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Justice : une croisière manquée doit-elle être remboursée ?

A cause d’un vol raté, un couple est arrivé trop tard pour entamer sa croisière. Il a porté plainte, le jugement de la Cour d'appel de Paris vient d’être rendu. Décrypyage avec l'avocate Emmanuelle Llop.

 

L’affaire est l’épilogue d’une mésaventure de deux voyageurs français. Le couple réserve deux billets d’avion Orly-Madrid, pour effectuer une croisière-plongée de 10 jours achetée séparément. Le jour du départ, de fortes chutes de neige s'abattent sur l'aéroport et sa région, provoquant un retard. Arrivés à 15 minutes de l'embarquement du second vol de Madrid, les deux époux se voient refuser l'accès à bord, et prennent un vol pour atterrir à San Jose avec plus de 24h de retard… soit après le départ de la croisière. Assignés en justice par les voyageurs, Iberia est condamnée en 2014 à leur verser, notamment, la somme de 5573,65€ à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice matériel.

Ce que dit la Cour d'appel

La compagnie interjette appel de cette décision, et demande à la Cour d'appel de Paris de débouter les époux de l'ensemble de leurs demandes. Son argument : lors de la conclusion du contrat, Iberia n'avait pas connaissance du fait que ses clients avaient réservé une croisière.

Le premier juge a "à juste titre considéré qu'il ne pouvait être reproché à Iberia d'avoir fait décoller le premier avion avec deux heures de retard, compte des chutes de neige survenues la nuit précédant le vol", estime la Cour d'appel de Paris dans sa décision du 8 septembre 2016.

Ce qu’elle reproche à la compagnie, c'est de n'avoir pas mis tous les moyens en oeuvre pour permettre aux époux d'embarquer sur le second vol qui ne décollait qu'après l'arrivée du premier. En vertu du règlement (CE) n° 261/2004, il y a donc lieu de condamner Iberia au paiement d'une indemnité de 600 euros par passager pour refus d’embarquement. "Ce n'est pas l'intérêt majeur de l'arrêt car de telles décisions sont rendues fréquemment", estime Emmanuelle Llop, avocate au sein du cabinet Equinoxe Avocats.

Quid de la croisière perdue ?

Selon le même Règlement, le transporteur peut être condamné à indemniser le préjudice complémentaire subi par le passager et différent du seul refus d'embarquer (article 12), soit la croisière manquée dans cet exemple. Ce genre de demande s'apprécie au regard du droit national. Or, selon le droit français, le préjudice que le débiteur est tenu de réparer par des dommages-intérêts doit être prévisible (article 1150 Code Civil, devenu 1231-3). "Ce n'est pas une nouveauté, mais c'est une des premières fois que cette solution bénéficie à un professionnel du tourisme – ici une compagnie aérienne – aussi clairement : dans la mesure où la compagnie ignorait au moment où elle a vendu ses billets, que les passagers avaient également acheté une croisière, elle ne peut être condamnée à la rembourser", commente Emmanuelle LLop.

Autrement dit, peu importe que la compagnie ait appris l’existence de la croisière au cours du vol Paris-Madrid. Lors de la conclusion du contrat d'achat de billets d'avion, Iberia n'avait pas eu connaissance de cette croisière achetée auprès d'un tiers, et à laquelle elle était totalement étrangère. Donc, pas de raison d’indemniser les malheureux voyageurs en raison de la perte de cette croisière. Ils auront en tout et pour tout 600 euros chacun au titre du refus d'embarquer. Même pas de dommages et intérêts pour préjudice moral.

Les leçons à tirer

Dans les circonstances énoncées, une croisière manquée ne sera pas remboursée. Le récent arrêt permet d'ailleurs de tirer une conclusion beaucoup plus large, estime l'avocate.

"On mesure l'intérêt d'une telle décision pour les transporteurs aériens, en termes financiers. Et on peut en transposer le principe dans les cas, par exemple, où des clients combinent deux forfaits, ou un préacheminement (train, avion) et un forfait, achetés auprès de professionnels différents, sans lier les deux opérations : l'annulation de la seconde prestation ne pourra être mise à la charge du premier opérateur, qui n'avait pas le moyen de prévoir un éventuel préjudice, en cas de mauvaise exécution de sa propre prestation".

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