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Comment voyagerons-nous après ? Le décryptage du sociologue Rémy Oudghiri

Et après ? C’est la question qui occupe tous les esprits. Voyagerons-nous différemment demain ? Quelles évolutions vont imposer aux pros du tourisme de repenser leurs stratégies ? Pour y voir plus clair, L’Echo touristique a interrogé le sociologue Rémy Oudghiri, directeur général de Sociovision, division de l’Ifop spécialisée dans l’anticipation des changements de société.

Rémy Oudghiri

L’Echo touristique : Dès le début du confinement, l’idée d’un changement de modèle de société a surgi, avant même que l’on commence à établir de possibles liens avec des problématiques environnementales. Comment expliquez-vous qu’une crise qui est en premier lieu sanitaire provoque cette réaction ?

Rémy Oudghiri : Dans toutes les crises, il y a cette idée qu’il faut changer de modèle. On l’a vu lors du choc pétrolier de 1973, lors des différentes crises économiques… C’est une constante. Mais il est vrai que cette fois, les gens étaient particulièrement préparés et sensibilisés aux enjeux environnementaux. On le voit bien dans nos différents sondages d’opinion, il y a une prise de conscience qui monte en flèche. La crise du Covid sera sans doute sur ce point un catalyseur. Jusqu’à présent, la cause écologiste avait du mal à mobiliser parce que c’était une cause collective. Maintenant qu’un lien est fait entre écologie et santé, cela  relève de la mobilisation individuelle. Et l’individuel est un puissant levier, qui manquait jusqu’ici à la cause écologique.

Au sortir de cette crise, quel impact le plus immédiat attendez-vous en ce qui concerne la façon de voyager ?

Rémy Oudghiri : Pour le moment, on ne peut pas se projeter très loin, mais il est évident qu’à court terme, par la force des choses, les vacances seront des vacances de courte distance, un tourisme de proximité, local ou national. Il y aura aussi une très forte tendance au tourisme familial : rendre visite aux proches que l’on n’a pas vus depuis plusieurs mois, et profiter d’un hébergement non marchand, la crise pouvant avoir des conséquences sur le budget de nombreuses familles.

Ce tourisme de proximité pourrait-il ensuite s’ancrer dans les habitudes ?

Rémy Oudghiri : Déjà, il ne faut pas perdre de vue que beaucoup de Français passent leurs vacances en France chaque année. Mais il est vrai que ce tourisme de proximité pourrait perdurer, car on sent une volonté de moins polluer, de soutenir l’économie locale. Il y a toujours ce réflexe quand la nation est en crise, vulnérable. Si on raisonne en terme d’opportunités, il va y avoir une énorme chance à saisir pour de nombreux territoires méconnus dans l’Hexagone qui vont sembler calmes, rassurants. La crise du Covid-19 intervient de toute façon dans un contexte de crise écologique, les gens se rendaient déjà compte que changer de comportement vis-à-vis d’un certain nombre de choses, dont le voyage, n’était plus une “lubie écologiste”. On l’a vu notamment avec le phénomène du “flight shaming”. 

Justement, comment anticipez-vous la reprise des voyages à l’étranger ?

Rémy Oudghiri : Il est clair que les professionnels qui vont le plus souffrir sont ceux qui commercialisent les voyages à l’étranger. Quand ça va se rouvrir peu à peu, il va y avoir des enjeux très importants, notamment sur la sécurité. Il va y avoir un travail de pédagogie, de réassurance à faire. Non seulement de la communication, mais aussi des actes, pour garantir la sécurité. Il va aussi falloir être au top sur le plan du digital. Etre capable de communiquer, de rester en lien avec les clients qui voyagent, de leur apporter les informations sanitaires, d’être très réactif si le client rencontre un problème au cours de son voyage. Mais au-delà de ça, d’une manière générale, il va être essentiel de savoir communiquer la notion de plaisir. Ca va être l’enjeu majeur des prochaines années. Le tourisme va devoir remettre au cœur de son identité le dépaysement, la découverte, l’émotionnel. Je crois fermement qu’il va se passer dans le tourisme ce qu’il s’est passé avec l’arrivée il y a dix ans Uber, qui a obligé tous les taxis à adopter une appli et à augmenter le niveau de service. Il se pourrait que le virus oblige les acteurs du tourisme à mettre le paquet sur le service…

… Et, comme vous le soulignez, sur le digital.

Rémy Oudghiri : Absolument. Le confinement a été une sorte de stage prolongé pour beaucoup de gens. Ils ont appris à faire de nouvelles choses, coudre, faire du pain… Il a aussi été l’occasion d’une montée en expertise très forte sur le plan numérique : utiliser des outils de visioconférence, faire les courses via un drive, commander en click and collect, faire des consultations médicales en vidéo… Les gens vont sortir du confinement nettement plus experts sur ce plan. Ils vont avoir pris l’habitude de faire beaucoup de choses à distance et vont être très exigeants dans l’expérience digitale qu’on leur propose. Il va falloir en tenir compte dans sa façon de mettre en scène un hôtel, un voyage. 

Le virus va-t-il faire évoluer les comportements de voyageurs par rapport à la notion de risque ? Vont-ils devenir très prudents ou bien, au contraire, finir par oublier…

Rémy Oudghiri : Pour répondre il faut se placer sur le moyen/long terme. Quand vous partez à l’étranger, vous partez pour oublier, pour faire un break. Si vous partez en pensant qu’il faut faire attention à tout, vous gâchez votre plaisir. En revanche, il y a des chances que les voyageurs soient tentés de passer par les marques très reconnues, qui sont jugées comme les plus à même de se mettre aux normes car elles en ont les moyens. Mais globalement, tout le monde va intégrer cette notion de risque. Quitte à partir plus souvent avec une assurance, les assureurs proposeront des produits. Il se peut aussi que les voyages à l’étranger reviennent de façon moins massive. Il va y avoir une forme de rationalisation qui va s’opérer, on ne va probablement pas repartir dans la même configuration. Plus que la question de sécurité ce sont la nature et l’environnement qui seront le clef. Ce n’est pas une idée qui va disparaître, au contraire. On le sait, le tourisme de masse en Europe avait de plus en plus mauvaise presse. On va aller vers plus de respect.

Pour autant, on voit déjà apparaître des promotions choc de la part de certaines compagnies aériennes pour le printemps 2021, avec des prix de billets d’avion défiant toute concurrence… Difficile pour le voyageur de résister à ces effets d’aubaine, non ?

Rémy Oudghiri : Il est très possible, effectivement, que l’on assiste à un phénomène de rattrapage de la part des voyageurs qui auront été bridés dans leurs déplacements. Mais je pense qu’on pourra distinguer trois phases. La première, sur le court terme, consistera en un repli sur le tourisme de proximité, par la force des choses. Viendra ensuite ce phénomène de rattrapage, dans un deuxième temps, quand l’étau va se desserrer. Pour ensuite atteindre une troisième phase plus conforme aux tendances de fond que l’on a évoquées.

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