paysage aérien français, y-a-t-il de la place pour tout le monde ?  Et pour avoir une vision d’ensemble, votre concurrent le plus direct va ouvrir une liaison Paris-New York, que vous-même aviez projeté d’ouvrir avant la pandémie…

Pascal de Izaguirre : Vous savez, le paysage aérien français est moribond, c’est une zone aride, désertique. Il y a le mastodonte, prétendument national, et autour, il n’y a pas grand-chose : XL Airways, Aigle Azur ont disparu. Donc oui, il y a de la place pour les petites compagnies, Corsair et ses concurrents. D’ailleurs, je remarque que le pavillon français ne cesse de décliner depuis 20 ans, en perdant des parts de marché au profit des compagnies étrangères…

Quant au vol vers New York, j’ai effectivement décidé de ne pas l’ouvrir : n’oublions pas que ma flotte tourne à plein et je n’aurais surement pas pu ouvrir New York, mais il ne faut jamais dire « Fontaine, je ne boirai pas de ton eau » … French Bee est un concurrent, mais c’est une low-cost, nous ne sommes pas sur le même produit. Je pense qu’il y a de la place pour tout le monde sur une ligne comme New York.

Pour en revenir au paysage aérien, il est déjà squelettique et il y a de la place pour d’autres compagnies qu’Air France.

Avec une concurrence loyale…

Pascal de Izaguirre : Ah, ça… La concurrence loyale est difficile, quand c’est David contre Goliath. C’est le petit maigrelet face au gros baraqué, un peu compliqué. Mais il est vrai que la concurrence n’est pas forcément loyale : quand on est gros avec d’énormes moyens d’attractivité et de pression, c’est difficile. Il faut l’accepter. Air France a beaucoup d’atouts, c’est vrai, mais aussi des inconvénients. Et nous pouvons apporter quelque chose. Le challenger est beaucoup plus sympathique que le dominant.

On peut aussi capter l’attention et la fidélité de la clientèle en offrant un très bon produit. Il faut être compétitif et rien n’est perdu. Il faut se battre encore plus : nous n’avons pas les atouts de la compagnie dominante mais nous en avons d’autres. Le jeu en vaut la chandelle : Corsair, cette année, fête ses 40 ans d’existence, et a réussi à vivre jusqu’à maintenant.

Considérez-vous que la crise a été bien gérée ?

Pascal de Izaguirre : Honnêtement, c’est plutôt bien. Je ne dis pas ça par flagornerie. L’Etat a fait le choix d’aider Corsair, et je ne crache pas dans la soupe. Il aurait pu faire le choix de tout attribuer à Air France, il ne l’a pas fait. De plus, l’Etat a apporté un gros soutien à l’économie, ce qui a évité une cascade de faillites. C’était l’attitude la plus intelligente que de soutenir l’économie. Oui, l’Etat et le ministère de l’Economie ont bien agi.

Si Corsair n’avait pas été aidée par l’Etat, elle aurait sûrement disparue.

Vous m’avez dit que vous étiez croyant. C’est quoi la vie pour vous ?

 Pascal de Izaguirre : Vaste débat ! Oui, je suis croyant, ça vient de mon éducation et c’est important pour moi. Quand on est croyant, je pense que l’on s’oblige à un certain cadre éthique dans les actions de sa vie quotidienne et dans sa vie professionnelle. Ce sont les principes moraux. Vous allez me dire que l’on n’a pas besoin d’être croyant pour ça mais c’est ainsi. Je trouve que cela tire vers le haut. J’essaie en tout cas, très, très modestement…

Vous êtes vraiment basque ?

Pascal de Izaguirre : D’origine basque espagnol dont je suis très fier. Mais plutôt de Bordeaux, j’y suis né. 

Si vous pouviez changer quelque chose dans votre vie, que feriez-vous ?

Pascal de Izaguirre : En toute franchise, non. Parce que j’ai pris cette décision de ne pas avoir de regrets dans la vie et je m’y tiens. Dans la vie, je suis tourné vers le présent et vers l’avenir, mais je ne retourne jamais dans le passé.  Je ne suis pas du genre à contempler les vieux albums photos. Je trouve qu’il n’y a rien de plus stérile que de se dire « Oh mon Dieu, je réécris l’histoire, on refait le scénario ». Ca ne sert à rien, vous ne pouvez rien changer au passé de votre vie ! A quoi ça sert ?

Battons-nous dans le présent, construisons l’avenir, c’est ma philosophie. Je ne passe pas une minute à regretter des choix, des situations, des évènements, etc. Pas une seconde.

Vous n’avez jamais voulu me dire votre âge. Coquetterie ou crainte ?

Pascal de Izaguirre : Coquetterie. Je suis optimisme, je fais plus jeune que mon âge (rire). Je dis qu’il ne faut pas juger les gens au regard de leur âge, mais en fonction de ce qu’ils sont et peuvent faire. Je pense encore avoir assez de jus, de dynamisme et d’énergie.

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