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Kuoni entre en zone de turbulences

Le groupe suisse lance sa « première réorganisation fondamentale depuis des décennies ». Plus durement frappé par le crise que d’autres, le spécialiste du long-courrier haut de gamme est contraint à une révolution structurelle, qui ne sera pas sans conséquences pour l’emploi.

Le nouveau siège de Kuoni France à Saint-Ouen (93) a de l’allure. Une oasis de sérénité et de bon goût, dans cette banlieue parisienne populaire (les Puces sont à deux pas) et un peu grise ; 5 500 mètres carrés d’ambiance feutrée et de déco design, qui incarnent à la perfection le style de la maison, chic et classe. Ordre, luxe, calme et volupté… Les apparences sont trompeuses. Car Kuoni France est sous pression. Le dernier communiqué de presse de sa maison mère annonçant « la première réorganisation fondamentale depuis des décennies » achève de semer le trouble, dans une entreprise plus bousculée que d’autres part la crise. Le groupe suisse s’est glorifié pendant des années de son modèle à part, non-intégré, laissant toute autonomie à ses filiales européennes avec un positionnement long-courrier haut de gamme, qui semblait ne jamais devoir lasser… Cent ans de certitude et puis tout d’un coup, le choc : une crise qui dure, ébranle les fondamentaux et condamne à une révolution structurelle brutale. Les chiffres sont sans appel : au 30 juin dernier, le chiffre d’affaires consolidé du groupe était en recul de 21 % et la perte nette supérieure aux prévisions, à 33,7 ME. « En France, nous allons terminer l’année 2009 avec un chiffre d’affaires en baisse de plus de 25 % par rapport à l’année dernière, ce qui représente un manque à gagner de plus de 50 ME, écrivait la semaine dernière Emmanuel Foiry, président de Kuoni France, à ses salariés. Et, bien évidemment, nos résultats vont baisser plus que fortement. » De quoi décréter la mobilisation générale.

RÉDUCTION DES COÛTS DE FABRICATION

« Car si après cette crise, les choses ne revenaient jamais comme avant ? ». C’est parce qu’il se pose cette question essentielle, avec la conviction qu’effectivement rien ne redeviendra comme par le passé, que le groupe suisse a annoncé, il y a dix jours, une refonte de son modèle. « Nous étions déjà confrontés depuis des années à une pression sur les marges. Mais la crise a précipité un changement de comportement chez le consommateur, qui achète en direct, en dernière minute, sur Internet et envers qui nous avons de plus en plus de mal à justifier notre valeur ajoutée », commente Emmanuel Foiry. Et cela d’autant plus que Kuoni, voyagiste non-intégré, sans compagnie aérienne ni hôtels, ne maîtrise pas ou peu son offre, quand les produits labellisés résistent aujourd’hui mieux que d’autres. À travailler son image de marque, toujours plus haut de gamme, le groupe s’est aussi forgé une réputation de cherté sacrément encombrante, quand le prix et la compétitivité sont plus que jamais les leviers de la décision d’achat. « Voilà pourquoi nous devons réduire au maximum les coûts de fabrication. Le consommateur qui a pris le pouvoir ne veut plus payer pour cela ». Ce qu’ont compris, et mis en application avec leur modèle industriel, les groupes concurrents, TUI Travel ou Thomas Cook. Kuoni s’attaque donc au hard, après le travail sur le soft (son identité visuelle et sa communication de marque) entamé l’année dernière. La centralisation est le mot d’ordre avec la création de deux régions Nord et Sud (dont dépend la France), qui auront pour mission essentielle la vente et le marketing, et surtout d’une unité de production et d’achats commune aux filiales européennes qui conserveront néanmoins leur autonomie pour le choix des produits. « Il faut arrêter de dupliquer les fonctions qui n’ont aucune valeur ajoutée pour le consommateur. C’est une aberration que des chefs de produit anglais, italien, français se déplacent pour contracter le même hôtel. Ces tâches d’achats, de négociations, de gestion seront centralisées et libéreront autant de temps pour la vente, le marketing, la sophistication des outils de CRM… ».

TENSION ET DÉLOCALISATIONS

Cette réorganisation « vitale », qui devra être achevée vers le milieu de l’année prochaine, aura évidemment un impact sur l’emploi , « même s’il est trop tôt pour l’estimer ». Chez Kuoni France, l’inquiétude est de mise, car en un an il a déjà fallu digérer un déménagement, la suppression du service aéroport en Île-de-France (soit le licenciement économique de 9 personnes), le « non-remplacement » d’une cinquantaine de collaborateurs ayant quitté l’entreprise… Bref, pour les syndicats, une restructuration qui ne dit pas son nom et accentue la tension. Un courrier, que nous nous sommes procuré, illustre l’ambiance tendue en interne : la direction y est accusée d’avoir « provoqué des départs sous différentes formes : démissions, ruptures conventionnelles imposées, licenciements avec versements d’argent… », de pratiques de harcèlement et de discrimination. « Des cadres seniors ont été poussés à la porte », remarque le même document, qui demande un chiffrage précis des effectifs et pointe avec inquiétude les changements en cours, que ne manquera pas d’accentuer la réorganisation annoncée. Dont les risques de délocalisation en Inde d’un certain nombre de services. Des affirmations qu’Emmanuel Foiry nuance avec transparence, « car le dialogue social a toujours été bon dans l’entreprise ». Oui, il y a eu 18 ruptures conventionnelles de contrats de travail, mais les salariés en fin de carrière ne s’en sont pas plaints.Non, « il n’est pas exclu » qu’à terme, certaines tâches de back-office comme la saisie des contrats, soit effectuées en Inde, où Kuoni est bien implantée, mais le transfert des services névralgiques comme le transport n’est pas prévu. Le président de Kuoni France s’est d’ailleurs employé à rassurer, avec pédagogie, dès l’annonce de la réorganisation, en adressant le 30 septembre un courrier de deux pages aux 310 salariés du siège, expliquant ainsi que « l’aérien, le pricing (en partie), les carnets de voyages et l’après-vente resteront effectués dans chaque pays ». La nouvelle structure de production devrait, par ailleurs, être répartie dans plusieurs pays. La filiale France « ayant de vrais savoir-faire » pourrait ainsi accueillir un de ces « hub production » sur une ligne de produit spécifique. « Il y aura des opportunités » même si, évidemment, « un plan social est à craindre ». Recevant la presse le 5 octobre, Emmanuel Foiry a aussi confirmé quelques décisions, telle la mise en sommeil du projet de réseau d’agences enseigne. « Nous avons des chantiers plus importants. La priorité est de sortir de la crise. » La distribution reste cependant au coeur de la réflexion et le projet « Horizon 2011 », toujours d’actualité et qui sera présentée ces jours-ci au board à Zurich, en traite largement. Avec cette question récurrente : quel canal de distribution pour quel type de produit ? Kuoni France travaille sur « de nombreux projets », innovations technologiques, nouveaux outils Internet dans le cadre de ce plan. Le TO a ainsi inauguré il y a quelques jours sur ses sites BtoB et BtoC le dynamic calendar lui permettant d’agréger en temps réel les meilleures offres aériennes et hôtelières. Il lancera aussi prochainement une carte de fidélité. Bref, c’est la crise mais la vie continue. Avec des agences maison qui résistent mieux, à – 10 % contre – 20 % pour le réseau en général, des ventes avec Thomas Cook « qui ne sont pas plus sanctionnés que dans les autres réseaux », et si Jet tours « nous a fait du mal, c’est difficile à évaluer précisément dans cette conjoncture ». Reste les spéculations sur une vente du groupe… à Thomas Cook par exemple. « Je n’y crois pas du tout », affirme Emmanuel Foiry. « C’est justement pour être à armes égales avec TUI Travel ou Thomas Cook que Kuoni engage la refonte de son modèle ». À suivre donc.

« C’est pour être à armes égales avec TUI Travel ou Thomas Cook que Kuoni engage la refonte de son modèle »

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