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Gouvernance des stations de montagne : tout ce qu’il faut savoir

Spécialiste du tourisme en montagne, Armelle Solelhac, par ailleurs fondatrice de l’agence de communication Switch, Armelle Solelhac, décrypte la gouvernance des destinations de montagne les plus performantes.

Après avoir étudié les modèles de gestion et de fonctionnement des stations de montagne dans le monde, il est intéressant de voir comment les destinations les plus performantes ont développé des gouvernances efficaces pour gérer leur organisation ? Quels sont leurs facteurs clés de succès ? Analyse.

Qu’est-ce que la gouvernance d’une destination touristique ?

Pour Benko et Lipietz (1992) , la gouvernance «renvoie à des formes intermédiaires de régulation, qui ne sont ni marchandes, ni étatiques, et qui articulent les intérêts privés et les intérêts publiques, les aspects sociaux et les aspects économiques.» Le Galès (1995) définit quant à lui la gouvernance comme «l’ensemble des arrangements et relations formels et informels entre intérêts publiques et intérêts privés à partir desquels sont prises et mises en œuvre des décisions.» Ces conceptions sont complémentaires et toutes deux très riches. Elles montrent bien la difficulté à cerner cette notion de gouvernance. En matière de tourisme, la gouvernance est au service d’un projet de territoire. Elle se caractérise par un passage de la centralisation à la décentralisation, de la gestion de service public à la gestion selon le principe de marché.

© Julia Luczak-Rougeaux

Ainsi, pour Emmanuelle George, enseignante chercheuse, cela relève plutôt de la «guidance» publique et de la coopération entre les acteurs publics et privés. La gouvernance est donc par essence un ensemble d’outils et de mécanismes qui touchent à la manière de piloter une destination. Ce terme met l’accent sur le fait que, dans le secteur du tourisme, et en particulier dans les massifs montagneux européens, il existe un mille-feuille d’organisations privées et d’acteurs publics, qui rend le processus de prise de décision délicat et fastidieux. En effet, il est difficile de fédérer toutes ces entités qui ont des intérêts parfois antagonistes et des agendas à temporalités variables. Par ailleurs, l’un des défis majeurs de la gouvernance réside dans l’efficacité de ses ressources financières, matérielles, techniques et humaines.

Une mise en œuvre difficile de la gouvernance

Emmanuelle George explique qu’il faut «plonger dans la boîte noire des stations de ski». Par cette expression, elle pointe l’opacité dans laquelle les stations de montagne évoluent. Cette métaphore illustre toute la difficulté du pilotage des stations et tout l’enjeu de leur gouvernance, d’autant que chacune a sa propre «boîte noire» composée de trois sphères : la sphère économique, la sphère civique locale et l’autorité organisatrice. Pour Rey-Valette et Mathé (2011), le terme de ressource signifie également pouvoir, relation, savoir, statut et capitaux financiers. Or, l’affectation de ces ressources au sein de l’écosystème local est asymétrique ce qui complexifie encore sa gouvernance. L’une des difficultés tient aussi au fait que certaines personnalités locales peuvent avoir plusieurs casquettes au sein de l’écosystème (dirigeant d’une infrastructure touristique et élu local). Cette superposition des acteurs donne lieu à des jeux de coopération, mais aussi d’opposition, parfois facteurs de blocage dans la mise en œuvre de la gouvernance de l’offre touristique locale.

Si elle est complexe à saisir d’un point de vue théorique, elle l’est encore plus à mettre en œuvre sur le plan pratique. En tout état de cause, la gouvernance implique d’intégrer la diversité des acteurs et de leurs statuts. L’étude RATW 2005-2008 «État des lieux des stations de montagne dans le monde» révèle qu’en Espagne et sur tout l’Arc alpin, il existe en station un ensemble hétérogène composé de milieux économiques inégalement impliqués. Dans ces zones, la sphère civile est à la fois présente et distante, tandis que l’autorité organisatrice est tiraillée entre ses missions générales de collectivité locale et le développement touristique. Tout ceci crée énormément de frictions et entraîne un constat globalement négatif sur la gouvernance des stations.

Dans les stations de montagne d’Europe de l’Ouest, le couple Office de tourisme/Société d’exploitation des remontées mécaniques a encore tendance à prévaloir et c’est ce qui explique cette diversité. En l’occurrence, ces acteurs locaux ont chacun leur légitimité et leur mosaïque d’intérêts liés.

Le poids de l’histoire est aussi un facteur clé. Dans toutes les stations de montagne, le contexte local affecte la qualité des relations entre les acteurs et génère potentiellement des freins ou des blocages à la bonne mise en œuvre de la gouvernance. En Amérique du Nord, en Chine, au Japon, en Nouvelle-Zélande, ou encore en Australie, ces difficultés liées à la mise en place d’une gouvernance efficace sont quasi-inexistantes. En effet, l’alignement des intérêts de chaque partie prenante est facilité en raison de l’adoption d’un modèle économique et organisationnel qui concentre tous les pouvoirs décisionnels et financiers au sein d’un centre unique.

Mise en place d’une gouvernance de destination touristique: enjeux et grandes étapes

L’objectif final de la gouvernance de destination touristique est de mettre en œuvre la stratégie et les plans d’actions définis par le collectif. Les enjeux à prendre en compte pour créer un tourisme d’intelligence territoriale sont les suivants :

  • renforcer la transparence au sein du collectif;
  • veiller à un équilibre des pouvoirs entre les différentes structures pour éviter qu’un acteur (souvent le plus puissant économiquement) ne prenne le dessus sur les autres parties prenantes;
  • améliorer la performance grâce à un processus décisionnel court et efficace;
  • faciliter et inciter l’implication de tous;
  • favoriser une cohérence à l’échelle des territoires impliqués.

Généralement, la mise en place d’une gouvernance de destination touristique nécessite sept étapes :

  • choisir un modèle;
  • établir le périmètre géographique précis;
  • décider les sujets et/ou thèmes à traiter et ceux à évincer;
  • définir les modalités de fonctionnement: règles de vote, participants, financements, fréquence de réunion, lieux de réunion, etc.;
  • déposer les statuts;
  • lancer les premières réunions de travail
  • communiquer sur les projets (site web, newsletters, etc.).

Les facteurs clés de réussite d’une gouvernance touristique

Les différentes études existantes en matière de gouvernance touristique à l’échelle d’un territoire font apparaître 9 recommandations pour que le fonctionnement au quotidien soit un succès :

  • le respect des cinq principes de base : ouverture, participation, responsabilité, efficacité et cohérence;
  • l’agilité : c’est, comme à Grächen (Suisse) par exemple, la capacité à déployer en 24 heures un panel d’offres d’activités hors neige l’hiver et en seulement deuxheures en cas de mauvais temps l’été;
  • adopter une approche «better done than perfect » et la «stratégie des petits pas» pour conduire des grands projets : il faut décomposer ces grands projets en plus petits projets ou en actions et les mener l’un après l’autre en mode «sprint» avec des dates butoirs très courtes (deux à trois semaines maximum);
  • être le plus concret possible pour éviter le «décrochage» des participants;
  • former l’ensemble des parties prenantes et leur fixer des objectifs ambitieux;
  • la participation financière de l’ensemble des parties prenantes pour garantir leur implication et financer les projets en autonomie;
  • bien respecter les «3 C»: communiquer, communiquer et C.O.M.M.U.N.I.Q.U.E.R ! Que ce soit en interne avec les parties prenantes et les participants aux différentes réunions et commissions de travail, ou en externe avec les non participants, en particulier s’ils sont réfractaires aux différents projets, et les médias locaux;
  • partager ses bonnes pratiques et ses retours d’expériences avec ses confrères ou d’autres destinations : on ne peut élever le niveau que collectivement;
  • recruter un dirigeant de la gouvernance qui soit à la fois charismatique, diplomate, motivé, dynamique, patient et courageux.

Armelle Solelhac

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