« L’hôtellerie n’est pas faite pour les investisseurs débutants »
« Les gestions entre les investisseurs, gestionnaires et marques hôtelières » était le thème le 21 janvier d’un colloque co-organisé par le salon Food Hotel Tech et les étudiants du Master 1 à l’IREST (Institut de recherche et d’études supérieures du tourisme) de Paris La Sorbonne.
« On assiste depuis quelques années à une explosion du nombre marques hôtelières », a relevé en préambule Patrick Eveno, responsable du Master GATH (Gestion des Activités Touristiques et Hôtelières) à l’IREST. Faisant de l’hôtellerie « un secteur extrêmement capitalistique » comme l’admettent les interlocuteurs présents à ce colloque.
Diversification de portefeuille
Jennifer Otero, directrice des relations investisseurs institutionnels d’Extendam, investisseur spécialisé dans l’hôtellerie en Europe, enfonce le clou. « De plus en plus d’acteurs s’intéressent à l’hôtellerie », avance-t-elle. La spécialiste qui « travaille des foncières de banque » examine « près de 300 dossiers par an, qui sont de plus en plus structurés et ciblés ».
« Auparavant les investissements se concentraient à 95% sur des bureaux ou sur la logistique, puis certains allouaient une petite part à l’hôtellerie, pour se faire plaisir. Aujourd’hui ce n’est plus le cas », poursuit Jennifer Otero.
Cet intérêt accru pour le secteur hôtelier va de pair aussi avec la chute de l’immobilier. « Quand le marché de l’immobilier traditionnel va mal, cela bénéficie à l’hôtellerie », et contribue à la diversification du portefeuille, argumente Jennifer Otero.
« L’hôtellerie, un bon rempart contre l’inflation » mais « une crise par jour »
« C’est un secteur qui a bénéficié de vents favorables ces dernières années, notamment de mesures d’incitation fiscale », déclare de son côté François Cédelle, président de Raynaud Capital, société privée d’investissement et de gestion d’actifs spécialisée dans l’hôtellerie en Europe.
Pour lui, c’est également un secteur qui « présente un bon rempart contre l’inflation ». « Contrairement à l’immobilier de bureau ou aux commerces dont les loyers sont soumis à l’inflation annuelle, dans l’hôtellerie, on peut faire chaque jour un reset tarifaire et bénéficier de l’environnement marché » analyse François Cédelle. Un avantage, mais qui n’est pas sans contreparties. « Que ce soit des problématiques techniques, humaines, un hôtel, c’est une crise par jour », affirme le président de Raynaud Capital qui insiste aussi sur l’importance des données client. Selon lui, « on ne peut bien faire les prix que si on maîtrise les datas ».
Un secteur complexe
« Les métiers de l’hôtellerie se sont considérablement complexifiés au cours des 20 dernières années, complète Eric Rollin, co-président d’Hively Hospitality, société familiale spécialisée dans le développement et l’exploitation d’établissements. Cela s’explique par de nombreux enjeux, notamment la distribution, l’environnement social, les relations humaines, ainsi que l’introduction de normes environnementales et de gestion énergétique. » « L’hôtellerie n’est pas faite pour les investisseurs débutants, surtout lorsqu’il s’agit de monter en gamme. Il faut maîtriser de nombreuses compétences », proclame Eric Rollin.
Lorsqu’on décide d’investir, se pose aussi la question du choix de l’établissement. La mode est aux enseignes lifestyles. « Mettre une marque ou pas, faire des travaux ou pas…, chaque hôtel a ses spécificités », commente Julien Majou, administrateur de Financière EOS, spécialiste de l’hôtellerie française. Lui considère « qu’un hôtel de plus de 40 chambres situé en centre-ville en province doit être adossé à une marque pour générer un volume d’activité en saison, hors saison, en week-end et hors week-end ».
Autre question d’importance, le choix ou non d’une franchise. « Dans le luxe, les marques ont tendance à ne pas vouloir franchiser, estime Alice Gay, Senior Associate Hamilton – Pyramid Europe, société de gestion hôtelière dans la région EMEA. Mais un jour, il y aura un premier franchiseur, et il représentera un attrait majeur pour tous les investisseurs », assure-t-elle.
« L’offre inférieure à la demande »
« Métier de passionnés », le secteur hôtelier attire aussi les investisseurs car il est considéré comme un marché où l’offre est inférieure à la demande, notamment en raison « d’une démographie qui ne cesse d’augmenter et des gens qui voyagent de plus en plus » comme l’a rappelé Jennifer Otero. De même la distribution via des plateformes comme Booking a changé la donne. Les hôtels deviennent plus visibles mais perdent parfois le lien direct avec leurs clients.
« Notre ami, c’est notre smartphone, mais ça créée une frontière entre nous et l’hôtel. Il faut être très vigilant sur la distribution » insiste Marie Charloux, Senior vice-présidente Hospitality au sein du groupe Fiducim qui offre ses compétences en matière de développement immobilier et hôtelier.
« Ce qui fait un hôtel, c’est à la fois son site et son personnel, ajoute Marie Charloux. Ensuite il faut des clients, mais si demain prendre l’avion devient compliqué, alors l’investissement va devenir compliqué » explique-t-elle. Un autre débat.