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Vacances : la tentation du local, ou le syndrome du poisson rouge

« Où vais-je partir en vacances cet été ? » Si je pars avant le 23 juillet, je pourrais être contraint de partir dans un rayon maximum de 100 km de mon domicile… Un terrain de jeu déjà extraordinaire me direz-vous ? A n’en pas douter, tant la Normandie regorge de trésors !

Car j’ai la chance d’habiter (et de télétravailler) au coeur de cette belle région. Et puis, l’espace qu’il m’est invité à (re)découvrir est déjà 100 fois plus grand que le petit périmètre qu’il m’était autorisé de fréquenter pendant le confinement.

Et pourtant ! Je rêvais de « sortir de mon bocal » et partir plus loin, sur la côte ouest de la Manche et ses couchers de soleil avec les îles anglo-normandes à l’horizon, mais aussi en Bretagne pour revoir mon frère et sa famille. Et pourquoi pas encore plus à l’ouest puisque je prévoyais de faire un voyage chez nos cousins du Québec ! Sans compter le mariage en Italie, où je devais me rendre le 11 juillet… Ce n’est pourtant pas si loin la Lombardie mais ce fût l’épicentre de l’épidémie de coronavirus en Europe ! Cette pandémie mondiale dont le retentissement est difficile à mesurer constitue bel et bien une authentique « révolution » pour reprendre le titre de la tribune de Christian Delom, qui prépare le forum « A World for Travel » à Evora (Portugal) en novembre.

La relocalisation des destinations, une fausse bonne idée ?

« On va pouvoir faire de la France un laboratoire du tourisme durable cet été » disait un participant à la dernière réunion de la commission développement durable du comité de filière tourisme du gouvernement. « Grâce au Covid-19 et aux restrictions des déplacements, l’empreinte carbone du tourisme sera plus raisonnable » semblaient dire en cœur les acteurs du tourisme durable réunis autour de Nicolas Dayot, président de la commission. Comme si le tourisme durable devait se limiter au tourisme local et à la question climatique liée au transport des touristes, faisant mine d’occulter la catastrophe économique qui s’annonce, tant pour les acteurs qui émettent des voyageurs que pour ceux qui les accueillent. Ce n’est pas malheureusement pas si simple !

Il faut tout d’abord rappeler que le tourisme responsable est en partie né de la prise de conscience des opérateurs du voyage d’aventure préoccupés par les questions de respect des populations locales et de « leur » environnement depuis « leurs » massifs (les Alpes pour Allibert Trekking, le Massif Central pour Chamina et les Pyrénées pour La Balaguère) jusqu’au bout du monde et notamment dans les pays dits « en développement ». Ces opérateurs pionniers, fondateurs de la première association des acteurs du voyage responsable en France en 2004 (ATR), pensaient que le développement durable du tourisme devait se penser de façon « universelle », autant pour le tourisme « local » que pour les voyages internationaux. Quinze ans plus tard, ça reste vrai, d’autant que l’épidémie de conoravirus pourrait (devrait ?) n’être qu’une péripétie pour un tourisme mondialisé qui ne manquera pas de reprendre une fois les barrières sanitaires levées. Même si cet été ce sont les acteurs des très « tendances » micro-aventures qui sont attendus pour démontrer leur capacité à agir pour un tourisme responsable.

Ensuite, sur la question des transports, qui représentent un poste important des émissions de CO2 liées au tourisme, il est évident que les professionbels du tourisme, et ceux du voyage en particulier, ont trop longtemps fait l’autruche, à quelques exceptions près. De là à considérer que le tourisme deviendrait soudainement durable en ne faisant voyager dans leurs départements que les habitants de ces mêmes départements*… Il semble que ce soit un raccourci dangereux. Les enjeux d’un développement durable du tourisme sont en effet plus complexes. Et nous risquons d’observer très vite que cette approche « nihiliste » qui consiste à opposer les irresponsables touristes aux « excursionnistes éclairés » ne sera pas vérifiée sur le terrain. Certains territoires pourraient être très vite confrontés à des problèmes de mauvaise gestion (et d’anticipation) d’une arrivée massive (et soudaine) de visiteurs, tout locaux soient-ils. A l’image de certaines zones proches des grandes villes, susceptibles d’être prises d’assaut cet été… Sans compter celles qui l’ont été dès le début des mesures de confinement en France avant qu’il soit interdit de rejoindre les lieux de villégiature pour éviter la propagation du virus.

Enfin, s’il est temps de penser à une transformation du tourisme en lieu et place d’un plan de relance qui nous ferait repartir comme avant, comme le propose le réseau interprofessionnel des Acteurs du Tourisme Durable dans son manifeste, il s’agit aussi d’appeler à la solidarité avec les professionnels. Et ce, encore plus avec ceux qui ont déjà amorcé leur transition vers des modes de production durables. Nous devons en outre rappeler que le développement durable repose aussi sur le pilier économique. La commission développement durable du comité de filière tourisme du gouvernement a donc recommandé de mettre l’accent sur les effets économiques des mesures environnementales et sociales suggérées pour le plan de relance. Sans toutefois tomber dans le panneau d’envisager uniquement le tourisme à l’échelle locale. En effet, si investir dans les économies d’énergie pour un établissement touristique a de multiples vertus, au premier rang desquelles une économie sur la facture énergétique, cela reste vrai que son client usager vienne de près ou de loin. Et si à court terme, les professionnels du tourisme dit « marchands » vont devoir se contenter d’une clientèle très locale d’excursionnistes, leur activité risque d’être très limitée avec des contraintes sanitaires pas toujours compatibles avec leur modèle économique. Et ceci vaut autant pour un camping en France que pour un hôtel à l’autre bout du monde, pour une agence de voyages en Chine que pour un voyagiste français.

Le « bon côté » de la pandémie et … des voyages internationaux !

L’épidémie de Covid-19 doit être une opportunité pour valoriser les offres, les modèles et les investissements qui ont démontré leurs effets bénéfiques pour l’écologie et la société, et qui répondent aux besoins de la planète et de ses habitants… parmi lesquels un nombre croissant de personnes qui voyagent et qui souhaitent faire de leurs vacances un temps d’éveil au monde qui l’entoure. Et s’il est citoyen de voyager à proximité de son domicile pendant quelques temps, cela doit rimer avec une prise de conscience de l’importance de respecter l’environnement tant naturel que culturel et humain. Sans tomber dans les considérations nationalistes du type « la France aux Français » qu’on entend ici ou là sous des formes édulcorées… Les professionnels du tourisme nous avaient habitué à mieux, préférant d’habitude promouvoir les échanges interculturels et toutes les vertus associées au voyage et à l’hospitalité. Alors oui, il faudrait enfin qu’Atout France et l’Organisation Mondiale du Tourisme (re)considèrent sérieusement les enjeux liés aux marchés domestiques et sortent enfin de la sacrosainte statistique du nombre de visiteurs traversant une frontière pour leurs vacances. Mais il ne faut toutefois pas tomber dans le travers inverse qui est d’imaginer que la relocalisation des destinations serait la seule solution pour que le tourisme devienne durable. Et en se rappelant qu’un tourisme « bien fait » peut être souhaitable, durable et même un « passeport pour la paix » pour reprendre la formule utilisée lors de l’édition 2019 du forum mondial Normandie pour la paix. Cet événement consacré aux « faiseurs de paix » avait permis de rappeler que le tourisme pouvait contribuer, entre autre, au 16e des 17 objectifs de développement durable des Nations Unies : « Promouvoir l’avènement de sociétés pacifiques et ouvertes à tous aux fins du développement durable, assurer l’accès de tous à la justice et mettre en place, à tous les niveaux, des institutions efficaces, responsables et ouvertes à tous ».

Alors, oui c’est citoyen de ne pas voyager en cette époque épique…. mais je souhaite que très vite il redevienne citoyen de voyager ! Y compris en avion.

Cette « dystopie » d’un monde confiné durablement empêchant toute reprise du tourisme international me fait penser à cet étrange échange avec un directeur d’office de tourisme peu avant le confinement. « Vous voulez organiser un événement sur le thème du tourisme durable dans une agence de voyages ? Et y inviter à témoigner un grand opérateur de croisières ? Ce n’est pas très cohérent ! » Cette « sentence » maladroite et caricaturale résonnait comme un étrange avertissement. Comme si un office de tourisme n’était pas autant concerné qu’une agence de voyages par l’empreinte carbone liée aux transports de ses visiteurs étrangers. Comme si les usagers des bateaux de croisières n’étaient pas des centaines de milliers à faire escale chaque année dans sa ville et à irriguer l’économie de leurs dépenses. Et pourtant, comme précisé précédemment, les acteurs du voyage ont fait partie des pionniers du tourisme responsable et sont de plus en plus nombreux à avoir répondu à l’appel de l’association ATR, dont le nombre de membres est passé de 10 en 2014 à 50 en 2020. Les professionnels du voyage sont en première ligne dans la lutte contre le changement climatique et pourraient inspirer les acteurs de l’accueil qui ont beaucoup à faire pour évaluer, réduire voire compenser les émissions de CO2 liées à la venue de leurs visiteurs. Quant aux compagnies de croisières, elles ont aussi pris des engagements forts pour réduire leurs impacts négatifs et agir un tourisme responsable. D’ailleurs Ponant n’a-t-il pas reçu dernièrement un trophée lors de la cérémonie de remise des palmes tourisme durable au Quai d’Orsay en février dernier ? Sur le sujet de l’urgence climatique comme sur le celui de la reprise du tourisme après (pendant ?) l’épidémie de Covid-19, je propose cette formule. « Monsieur Voyage Outgoing et Madame Accueil Incoming sont dans un bateau. Monsieur Outgoing tombe à l’eau. Qui reste-t-il ? » Je suis tenté de répondre : « Madame Incoming, quel que soit son port d’attache, et avec un sacré handicap… celui de ne plus pouvoir compter sur Monsieur Outgoing et sa clientèle internationale, d’où qu’elle vienne ».

Alors, oui, c’est citoyen de ne pas voyager en cette époque épique… mais souhaitons qu’il redevienne très vite citoyen de voyager ! Y compris en avion avec des compagnies aériennes comme Air France qui n’avait pas attendu l’épidémie de coronavirus et les exigences de contreparties écologiques et sociales à son plan de sauvetage économique pour s’engager pour un tourisme responsable. Ne faisons pas du transport aérien le bouc émissaire et la vache à lait de la transition énergétique. Nous aurons encore besoin des avions pour voyager demain, même si les déplacements internationaux devront peut-être (re)devenir (un temps) exceptionnel. Voyageons mieux, moins souvent, moins loin, et plus longtemps mais continuons d’imaginer des voyages extraordinaires à l’autre bout du monde, à la rencontre d’autres cultures et avec des professionnels engagés et ayant fait la démonstration de leur engagement à travers des labels comme ATR.

Pour le moment, je vais me préparer à des vacances locales…et m’atteler à partager mes « Secrets normands », un dispositif mis en place par Normandie Tourisme pour impliquer les habitants dans la promotion touristique de leur région. C’est peut-être ce qu’on a de mieux à faire en ce moment ! En se rappelant qu’il n’est pas de tourisme durable sans implication des habitants de la destination et que nos voyages de proximité vont peut-être nous aider à faire des français non seulement de meilleurs ambassadeurs de la destination France mais aussi des bâtisseurs dun tourisme plus responsable. Parmi mes secrets de poisson rouge, j’en dévoile un : celui de boire un verre, après un petit bain de mer, au Goût du Voyage, à la fois bar à vin et agence de voyage au croisement de la rue Paul Doumer et de la rue Bernardin de Saint Pierre, pas très loin de la place de l’hôtel de ville qu’occupa un temps notre actuel premier ministre : une sainte adresse dans cette belle ville du Havre, destination inattendue de tourisme durable. Je ne sais pour vous mais c’est dans mon rayon des 100 kilomètres !

Julien Buot, directeur d’Agir pour un Tourisme Responsable (ATR)

PS : Je vous donne rendez-vous prochainement sur deux autres sujets, l’un dont on parle trop peu « la solidarité avec les réceptifs dans le monde » et l’autre dont parle beaucoup (trop?) « la reprise en mode durable ».

*« Les citoyens les plus éloignés du chef-lieu, doivent être en mesure de faire le trajet aller-retour à cheval sur la journée », selon le vœu de Condorcet au moment de la création des départements en 1790. Soit environ 100 km, une unité de mesure que nous retrouvons 230 ans plus tard dans la loi de prolongation de l’état d’urgence sanitaire pour déterminer le rayon que les français sont autorisés à dessiner autour de chez eux pour limiter leurs déplacements.

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3 commentaires
  1. Hummel dit

    Ce contexte particulier du COVID19 nous pousse à jouer à court terme deux leviers qui, sans être nouveaux, pourraient faire de cette crise l’occasion de faire bouger les lignes.
    Le premier c’est «l’hospitalité numérique» c’est-à-dire la capacité d’un territoire à donner une information sur mesure, en temps réel sur l’offre de proximité. On rêve d’une application type Waze qui permettrait aux touristes de s’orienter (par exemple pour choisir leur plage) en fonction des fréquentations au moment T. Ou d’une carte numérique interactive avec toutes les ressources de leur destination précisant les modalités de l’offre . Les Français ont pendant ce confinement élevé leur niveau d’expertise en matière digitale. Ils seront plus exigeants à l’avenir , une occasion pour nos offices de tourisme de retrouver une place de leader dans le conseil aux touristes.
    Quant au second levier,son impact dépendra de l’effet du Covid19 sur le tourisme de masse bien au delà de l’été prochain. Nos littoraux accueilleront plusieurs Millions de touristes dans les prochains mois. Il n’y aura pas d’autre choix que de jouer le «rétro littoral» voire l’arrière-arrière pays pour leur proposer de d’autres formes de plaisirs minuscules. Plus de tourisme de proximité , oui,mais une adresse ne fait pas une promesse .On ne voyage pas pour aller quelque part, on voyage pour faire quelque chose. Et ce quelque chose bouge: l’aspiration croissante à retrouver le lien avec la nature, l’envie d’authentique , de partages et de rencontres , la curiosité pour les récits et l’insolite, la recherche d’émotions et goût pour l’esthétique , le besoin de sens et le plaisir des sens… Cette demande d’expérience dessinera t elle un nouveau profil d’Homo estivus ?

  2. Stephane dit

    Bonjour.

    Vous avez raison de rappeler que le tourisme durable est né d’abord dans des régions lointaines et des modes de gestion responsable innovants ont été créés loin de l’Europe.

    Le tourisme local n’est pas forcément synonyme de tourisme responsable. Comme on peut en faire le triste constat depuis trente ans sur notre environnement en France.

    Vous avez aussi raison de rappeler de façon pertinente que les tours opérateurs et voyagistes ont fait de leur fonds de commerce en écrivant: « Sans tomber dans les considérations nationalistes du type « la France aux Français » qu’on entend ici ou là sous des formes édulcorées… Les professionnels du tourisme nous avaient habitué à mieux, préférant d’habitude promouvoir les échanges interculturels et toutes les vertus associées au voyage et à l’hospitalité. »

    Ils ont la mémoire bien courte. Faut il leur rappeler qu’ils ont prospéré essentiellement grâce aux voyages à l’international.

    Un comportement opportuniste malsain et les voyageurs ne s’y tromperont pas le jour ou la possibilité de s’évader aux antipodes reviendra.

  3. Certain dit

    Cet article pourrait être louable s’il ne cultivait pas l’entre soi …
    Si la pandémie actuelle a une vertu c’est bien celle de contraindre à s’interroger sur l’essence même du voyage. Contraint tout d’abord d’explorer notre km proche, la bride est désormais plus lâche… nous laissant voyager dans les 100 km autour de chez nous. Réduire le tourisme responsable au fait de voyager dans son département ou dans son rayon des 100 km n’est pas le sujet. Le tourisme responsable consiste avant tout à interroger les impacts sociaux et environnementaux, les modèles économiques en place, les chaînes de valeurs, les pratiques professionnelles et sociales.
    Par ailleurs, faire croire ou laisser croire que l’aventure est l’apanage des voyages lointains relève d’une vision erronée avec un brin de condescendance pour les réceptifs locaux (cantonnés eux, à la « micro-aventure »). Ces derniers n’ont pas attendu les « pionniers » de 2004 pour accueillir, guider et proposer de manière qualitative leurs destinations.
    Enfin, il faudra de l’indépendance pour imaginer un tourisme plus respectueux, plus responsable et plus soutenable et cela ne pourra pas se faire à travers des acteurs à la fois juge et partie. Espérons donc que la future commission « tourisme durable » prenne conscience de ces risques et que ces travaux ne se résument pas à une grande opération de « verdissement ».

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