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« Acheter du temps », le projet fou de J.-F. Rial pour éviter le chaos climatique

Jean-François Rial a co-écrit l’essai « Le chaos climatique n’est pas une fatalité » avec Matthieu Belloir. Pourquoi ? Le patron de Voyageurs du Monde nous dit tout, ou presque, dans une interview à L’Echo touristique. Et il répond, en creux, à certains de ses détracteurs.

En 2024, les émissions totales de CO2 provenant des énergies fossiles ont atteint un nouveau record mondial, soit environ avec 37,4 milliards de tonnes (+0,8% par rapport à 2023). Or pour limiter le réchauffement de la planète à moins de 2°C par rapport à 1850, il faudrait baisser nos émissions de gaz à effet de serre (GES) de 22% d’ici à 2030. Soit une diminution annuelle comprise entre 4% et 5% chaque année. L’équivalent d’un Covid annuel. Difficile de croire en ce tour de force.

Une date… providentielle

C’est la raison pour laquelle Jean-François Rial, PDG de Voyageurs du Monde, défend un autre projet. Un projet très ambitieux, utopique pour certains, qu’il explique par le menu dans un livre en librairie aujourd’hui : « Le chaos climatique n’est pas une fatalité »*. Soit le 13 février 2025…  jour du « nouvel an des arbres » dans la tradition juive (Tou Bichvat). Et le jour, aussi, de l’anniversaire de Jean-Marc Jancovici, le contradicteur préféré de Jean-François Rial. Nous avons interviewé le voyagiste sur le livre, qu’il dédicace aujourd’hui à 18h dans la librairie parisienne de Voyageurs du Monde.

 

L’Echo touristique : Aujourd’hui, je vais vous pousser dans vos retranchements sur votre livre. En novembre 2022, vous aviez déjà évoqué dans une interview à L’Echo touristique ce grand dessein : planter des milliards d’arbres pour stocker du CO2. Pourquoi un livre dédié à ce projet, que certains qualifient d’utopique ? Pour toucher l’option public et tous les secteurs ?

Jean-François Rial : J’ai d’abord voulu faire de ce projet une note intellectuelle pour un Think Tank, ce qui n’a pas pu se faire. Pourtant, c’est selon moi la meilleure idée que j’ai jamais eue. J’y réfléchis depuis 15 ans et j’ai d’ailleurs intégralement lu les rapports du GIEC.

Un proche m’a ensuite encouragé à écrire un livre, et j’ai trouvé l’idée géniale. Comme je n’écris pas très bien, j’ai proposé à Matthieu Belloir de le rédiger avec moi. Grâce à lui, nous avons réuni et documenté de très nombreuses sources, pour interpeller tout le monde : intellectuels, entrepreneurs, politiques, écologistes… Je souhaite également faire traduire ce livre en anglais.

Quelle est votre intime conviction, derrière ce projet visant tous les secteurs d’activité ?

Jean-François Rial : Si nous voulons décarboner et éviter une catastrophe climatique, il faut acheter du temps. Et pour ce faire, nous devons absorber massivement du CO2. Mon intime conviction – je ne dis pas que c’est simple – c’est que planter des milliards d’arbres constitue donc la seule solution réaliste.

Je veux bien qu’on nous explique que notre projet est utopique. Mais alors qu’on nous oppose des solutions ! D’ailleurs, nous ouvrons une plateforme d’échanges, pour que chacun puisse proposer ses idées, sur www.jaiunemeilleureidee.com.

Il existe bien deux alternatives au projet que nous défendons : la première, c’est de respecter les Accords de Paris. Mais depuis 30 ans, on ne respecte jamais les objectifs proposés par les COP et nous sommes déjà à un 1,5° de réchauffement climatique. Cette première alternative est donc irréaliste. La deuxième regroupe les solutions décroissantes. C’est une alternative utopique puisqu’aucun citoyen du monde ne veut cette solution, à part les 3% d’écologistes décroissants comme Marine Tondelier et Nicolas Hulot.

Si nous voulons décarboner et éviter une catastrophe climatique, il faut acheter du temps.

C’est bien un livre qui s’appuie sur une étude menée par l’équipe du Pr Tom Crowther de l’Université ETH de Zurich, publiée en 2019 dans la revue Science ? Avec une neutralité carbone en 2075 seulement ?

Jean-François Rial : Oui. Le Pr Tom Crowther, de l’Ecole polytechnique de Zurich, a photographié le nombre d’arbres sur terre. Il en a déduit le nombre d’arbres que nous pourrions ajouter, sans perturber les terres agricoles et les activités humaines. Il faudrait ainsi ajouter 900 milliards d’arbres aux 3000 milliards existants. Ce que nous proposons dans le livre, c’est de planter « seulement » 180 milliards d ‘arbres, pour être réalistes. Mais à ce rythme-là, il faut baisser les émissions de gaz à effet de serre dans le même temps, à partir de 2025. Avec un objectif de neutralité carbone en 2075, et le maintien du +2° des Accords de Paris**.

C’est donc planter 18 milliards par an, pendant 10 ans, alors qu’on en plante déjà 15 milliards par an à l’échelle mondiale ?

Jean-François Rial : Oui. L’idée, c’est donc de doubler le nombre d’arbres plantés chaque année dans le monde, grâce à 18 milliards d’arbres additionnels. Ce n’est pas utopiste du tout, c’est facile s’il y a la volonté de le faire. La thèse majeure du livre, c’est de dire : nous savons que nous allons décarboner, mais nous n’allons pas assez vite.  Par conséquent, nous devons acheter du temps en plantant des arbres.

Graphique extrait de « L’apocalypse climatique n’est pas une fatalité »

Notre projet ne doit pas nous conduire à ne pas décarboner, attention ! On décarbone, toujours, à compter du pic, 2025 ou plus tard selon la réalité, mais moins vite que prévu par les accords de Paris selon le scénario 2 degrés. Ainsi, si tu plantes 250 milliards d’arbres, tu as seulement besoin de décarboner 50% moins vite, et si tu plantes 180 milliards, un tiers moins vite.

J’ajouterai un point fondamental : les COP n’ont pas servi à rien. Sans elles, nous serions peut-être sur un scénario de réchauffement plus important. La bonne nouvelle aussi, c’est que nous avons réussi à décorréler l’évolution de la croissance économique et celle des émissions de CO2. Et cette tendance s’accélère. Donc on peut atteindre la neutralité carbone mais pas du tout dans les délais impartis par les COP, qui sont inhumains.

Le projet représente un coût de 540 milliards de dollars, soit 0,5% du PIB mondial ! Avez-vous des soutiens et qui pour piloter le programme ?

Jean-François Rial : S’agissant des aides aux pays du Sud qui sont envisagées, pour pouvoir leur permettre la transformation climatique, on parle de 1 500 milliards par an. Le projet que nous défendons dans le livre porte sur 540 milliards, seulement le tiers. C’est l’épaisseur du trait par rapport aux enjeux adressés.

Nous n’avons pas encore de soutien financier, mais nous commençons tout juste à rentrer dans le vif du sujet avec la sortie du livre. J’aimerais que des chefs d’Etat au pouvoir ou à la retraite prennent en main le projet. Il faut que ce soit une structure privée qui le pilote, en coordination avec les Etats, les ONG, les entreprises, etc. L’investissement ne rapportera pas mais pourra s’inscrire dans le cadre des crédits carbone. C’est un projet d’intérêt général, sans modèle économique. Avec la méthode à la Voyageurs du Monde : nous dépensons 1,5 voire 2 millions d’euros par an pour planter 3 millions d’arbres, et nous réduisons nos émissions. Nous redoublons d’efforts pour décarboner et nous absorbons le reste.

Les plantations pourraient être réalisées dans le monde entier, même si six pays concentrent à eux seuls la moitié des surfaces possibles : Australie, Brésil, Canada, Chine, Etats-Unis, Russie – surtout Russie et Etats-Unis. Or Trump est sorti de l’Accord de Paris dès sa réélection. Quant à se faire entendre de la Chine et de la Russie…

Jean-François Rial : Nous n’avons pas impérativement besoin de ces six pays ni de Donald Trump. Aux Etats-Unis, de nombreuses terres appartiennent à des ONG, à des associations, à des entrepreneurs privés… Le président américain n’a pas le pouvoir d’empêcher des gouverneurs de planter des forêts ailleurs. En Russie, c’est un peu plus compliqué, mais Poutine n’est pas éternel. Le projet du livre porte sur 40 ans ! Les Chinois, eux, plantent comme des fous. La question de trouver des endroits où planter est marginale.

J’ai discuté avec Pascal de Izaguirre (président de la Fnam*** et PDG de Corsair). Pour lui, la compensation/absorption est un sujet très compliqué, les acteurs qui le pratiquent étant vite accusés de greenwashing. Et donc, il n’est pas prêt à soutenir le projet que vous défendez. Une réaction ?

Jean-François Rial : Je ne suis pas d’accord avec Pascal de Izaguirre. Déjà, nous ne sommes pas du tout dans la compensation là. Nous sommes dans l’absorption additionnelle – on gagne du CO2 -, sans omettre de diminuer les émissions. Entre 1999 et 1923, Voyageurs du Monde a diminué ses émissions de carbone de 30% au total, et de 15% par pax.

C’est vrai que chaque fois que les compagnies ont planté des arbres, elles se sont fait casser la gueule. Donc, je comprends les raisons de Pascal sur le plan marketing, mais je pense qu’il a tort sur le fond. Il faut que les compagnies aériennes montrent ce qu’elles font pour diminuer leur empreinte – nouveaux appareils, éco-pilotage- et ne pas céder aux injonctions des ayatollahs de l’écologie : ceux-là même qui critiquent moins ceux qui agissent que ceux qui ne font rien ! Il faut aussi défendre une position globale comme nous le proposons. Nous avons décidé d’affronter les ayatollahs écologistes qui racontent n’importe quoi. On nous dit qu’il faut arrêter l ‘avion ? Mais qui va arrêter ? Si on ne le fait pas, si on ne plante pas massivement, nous risquons l’extinction d ‘humanité.

Puisqu’on parle de projet ambitieux, presque fou, pourquoi ne pas créer une coalition européenne type Airbus pour le SAF (carburant durable) ?

Jean-François Rial : Le SAF, c’est l’étape finale. La première étape consiste à produire beaucoup plus d’électricité décarbonée et ensuite produire de l’hydrogène vert. Si tu veux remplacer le kérosène mondial, il faudrait d’abord produire une fois et demie la quantité da production mondiale actuelle d’électricité. C’est irréaliste, ce que dit Janco (Jean-Marc Jancovici, président du Shift Project, Ndlr), et il a raison. C’est impossible, du moins à court et moyen terme.

*« L’apocalypse climatique n’est pas une fatalité » (160 pages), éditions L’Archipel. Date de parution : 13/02/2025. Prix : 17,90 euros.

** 2075 est l’échéance des accords de Paris pour la neutralité carbone dans le scénario 2 degrés. Dans le scénario 1.5 degrés déjà atteint, la neutralité carbone devait être atteinte en 2050.

***Fédération nationale de l’aviation et de ses métiers

2 commentaires
  1. Motard Véronique dit

    Bonjour et merci pour cet article. Je trouve les commentaires de Mr Rial très intéressantes et appropriées. Je vais acheter le livre et le faire connaître autour de moi. Nous devons avancer.

  2. Meder dit

    Planter des arbres inadaptés peut avoir des conséquences négatives, comme favoriser la propagation d’espèces invasives ou perturber les écosystèmes locaux. L’auteur a du aborder cette question enfin…espérons.

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